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pas leur captivité, n’appela-t-il point au secours ? Pour bien des raisons : d’abord il les avait entendus louer Dieu ; et des enchanteurs n’auraient jamais chanté de tels hymnes. Il est écrit : « Il les entendit louer Dieu ». En second lieu, loin de s’enfuir, ils l’empêchèrent de se donner la mort : s’ils avaient agi dans leur intérêt, ils ne seraient pas restés dans le cachot, et auraient commencé par se tirer d’affaire eux-mêmes. Mais ils firent preuve d’une grande bonté : ils l’empêchèrent de se tuer, lui qui les avait chargés de fers : c’est comme s’ils lui avaient dit : Tu nous as mis en lieu sûr, en nous enfermant dans la partie la plus reculée du cachot ; tu nous as durement enchaînés : c’est pour que tu sois affranchi toi-même de la plus rigoureuse des captivités. Chacun, en effet, est étreint dans les chaînes de ses propres péchés : chaînes maudites ; celles-ci, au contraire, sont des chaînes de félicité, qu’il faut souhaiter de tous ses vœux… Que ces dernières brisent les autres, Dieu te l’a fait voir par un exemple sensible. As-tu vu tomber les chaînes de fer qui chargeaient les prisonniers ? Eh bien ! tu te verras toi-même déchargé d’autres chaînes pesantes. Ces chaînes, j’entends celles des prisonniers, non celles de Paul, représentent celles du péché. Ces prisonniers l’étaient doublement. Le geôlier était prisonnier lui-même. Les prisonniers étaient enchaînés dans leurs fers et dans leurs péchés ; le geôlier était captif de ses seuls péchés. Paul délivra les premiers pour éclairer l’autre : car ces chaînes étaient visibles.

Jésus tint une conduite pareille, ou plutôt inverse. Il avait affaire à une double paralysie, celle des péchés et celle du corps. Que fit-il en cette occurrence ? « Aie confiance, dit-il, mon enfant, tes péchés te sont remis ». (Mat. 9,2) Il commence par la vraie paralysie, avant d’arriver à l’autre… « Quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : Celui-ci blasphème. Mais comme Jésus avait vu leurs pensées, il dit : Pourquoi pensez-vous mal en vos cœurs ? Lequel est le plus facile de dire : tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit et retourne en ta maison ». (Mat. 9,3-6) Il prouvait ainsi la vérité impalpable par le fait sensible, il partait du corps pour arriver à l’âme. Et pourquoi agit-il ainsi ? Afin d’accomplir la parole : « Mauvais serviteur, c’est par ta propre bouche que je te jugerai ». (Luc. 19,22) Que disaient les scribes ? Nul ne peut remettre les péchés, si ce n’est, Dieu seul : ni ange, ni archange, ni aucune autre puissance créée n’a cette faculté. Vous en êtes tombés d’accord. Que fallait-il donc dire ? Si je montre que je remets les péchés, il est évident que je suis Dieu… Il ne dit pas cela : que dit-il donc ? « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit, et retourne en ta maison ». C’est comme s’il disait : Quand j’aurai fait le plus difficile, il est clair qu’en ce qui regarde le plus facile il ne vous restera plus de refuge ni de prétexte à m’opposer. S’il commence par ce miracle impalpable, c’est parce que ses adversaires étaient en grand nombre. Après cela, il passa à un prodige sensible. Donc le geôlier pouvait croire sans faiblesse d’esprit : il avait vu les prisonniers : il ne les avait ni vus ni entendus faire ou dire rien de coupable ; il n’avait été témoin d’aucun sortilège : ils louaient Dieu ; il les avait vus déployer en toutes choses une bonté parfaite : car ils ne s’étaient pas vengés de lui, le pouvant. Ils auraient pu s’échapper et délivrer en même temps les prisonniers : ou tout au moins s’évader eux-mêmes. Ils n’en firent rien : de sorte qu’ils le pénétrèrent de respect, non seulement par le miracle, mais encore par leur manière d’agir. Écoutez plutôt Paul crier d’une voix, forte : « Ne te fais aucun mal ; car nous sommes tous ici ». Voyez-vous cette simplicité, cette modestie, cette charité. Il ne dit pas : Cela est arrivé à cause de nous : il dit comme s’il était le premier venu des prisonniers : « Car nous sommes tous ici ». Cependant s’ils n’avaient pas pris les devants et profité du miracle pour s’évader, ils pouvaient au moins se taire, et délivrer tous les prisonniers : car s’ils avaient gardé le silence, au lieu de retenir le geôlier par un grand cri, cet homme se serait percé la gorge de son épée. Si Paul cria, c’est encore parce qu’on l’avait relégué au fond de la prison. C’est comme s’il avait dit : Tu as agi contre toi-même, en jetant au fond du cachot ceux qui devaient te sauver. Mais ils n’imitèrent pas sa conduite à leur égard. S’il était mort, tous se seraient enfuis.

5. Vous le voyez : ils aimèrent mieux rester