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celui qui est tombé. C’est pourquoi saint Paul faisait entendre cet avertissement : Que celui qui paraît être ferme prenne bien garde de ne pas tomber. (1Co. 10,12) Les exemples sont là pour vous apprendre comment le disciple est tombé, alors qu’il paraissait solidement fixé, et comment la pécheresse s’est relevée de son abjection. Notre esprit est versatile, notre volonté chancelante, c’est pourquoi nous avons besoin de nous garder et de nous fortifier de toutes parts. Alors s’en allant, un des douze ; Judas Iscariote. Vous avez vu quel poste d’honneur il a quitté, quelle doctrine il a méprisée, combien sont mauvaises la paresse et la négligence. Judas, qui était appelé Iscariote. Pourquoi me rappeler sa patrie ? Plût à Dieu que je ne connusse pas même son nom ! Judas, qui était appelé Iscariote. Pourquoi nommer sa cité ? Il y avait parmi les disciples un autre Judas, surnommé le zélé, et dans la crainte que la similitude des noms ne fit prendre l’un pour l’autre, l’Evangéliste les à distingués en appelant l’un le zélé, à cause de sa vertu ; mais il a évité dans le surnom de l’autre, de faire allusion à sa perversité ; c’est pourquoi il n’a pas dit : Judas le traître. Et cependant rien de plus naturel qu’après avoir désigné l’un par sa vertu, on désignât l’autre par sa malice en disant\it : Judas le traître. Mais il fallait nous apprendre à nous-mêmes à ne pas souiller notre langue par une accusation et voilà pourquoi le traître a été épargné. S’en allant vers les princes des prêtres, Judas Iscariote leur dit Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? O parole criminelle ! Comment est-elle sortie de sa bouche ? Comment a-t-elle fait mouvoir sa langue ? Comment n’a-t-elle pas glacé le corps tout entier ? Comment l’âme ne s’est-elle pas retirée ?
3. Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? Sont-ce là, dis-moi, les enseignements du Christ ? Ne voulait-il pas au contraire étouffer dans sa racine cette avarice qui te rongeait quand il disait : Ne possédez ni or, ni argent, ni pièce de monnaie dans vos ceintures? (Mat. 10,9) N’est-ce pas là ce qu’il répétait à chaque instant, ajoutant encore : Si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche. (Mat. 5,39) Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? O folie ! quel motif, je te le demande, quelle accusation petite ou grande as-tu à faire valoir pour livrer ton Maître ? Est-ce parce qu’il t’a donné pouvoir contre les démons ? Est-ce parce qu’il t’a fait chasser les maladies ou guérir la lèpre, ressusciter les morts, triompher de la tyrannie de la mort ? Voilà comment tu témoignes ta reconnaissance pour tant de bienfaits ! Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? O folie ! encore une fois. Ou plutôt, ô avarice ! car c’est elle qui a produit tous ces maux, qui t’a poussé à livrer ton maître. Telles sont en effet les conséquences de ce mal funeste : plus que le démon il rend insensées les âmes qu’il envahit, il engendre l’ignorance la plus complète ; on ne connaît plus rien, ni soi-même, ni le prochain, ni les lois de la nature ; on ne se possède plus, on devient fou. Voyez un peu ce qu’elle a fait oublier à Judas : la société, l’intimité, la compagnie de la table, les miracles, la science, les exhortations, les avertissements ; l’avarice lui a fait oublier tout cela. Oh ! que saint Paul avait bien raison de s’écrier : L’avarice est la source de tous les maux. (1 Timoth. 6,10) Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? Parole insensée ! Peux-tu livrer, je te le demande, celui qui renferme tout, qui commande aux démons et à la mer et qui est le maître de toute la nature ? Aussi, pour mettre un frein à une pareille arrogance et montrer que s’il ne l’eût pas voulu, jamais il n’aurait été livré, que fait-il ? – A l’instant même où on le livrait, alors que ses ennemis l’entouraient avec des bâtons, des lanternes et des torches allumées, il leur dit : Qui cherchez-vous ? (Jn. 18,4), et ils ne connaissent plus celui qu’ils sont venus prendre. Judas lui-même était si peu capable de le livrer qu’il ne le reconnaissait pas même devant lui, malgré l’éclat des torches et des flambeaux. C’est ce que veut nous faire comprendre l’Evangéliste quand il dit : Ils avaient des lanternes et des flambeaux, et ils ne le voyaient pas.
Tous les jours le Christ l’avertissait, lui montrant soit par ses œuvres, soit par ses paroles qu’il ne pouvait lui cacher son dessein de le trahir. Il ne le reprenait pas publiquement, en présence de tous, dans la crainte de le rendre plus impudent, mais il ne gardait pas un silence absolu de peur que la pensée de n’être pas découvert ne lui fît accomplir son crime en toute sécurité. Il disait donc sou vent : Un de vous me livrera, mais sans indiquer ouvertement de qui il s’agissait. Il parlait souvent du ciel et de l’enfer et il manifestait ainsi sa puissance par la manière dont les