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pas de vous-mêmes, lorsque vous envisagez la conversion de la prostituée ; n’ayez pas trop de confiance, lorsque vous considérez la trahison du disciple : la présomption et le désespoir sont également nuisibles. Notre volonté est faible et chancelante ; nous devons donc nous fortifier et nous affermir de toute part. Alors Judas Iscariote, un des douze; vous voyez de quel rang il est déchu, vous voyez de quelles instructions il s’est privé lui-même, vous voyez combien la négligence est un grand mal. – Judas Iscariote, dit l’Évangile, parce qu’il y en avait un autre du même nom, fils de Jacques. Vous voyez la sagesse de l’Évangéliste : il fait connaître l’un, non par son crime, mais par le lieu de sa naissance, et l’autre, non par le lieu de sa naissance, mais parle nom de son père. Cependant il était naturel de dire : Judas le traître ; mais afin de nous apprendre à ne permettre à notre langue aucune invective, il épargne même à Judas le nom de traître. Apprenons donc à ne parler d’aucun de nos ennemis en termes injurieux ; car si l’Évangéliste, dans le récit même du crime de Judas, ne s’est point permis de l’attaquer comme traître, s’il a tu ce nom, et s’il a fait connaître Judas par le lieu de son origine, quel pardon mériterions-nous, si nous invectivions contre nos frères, si nous parlions en termes peu mesurés, non seulement de nos ennemis, mais de ceux mêmes qui paraissent bien disposés à notre égard. Ne le faites pas, je vous en conjure ; écoutez saint Paul qui vous donne cet avis : Qu’aucune mauvaise parole ne sorte de votre bouche. (Eph. 4,29) Aussi le bienheureux Apôtre, auteur de l’évangile, ne voulant souiller sa bouche d’aucune parole injurieuse, disait : Alors un des douze, nommé Judas Iscariote, alla trouver les princes des prêtres, et leur dit : Que voulez-vous me donner, et je le livrerai entre vos mains ?
3. Quelle parole criminelle ! quel excès de folie et d’audace ! je tremble, mes frères, lorsque j’y pense. Comment cette parole est-elle sortie de sa bouche ? comment sa langue a-t-elle pu la prononcer ? comment son âme ne s’est-elle pas échappée avec elle de son corps ? comment ses lèvres n’ont-elles pas perdu tout mouvement ? comment son esprit n’est-il pas tombé dans l’égarement ? Que voulez-vous me donner, et je le livrerai entre vos mains? Quoi donc ! Judas, est-ce là ce que t’a enseigné ton Maître, tout le temps que tu as été à sa suite ? as-tu oublié jusqu’à ce point ses avis continuels ? dans la vue de réprimer de loin ta passion excessive pour l’argent, ne te disait-il pas : Ne possédez ni or ni argent (Mat. 10,9) ; ne te donnait-il pas ce conseil : Si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche? (Mat. 5,39) Pourquoi livres-tu ton Maître ? est-ce parce qu’il t’a donné tout pouvoir sur les démons, qu’il t’a accordé le privilège de dissiper les maladies, de guérir les lépreux, d’opérer beaucoup d’autres prodiges ? est-ce donc là la reconnaissance que tu lui témoignes pour tous les bienfaits que tu en as reçus ? quelle fureur, ou plutôt quelle avarice ! car c’est l’avarice qui a produit tout ce mal, l’avarice, source de tous les maux, l’avarice, qui aveugle nos esprits, qui nous ôte toute raison, qui nous fait fouler aux pieds les lois mêmes de la nature, qui nous fait oublier toutes les liaisons, celles de l’amitié, celles de la parenté, et les autres ; l’avarice, qui, dès qu’une fois elle a obscurci les lumières de notre intelligence, nous fait marcher dans les ténèbres. Et afin de vous convaincre dé ce que je dis, voyez comme cette passion, une fois entrée dans l’âme de Judas, en a chassé tous les sentiments : entretiens avec son divin Maître, instructions admirables reçues de sa bouche, société étroite et familière, l’avarice lui a fait oublier tout. Saint Paul avait donc bien raison de dire que l’avarice est la racine de tous les maux. (1Ti. 6,10) Que voulez-vous me donner, et je le livrerai entre vos mains? Tu livres, Judas, celui qui règle tout par sa parole ; tu vends l’Incompréhensible, le Créateur du ciel et de la terre, l’Auteur de notre nature, Celui qui régit tout par sa volonté.
Mais écoutez ce que fait ce Dieu Sauveur, afin de montrer qu’il n’a été livré que parce qu’il l’a voulu. Dans le moment même de la trahison, lorsque les ministres des princes des prêtres vinrent à lui avec des épées et des bâtons, des flambeaux et des lanternes, il leur adresse ces paroles : Qui cherchez-vous? (Jn. 18,4) Ils ne connaissaient pas celui qu’ils voulaient prendre. Judas était si éloigné de pouvoir livrer son Maître, qu’il ne put l’apercevoir, même à la lueur d’un grand nombre de flambeaux ; car c’est là ce que l’Évangéliste voulait faire entendre, en disant qu’ils vinrent avec des flambeaux et des lanternes, et que, cependant, ils ne le trouvèrent pas ; c’est là, dis-je, ce qu’il voulait faire entendre, puisqu’il