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même de Jérusalem, où le danger était si grand, comment aurait-il pu longtemps après, lorsqu’il était à Antioche où il ne courait aucun danger, et où sa réputation s’était si bien établie, appuyée qu’elle était sur le témoignage de ses actions, comment aurait-il pu craindre des Juifs devenus chrétiens ? Lui qui au début, dans Jérusalem même, n’avait pas eu peur des Juifs, comment aurait-il pu si longtemps après, alors qu’il était eu pays étranger, craindre ceux d’entre eux qui s’étaient convertis ? Ce n’est donc pas un acte d’accusation que Paul dresse contre Pierre, mais son langage lui est inspire par la même pensée qui lui avait déjà fait écrire : « Quant à ceux qui paraissaient les plus considérables, je ne m’arrête pas à ce qu’ils ont été autrefois ». Mais, pour ne point rester plus longtemps dans le douté à ce sujet, il est nécessaire de faire connaître la cause du débat.
Dans Jérusalem même, les apôtres, comme je l’ai dit plus haut, toléraient la circoncision, car il n’était pas possible d’arracher brusquement les Juifs au joug de la loi. Mais, lorsqu’ils entrèrent à Antioche, ils n’observèrent plus de semblables pratiques, et vécurent au contraire sans distinction aucune avec les gentils devenus fidèles : cure Pierre aussi faisait alors. Mais quand vinrent de Jérusalem ceux qui l’avaient vu prêcher chez eux, dans le sens de la circoncision, Pierre cessa de se mêler aux gentils, parce qu’il craignait de les effrayer, et il se sépara de ses compagnons. Il avait deux choses en vue ; c’était de ne pas scandaliser les Juifs convertis, et de fournir à Paul un prétexte plausible pour l’en blâmer. Si en effet, après avoir, dans Jérusalem, prêché l’Évangile de la circoncision, il avait changé de doctrine quand il était à Antioche, les Juifs convertis auraient pensé qu’il agissait, ainsi par crainte de Paul, et ses disciples l’auraient méprisé pour sa versatilité, ce qui n’aurait pas été un mince scandale. Cependant Paul, qui savait fort bien à quoi s’en tenir, n’aurait pas ou de pareils soupçons sur son compte, en le voyant revenir sur ce qu’il avait fait, car il connaissait les intentions de Pierre. Aussi Paul adresse-t-il des reproches à Pierre, qui les supporte patiemment, afin que ses disciples soient plus prompts à suivre son changement en voyant leur maître subir ces reproches sans répondre. Sans un événement de ce genre, les recommandations de. Paul n’aurait pas eu beaucoup de résultats, tandis qu’en profitant de l’occasion pour éclater en critiques très-vives, il intimidait davantage les disciples de Pierre. Si d’un autre côté Pierre avait répondu, on lui aurait reproché, et à bon droit, d’arrêter le développement de l’Évangile, tandis que dans la circonstance présente, les reproches de l’un et le silence de l’autre faisaient une profonde impression sur les Juifs convertis. Voilà pourquoi Paul se montre si acerbe à l’égard de Pierre.
5. Voyez quelle précision dans son langage, et comme il donne à comprendre aux hommes intelligents qu’il parla de la sorte, non par esprit de lutte, mais par une politique prudente. « Lorsque Pierre vint à Antioche », dit-il, « je lui résistai en face, parce qu’il était répréhensible ». Il ne dit pas que c’était là son opinion, mais que c’était celle des autres. Si pour sa part il l’avait trouvé répréhensible, il n’aurait pas manqué de le dire nettement. Quand il dit : « Je lui résistai en face », ce n’est là qu’une figure. Car si t’eût été une lutte véritable, ils ne l’auraient pas engagée devant leurs disciples, qui en auraient été singulièrement scandalisés. Mais cette fois une lutte apparente et publique devait amener de bons résultats. Et de même que Pierre avait cédé aux Juifs convertis, quand il était à Jérusalem, de même ceux-ci devaient céder à leur tour maintenant qu’ils étaient à Antioche. En quoi Pierre était-il donc répréhensible ? « Car, avant que quelques-uns qui venaient d’avec Jacques[1] fussent arrivés, il mangeait avec les gentils ; mais après leur arrivée il se retira et se sépara d’avec les gentils, ayant peur de blesser les circoncis (12) ». Il ne redoutait pas le danger, car lui, qui n’en avait pas eu peur au commencement, devait le redouter beaucoup moins encore à cette époque, mais il craignait de voir ses disciples renoncer au christianisme. C’est aussi ce que Paul lui-même dit aux Galates : « Je crains pour vous que je n’aie pris une peine inutile » (Gal. 4,11} ; et ailleurs : « Mais j’appréhende qu’ainsi que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi « ne se corrompent ». (2Cor. 11,3) La crainte de la mort n’était rien pour eux, mais ce qui troublait surtout leur âme, c’était la crainte de perdre leurs disciples.

  1. Jacques lui-même était resté à Jérusalem.