Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 3, 1864.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

milieu des dangers, des outrages et des affronts, il triomphait et écrivait aux Corinthiens : Aussi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages et dans les persécutions que j’éprouve. (2Cor. 12,10) Il appelait ses peines et ses travaux les armes de la justice (2Cor. 4,7), faisant voir qu’il en tirait les plus grands avantages, et que ses ennemis ne pouvaient le prendre d’aucun côté. De toutes parts accablé de coups, d’outrages et d’injures, il s’applaudissait comme s’il eût été mené en triomphe, comme s’il eût érigé sans cesse des trophées sur toute la terre ; il rendait grâce à Dieu en disant : Grâces soient rendues à Dieu, qui nous fait toujours triompher. (2Cor. 2,14) Il cherchait les affronts et les outrages que lui attirait la prédication, beaucoup plus que nous ne cherchons la gloire et les honneurs ; il désirait la mort beaucoup plus que nous n’aimons la vie ; il chérissait la pauvreté beaucoup plus que nous n’ambitionnons les richesses ; il embrassait les travaux et les peines avec beaucoup plus d’ardeur que nous ne désirons le repos et les plaisirs. Il s’affligeait plus volontiers que les autres ne se réjouissent ; il priait pour ses ennemis avec plus de zèle que les autres ne font contre eux d’imprécations. Il avait renversé l’ordre des choses, ou plutôt c’est nous qui le renversons, et lui l’observait tel qu’il est établi par Dieu. Ce qu’il faisait était conforme à la nature ; ce que nous faisons y est contraire.
Quelle en est la preuve ? Saint Paul lui-même, qui, étant homme, courait plus volontiers aux peines qu’aux plaisirs. La seule chose qu’il redoutait et qu’il évitait, c’était d’offenser Dieu ; comme la seule chose qu’il désirait était de plaire à Dieu. Aucun des biens présents, je dis même aucun des biens futurs, ne lui semblait désirable ; car ne me parlez pas des villes, des nations, des princes, des armées, des armes, des richesses, des principautés et des puissances : tout cela n’était pas même à ses yeux une vile poussière ; mais considérez le bonheur qui nous est promis dans le ciel, et alors vous verrez tout l’excès de son amour pour Jésus. La dignité des anges et des archanges, toute la splendeur céleste n’étaient rien pour lui, en comparaison de la douceur de cet amour : l’amour de Jésus était pour lui plus que tout le reste. Avec cet amour, il se regardait comme le plus heureux de tous les êtres ; il n’aurait pas voulu, sans cet amour, habiter au milieu des trônes et des dominations il aurait mieux aimé, avec la charité de Jésus, être le dernier de la nature, se voir condamné aux plus grandes peines, que sans elle d’en être le premier, et d’obtenir les plus magnifiques récompenses. Être privé de cette charité était pour lui le seul supplice, le seul tourment, le seul enfer, le comble de tous les maux : posséder cette même charité était pour lui la seule jouissance ; c’était la vie, le monde, les anges, les choses présentes et futures, c’était le royaume, c’étaient les promesses, c’était le comble de tous les biens. Rien de ce qui ne le conduisait pas là n’était pour lui ni fâcheux ni agréable ; tous les objets visibles, il les méprisait comme une herbe desséchée. Les tyrans, les peuples furieux, ne lui paraissaient que des insectes importuns ; la mort, les supplices, tous les tourments imaginables, ne lui semblaient que des jeux d’enfants, à moins qu’il ne fallût les souffrir pour l’amour de Jésus-Christ ; car alors il les embrassait avec joie, et il se glorifiait de ses chaînes, plus que Néron du diadème qui décorait son front. Il habitait la prison comme si t’eût été le ciel même ; il recevait les coups de fouet et les blessures plus volontiers que les athlètes ne saisissent le prix dans les jeux. Il ne chérissait pas moins que la récompense le travail, qu’il regardait comme une récompense ; aussi l’appelait-il une grâce. En voici la preuve : C’était pour lui un avantage d’être dégagé des liens du corps, et d’habiter avec Jésus-Christ, c’était une peine de demeurer dans un corps mortel ; cependant il choisit l’un plutôt que l’autre, et il le regarde comme plus essentiel. C’était pour lui une peine et un travail d’être séparé de Jésus-Christ, et la peine la plus dure, et le travail le plus rude ; c’était pour lui un avantage et une récompense d’habiter avec Jésus-Christ ; mais il choisit l’un plutôt que l’autre pour l’amour de Jésus-Christ. On dira peut-être que tout cela lui était agréable pour l’amour de Jésus. C’est ce que je dis moi-même, et je prétends que ce qui cause en nous de la tristesse lui procurait une satisfaction abondante. Et que parlé-je de ses périls et de ses autres tribulations ? il éprouvait une peine continuelle qui lui faisait dire : Qui est faible sans que je m’affaiblisse avec lui ? qui est scandalisé sans que je brûle ? (2Cor. 2,29) À moins qu’on ne dise que cette peine était accompagnée d’un certain plaisir. Ainsi des mères qui ont perdu leurs enfants sont soulagées, en