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appelle-t-il dix mille talents les offenses envers lui-même, et cent deniers les offenses des autres envers nous. (Mat. 19,23 et suiv) Si vous remettez les cent deniers, les dix mille talents vous seront remis.
2. Mais en voilà assez de dit sur la prière ; nous allons reprendre les choses d’un peu plus haut, si vous voulez revenir à la trahison de Judas, et voir comment le Fils de Dieu a été livré aux Juifs. Or, afin de mieux sentir toute la fureur du traître, l’énorme ingratitude du disciple, et la bonté infinie du Maître, écoutons l’Évangéliste, et voyons comment il raconte l’attentat du perfide. Alors, dit-il, un des douze, nommé Judas Iscariote, alla trouver les princes des prêtres, et leur dit : Que voulez-vous me donner, et je le livrerai entre vos mains. (Mat. 26,14 et suiv) Ce récit paraît fort simple, et ne cacher aucun sens particulier ; mais si on en examine attentivement toutes les paroles, on y trouvera matière à bien des réflexions, et une grande profondeur de sens. Et d’abord examinons la circonstance. L’Évangéliste ne désigne pas le temps au hasard ; il ne dit pas simplement : Judas alla trouver, mais il ajoute, alors. Alors, dans quel temps ? et pourquoi indique-t-il le temps par ce mot ? Inspiré par l’Esprit-Saint, il ne s’en est pas servi au hasard, puisqu’il ne disait rien au hasard par cela même qu’il était inspiré. Que veut donc dire ce mot alors ! Avant le moment même où Judas partit pour son crime, une jeune fille était arrivée avec un vase rempli de parfums qu’elle avait répandus sur la tête du Seigneur. Cette femme avait donné une preuve éclatante de sa foi vive, de son amour attentif, de sa piété humble et soumise. Ayant renoncé à ses désordres, elle était devenue plus vertueuse et plus sage. C’est donc lorsqu’une prostituée convertie avait reconnu le Sauveur, que le disciple alla livrer son Maître. Alors, dans quel temps ? lorsqu’une prostituée était venue répandre un vase rempli de parfums sur les pieds de Jésus, qu’elle les avait essuyés avec ses cheveux, qu’elle lui avait donné toutes les marques d’attention, qu’enfin elle avait effacé tous ses crimes passés par l’humble aveu de ses fautes. C’est lorsque Judas la, vit témoigner tant d’amour à son Maître et tant : de repentir de ses désordres, c’est alors qu’il s’empressa d’aller consommer son horrible trahison. Cette femme s’était élevée de l’abîme du vice jusqu’au ciel : Judas, après avoir vu tant de miracles et de prodiges, après avoir reçu de si grandes instructions, après avoir éprouvé de la part de son Maître une condescendance inexprimable, est tombé au fond des enfers ; tant la négligence et la corruption du cœur sont un grand mal ! Aussi saint Paul disait-il : Que celui qui croit être ferme, prenne garde de tomber. (1Co. 10,12) Plus anciennement un prophète s’écriait : Quand on est tombé, ne se relève-t-on pas ? et quand on est détourné du droit chemin, n’y revient-on plus ? (Jer. 8,4) Ces deux passages nous apprennent et à ne pas avoir trop de confiance lorsque nous sommes fermes, mais à être continuellement dans la crainte, et à ne pas désespérer de nous-mêmes lorsque nous sommes tombés. Telle est la puissance de notre divin Maître, qu’il a attiré à l’observation de ses préceptes les prostituées et les publicains.
Quoi donc ! direz-vous, lui qui a attiré les prostituées, n’a-t-il pu attirer son disciple ? Sans doute, il a pu attirer son disciple, mais il n’a pas voulu le rendre bon malgré lui, ni l’amener de force. Voilà pourquoi l’Évangéliste, nous racontant les excès de l’ingratitude du disciple, dit : Alors il s’en alla, c’est-à-dire, il partit pour aller consommer son attentat, non sollicité, non pressé, non forcé par un autre, mais de lui-même et de son propre mouvement ; il se porta à son crime par une détermination libre de sa volonté propre ; il ne fut point mu par une cause étrangère, mais il fut poussé à trahir son Maître par un fond de malice intérieure. Alors un des douze s’en alla; ce n’est pas un léger reproche que d’avoir dit : un des douze. Comme il y avait encore d’autres disciples au nombre de soixante et dix, voilà pourquoi l’Évangéliste dit : Un des douze, c’est-à-dire un des disciples d’élite, un de ceux qui étaient tous les jours avec Jésus, qui jouissaient de toute son intimité. Afin donc que vous appreniez que Judas était un des principaux disciples, l’Evangéliste dit : un des douze. Il ne tait pas cette circonstance, afin que ce reproche fait au disciple annonce la sollicitude du Maître pour nous, du Maître qui a comblé de grâces insignes un traître et un voleur, qui n’a point cessé de lui donner des avis utiles jusqu’au dernier soir. Vous voyez comment la prostituée a été sauvée, parce qu’elle a lavé les pieds de Jésus, et comment le disciple est tombé, parce qu’il ne s’est pas tenu sur ses gardes. Ne désespérez donc