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paroles précises qui le proclamaient digne du ciel : Souvenez-vous de moi dans votre royaume. (Luc. 23,42) Ne passons point légèrement sur ces paroles, et ne rougissons point de prendre pour maître un brigand que Notre-Seigneur n’a point rougi de faire entrer le premier dans le ciel. Ne rougissons point de prendre pour maître un homme qui a été jugé digne de jouir du bonheur céleste avant tous les autres humains. Pesons toutes ses paroles, afin de connaître aussi par là la vertu de la croix.
Jésus-Christ n’avait pas dit à ce brigand, ainsi qu’à Pierre et à André : Venez, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. (Mat. 4,19) Il ne lui avait pas dit, ainsi qu’aux douze apôtres Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. (Mat. 19,28) Il ne lui avait pas adressé un seul mot. Le brigand n’avait pas vu les prodiges qu’il avait opérés, les morts ressuscités, les démons chassés, la mer obéissant à ses ordres ; il ne l’avait pas entendu raisonner sur le royaume des cieux. Comment donc avait-il appris ce nom de royaume ? Connaissons sa rare intelligence. Un des deux brigands, dit l’Évangile, accablait Jésus-Christ d’injures ; car il y avait un autre brigand crucifié avec lui, afin que l’on vît s’accomplir cette parole du Prophète : Il a été confondu avec les scélérats. (Isa. 53,12) Les Juifs ingrats et insensés cherchaient tous les moyens d’obscurcir sa gloire, d’avilir sa puissance ; mais la vérité perçait malgré eux, et tous leurs efforts pour l’étouffer ne faisaient que la montrer dans un plus grand éclat. Jésus-Christ était donc accablé d’injures par un des deux brigands, et même par tous les deux, suivant le témoignage d’un des évangélistes (Mc. xv, 32) ; ce qui est vrai, et ce qui manifeste surtout la vertu du brigand dont nous parlons ; car il est probable que lui-même injuriait d’abord Jésus-Christ, mais qu’il ne tarda pas à changer de langage. Un des deux brigands accablait Jésus-Christ d’injures, dit l’Évangile. Vous voyez brigand et brigand : tous deux sur la croix, tous deux expiant les crimes d’une vie perverse ; mais n’éprouvant pas tous deux le même sort, puisque l’un a obtenu le royaume des cieux, et que l’autre a été précipité dans les enfers. Ainsi nous avons vu hier disciple et disciples. L’un se préparait à trahir son Maître, les autres se disposaient à le servir. L’un disait aux pharisiens \it : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Les autres approchant de Jésus, lui disaient : Où voulez-vous que nous vous préparions la pâque? (Mat. 26,15 et 17) De même ici l’on voit brigand et brigand l’un accablait Jésus d’injures, l’autre fermait la bouche à celui qui l’injuriait ; l’un blasphémait contre lui, l’autre lui reprochait ses blasphèmes, et cela quoiqu’il vît Jésus condamné, crucifié ; quoiqu’il vît le peuple l’attaquer par ses railleries outrageantes. Mais rien ne put l’ébranler, rien ne put changer ses sentiments, ni l’empêcher de faire à son compagnon de vifs reproches, et de lui dire : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? (Luc. 23,40)
3. Vous voyez la sainte liberté d’un brigand, vous voyez comment sur la croix, fidèle, pour ainsi dire, à son métier de brigand, il emporte de force par sa confession et ravit le royaume céleste. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? dit-il. Vous voyez sa liberté sur la croix, vous voyez sa sagesse, vous voyez sa modération. Toujours maître de lui-même, jouissant de toute sa raison, quoique percé de clous, quoiqu’essuyant au milieu de son supplice les douleurs les plus affreuses, ne mérite-t-il pas d’être admiré pour ses sentiments magnanimes ? Quant à moi, je ne le trouve pas seulement admirable, mais je le trouve bienheureux. Insensible à ses propres douleurs, et s’oubliant lui-même, il s’occupait d’un autre, il cherchait à le détromper, à lui donner des leçons même sur la croix. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu ? lui disait-il. Il semblait lui dire : Ne faites pas attention au tribunal des hommes, ne jugez point par ce que vous voyez, ne considérez point seulement ce qui se passe sous vos yeux. Il est un autre juge invisible, dont le tribunal suprême est inaccessible à la corruption et à la séduction. Ne pensez donc pas qu’il a été condamné par les hommes, mais songez aux jugements de Dieu qui sont bien différents. Ici-bas, dans les tribunaux humains, les innocents sont souvent condamnés, tandis que les coupables sont absous ; les justes subissent la peine, tandis que les injustes y échappent. La plupart des hommes jugent mal ou par mauvaise volonté ou malgré eux. Ils trahissent la vérité et condamnent l’innocence, ou parce qu’on les trompe et qu’ils ignorent la justice, ou parce que,-corrompus par argent, ils agissent contre leurs propres lumières. Mais il n’en est pas ainsi de Dieu : C’est un juste juge, et ses jugements sont aussi purs, aussi