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même démarche chancelante, même bouleversement d’esprit, même chute, même égarement des yeux, même manière de se débattre quand le corps est renversé par terre ; l’écume sort de la bouche, même salive infecte, même insupportable exhalaison. Un homme de cette espèce est un objet de dégoût pour ses amis, de risée pour ses ennemis, de mépris pour ses serviteurs, d’ennui pour sa femme ; insupportable à tous, il est plus à charge que les êtres mêmes dépourvus de raison. Les animaux ne boivent qu’autant qu’ils ont soif, la mesure du besoin règle leurs désirs ; celui-ci, dans son intempérance, franchit toute mesure, plus dépourvu de raison que les êtres sans raison. Et, ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’une maladie qui porte en soi tant de maux, escortée de tant de calamités, ne semble pas pouvoir être un sujet d’accusation : au contraire, aux tables des riches, c’est un combat, c’est un concours, en vue de cette ignominie, et l’on rivalise à qui sera plus ostensiblement infâme, à qui sera plus ridicule, à qui s’énervera le mieux, à qui saura le mieux ruiner ses forces, irriter le Seigneur, notre Maître, notre Dieu, et l’on voit ce stade, cette lutte où préside le démon. L’homme qui s’enivre est plus malheureux que les morts ; le mort est gisant, privé de sentiment, incapable de tout bien comme de tout mal ; mais celui-ci est prompt à faire toute action mauvaise, son corps est pour lui comme un tombeau où il a enseveli son âme, et il promène son corps qui n’est qu’un cadavre. Ne voyez-vous pas comme il est plus malheureux qu’un démoniaque ? plus privé de sentiment que les morts ? Voulez-vous que j’ajoute ce qui est plus grave, plus triste que tout ce que je viens de dire ? L’homme qui s’enivre, ne peut pas entrer dans le royaume des cieux. Qui le dit ? Paul. Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les impudiques, ni ceux qui pratiquent l’abomination, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs, ne seront point héritiers dit royaume de Dieu. (1Cor. 6,9-10) Voyez-vous au milieu de quel chœur il met celui qui s’enivre ? Avec les impudiques, les fornicateurs, les idolâtres, les adultères, les médisants, les avares, les ravisseurs. Que dit-il ? S’enivrer et s’abandonner à l’impudicité, est-ce donc même désordre ? S’enivrer et s’abandonner à l’idolâtrie, ces égarements se ressemblent ? Supprime, ô homme, ces objections ; je viens de rappeler les lois divines, ne me demande rien de plus. Interroge Paul, c’est lui qui répond ? Y a-t-il uniformité ou distinction dans le châtiment, je ne saurais le dire ; mais que celui qui s’enivre soit, comme l’idolâtre, exclu du royaume des cieux, c’est ce que je soutiens en toute assurance ; ce point accordé, à quoi bon me demander des explications sur la mesure du péché ? S’il est vrai qu’il reste en dehors des portes, qu’il est déchu de la royauté céleste, qu’il ne participe point au salut, qu’il est livré à l’éternel supplice, que fais-tu, toi, qui me viens parler de balances et de poids pour les péchés ?
Croyez-moi, mes bien-aimés, c’est un grand fléau que l’ivresse, une vraie calamité. Ce n’est pas à vous que je m’adresse : loin de moi cette pensée ; je suis bien persuadé que votre âme n’est pas souillée de cette maladie, et ce qui me prouve votre santé, c’est votre présence ici, votre zèle à vous réunir dans cette enceinte, votre attention à écouter la parole. Car aucun de ceux qui s’enivrent, ne peut désirer d’entendre la parole de Dieu. Ne vous enivrez pas avec le vin, d’où naissent les dissolutions, mais remplissez-vous du Saint-Esprit. (Eph. 5,18) Voilà l’ivresse qui est belle ; assoupissez votre âme sous l’action de l’Esprit pour échapper à l’assoupissement produit par le vin ; hâtez-vous de mettre le Saint-Esprit en possession de votre intelligence et de vos pensées, afin que le mal honteux ne trouve pas la place vide. Voilà pourquoi l’Apôtre ne dit pas : Participez à l’Esprit, mais : Remplissez-vous de l’Esprit. Votre âme doit être comme une coupe qu’il faut remplir de l’Esprit jusqu’aux bords, afin que le démon n’y puisse rien verser. Il ne suffit pas de participer à l’Esprit par ce qui reste d’une âme déjà plus ou moins pleine d’autres choses, c’est tout entière qu’il faut la remplir de l’Esprit par ces psaumes, ces hymnes, ces chants spirituels dont vous êtes remplis aujourd’hui. Voilà pourquoi je m’assure en votre tempérance. Nous avons une coupe où se boit une belle ivresse, l’ivresse de la tempérance, et non de la dissolution. Quelle est-elle cette coupe ? C’est la coupe spirituelle, la coupe du breuvage sans mélange, la coupe où se boit le sang du Seigneur. Cette coupe-là ne produit pas la honteuse ivresse, cette coupe-là ne produit pas la dissolution ; elle ne ruine pas la force, elle la réveille ; elle ne jette pas les nerfs