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femme hors le cas d’adultère, la rend adultère, et donnait ainsi à entendre que les époux doivent supporter toutes les fautes de leurs épouses, hors le cas d’adultère, Pierre, tous les autres se taisant, s’avance et dit au Christ : Si telle est la condition de l’homme à l’égard de sa femme, il n’est donc pas avantageux de se marier. (Mt. 19,9-10) Remarquez comment, en cette circonstance encore, il garde envers son Maître le respect qu’il lui doit et ne laisse pas que de se préoccuper du salut des autres, sans faire aucun retour sur ses propres intérêts. C’est donc pour prévenir quelque observation de ce genre, c’est pour couper court à toute réplique, que Jésus propose la parabole. Voilà pourquoi l’Évangéliste dit : c’est pour cela que le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs, nous montrant par là que cette parabole a pour but de nous apprendre que, quand même nous aurions pardonné soixante-dix fois sept fois par jour à notre frère nous n’aurions encore rien fait de très-grand, nous serions encore bien loin de la clémence de notre Dieu, et nous n’aurions pas encore donné autant que nous avons reçu.
4. Voyons donc cette parabole : car, bien qu’elle paraisse assez claire en elle-même, elle renferme cependant tout un trésor, trésor caché et ineffable, de pensées précieuses à recueillir. Le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. Ne passez pas légèrement, sur cette parole ; représentez-vous ce tribunal et, descendant dans votre conscience, rendez-vous compte de ce que vous avez fait pendant toute votre vie : figurez-vous que les serviteurs soumis à cette reddition de compte, ce sont et les rois et les généraux et les éparques, et les riches et les pauvres, et les esclaves et les personnes libres ; car tous nous devons comparaître devant le tribunal du Christ. (2Cor. 5,10) Si vous êtes riche, pensez que l’on vous demandera compte de la manière dort vous aurez employé vos richesses pour entretenir des courtisanes ou pour subvenir aux besoins des pauvres, pour nourrir des parasites et des flatteurs ou pour secourir des indigents, au libertinage ou à la charité, à la débauche, à la prodigalité, à l’ivresse, ou à secourir ceux qui étaient dans la tribulation. On vous demandera compte, encore de la manière dont vous aurez acquis votre bien, si vous le devez à des travaux honnêtes, ou à la rapine et à la fraude ; si vous l’avez reçu de votre père en héritage, ou si vous ne le possédez qu’aux dépens des orphelins dont vous avez ruiné les maisons, aux dépens des veuves dont vous avez pillé la fortune. Et de même que nous, nous faisons rendre compte à nos serviteurs, non seulement de leurs dépenses, mais encore de leurs recettes, et que nous leur demandons d’où ils ont reçu tel bien, de qui, comment, en quelle quantité, Dieu aussi voudra savoir non seulement comment nous aurons employé notre fortune, mais encore comment nous l’aurons acquise. Et si le riche rend compte de ses richesses, le pauvre rendra compte de sa pauvreté, s’il l’a supportée avec courage et sans répugnance, sans murmure, sans impatience, s’il n’a pas accusé la divine Providence, en voyant tant d’autres hommes plongés dans les délices et les prodigalités, tandis qu’il est, lui, accablé par le besoin. Le riche rendra compte de sa miséricorde et le pauvre de sa patience, et non seulement de sa patience, mais encore de sa miséricorde : car l’indigence n’empêche pas de faire l’aumône, témoin cette veuve qui jeta dans le tronc deux petites pièces, et à qui sa faible aumône valut plus de mérites qu’aux autres leurs, riches offrandes. Et ce ne seront pas seulement les riches et les pauvres, mais encore les dépositaires du pouvoir et de la justice, dont la conduite sera scrutée avec rigueur, et à qui l’on demandera s’ils n’ont pas corrompu la justice, si ce n’est pas la bienveillance ou la haine de l’homme privé qui a guidé l’homme public dans ses décisions, s’ils n’ont pas, pour gagner les bonnes grâces de quelqu’un, donné leur suffrage contre le droit, s’ils n’ont pas, par esprit de vengeance, sévi contre des innocents.
Et, avec le pouvoir séculier, ce sera aussi le pouvoir ecclésiastique qui rendra compte de sa gestion, et c’est ce dernier surtout qui sera soumis à un examen sévère et terrible. Pour celui qui a reçu le ministère de la parole, on examinera rigoureusement si, par paresse ou par haine, il n’a pas passé sous silence une chose qu’il fallait dire, si par ses œu ires il n’a pas démenti sa parole, s’il n’a rien caché de ce qui était utile. Quant à l’évêque, plus sa charge est élevée, plus on lui demandera un compte sévère et sur l’instruction qu’il aura donnée à son peuple, et sur la, protection qu’il aura accordée