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l’esprit de servitude qui inspire la crainte ». Puis, sans parler de ce qui est opposé à l’esprit de servitude, c’est-à-dire de l’esprit de liberté, il exprime quelque chose de bien préférable : « L’Esprit d’adoption », qui donnait aussi la liberté : « Mais vous avez reçu l’esprit d’adoption des fils ». Voilà qui est évident ; mais qu’est-ce que l’esprit de servitude ? Ceci n’est pas aussi clair. Il est donc nécessaire de l’expliquer : car ce n’est pas seulement une obscurité, mais une grande difficulté.
En effet, le peuple juif n’avait point reçu l’Esprit ; que veut donc dire l’apôtre ? Il donne ce nom à la lettre parce qu’elle était spirituelle, comme il l’a donné à la loi, à l’eau qui sortit du rocher, à la manne. Il a dit en effet : « Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et ils ont bu le même breuvage spirituel ». (1Cor. 10,3-4) Il en a dit autant de la pierre : « Car ils buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait ». (Id) Comme tout cela était au-dessus de la nature, il lui donnait le nom de spirituel, mais non parce que ceux qui y participaient avaient reçu l’Esprit. Et comment la lettre était-elle une lettre de servitude ? Passez en revue toutes leurs institutions, et vous le verrez clairement. Le châtiment leur venait immédiatement, la récompense ne se faisait point attendre ; réglée dans sa mesure et comparable au salaire quotidien d’un domestique ; de tous côtés ils avaient devant les yeux des sujets de crainte, des purifications corporelles, une modération qui ne s’étendait qu’aux actes.
Chez nous il n’en est pas de même : car l’esprit et la conscience doivent être purs. En effet le Christ ne nous dit pas : Tu ne tueras point, mais : Tu ne te mettras point en colère ; il ne dit pas : Tu ne commettras point l’adultère, mais : Tu ne jetteras point de regard impudique ; afin que la vertu et les bonnes œuvres ne soient plus le résultat de la crainte, mais les fruits de notre amour pour lui. Il ne nous promet plus une terre où coulent des ruisseaux de miel et de lait, mais que nous serons les cohéritiers de son Fils unique : pour nous détacher entièrement des biens présents, il nous en promet qui seront vraiment dignes d’enfants de Dieu, où il n’y aura plus rien de sensible ni de corporel, mais où tout sera spirituel. En sorte que si les Juifs avaient le nom de fils, ils étaient pourtant esclaves ; tandis que, devenus libres, nous avons reçu l’adoption et nous attendons le ciel ; à eux, Dieu parlait par d’autres ; à nous, il parle par lui-même ; ils n’agissaient que par un motif de crainte, tandis que les spirituels agissent par le désir et par l’amour, comme ils le font assez voir en dépassant les préceptes. Les Juifs, comme des mercenaires et des ingrats, ne cessaient jamais de murmurer ; les spirituels ne cherchent que le bon plaisir du Père ; les Juifs, une fois les bienfaits reçus, blasphémaient ; nous, nous rendons grâces même au sein des périls. S’il s’agit de la punition des pécheurs, la différence est grande encore. Nous ne nous convertissons point comme eux, par crainte d’être lapidés, brûlés, mutilés par les prêtres ; il suffit que nous soyons exclus de la table paternelle et condamnés à une absence d’un nombre de jours déterminés. Chez les Juifs, l’adoption était un titre purement honorifique ; chez nous les effets suivent, la purification parle baptême, le don de l’Esprit, tous les autres biens en abondance. Il y aurait bien d’autres choses à dire pour montrer la noblesse de notre condition et la bassesse de la leur ; l’apôtre se contente de les indiquer par ces mots d’esprit, de crainte, d’adoption ; puis il passe à une autre preuve, pour démontrer que nous avons l’esprit d’adoption. Quelle est cette preuve ? « Dans lequel nous crions : Abba, le Père (15) ».
3. Or, ce que cela vaut, les initiés le savent, eux qui reçoivent l’ordre de prononcer ce mot pour la première fois dans la prière mystique. Mais quoi ! direz-vous, est-ce que les Juifs ne donnaient pas aussi à Dieu le noie de Père ? N’entendez-vous pas Moïse dire : « Tu as abandonné le Dieu qui t’a engendré ? » (Deut. 32,18) N’entendez-vous pas Malachie dire en forme de reproche : « Un seul Dieu nous a créés, nous n’avons tous qu’un Père ? » (Mal. 2,10) Malgré ces textes et bien d’autres encore, nous ne voyons nulle part que les Juifs appelassent Dieu leur père et l’invoquassent sous ce nom. Et nous tous, prêtres et simples fidèles, princes et sujets, nous avons ordre de prier ainsi. Ce mot, nous l’avons prononcé pour la première fois après l’enfantement merveilleux, après cette naissance étonnante et extraordinaire. D’ailleurs, si les Juifs appelaient ainsi Dieu, ce n’était point par une inspiration propre ; tandis que ceux qui vivent sous la loi de grâce, le font par le mouvement et l’action de l’esprit. Car, comme il y a un, esprit de sagesse, par lequel les insensés deviennent