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Ayant ainsi parlé, il disparut, et comme on pria pour son âme, il ne fut oncques vu depuis[1].

En 1750 un officier du prince de Conti, étant couché dans le château de l’Ile-Adam, sentit tout à coup enlever sa couverture. Il la retire ; on renouvelle le manège tant qu’à la fin l’officier ennuyé jure d’exterminer le mauvais plaisant, met l’épée à la main, cherche dans tous les coins et ne trouve rien. Étonné, mais brave, il veut avant de conter son aventure éprouver encore le lendemain si l’importun reviendra. Il s’enferme avec soin, se couche, écoute longtemps et finit par s’endormir. Alors on lui joue le même tour que la veille. Il s’élance du lit, renouvelle ses menaces et perd son temps en recherches. La crainte s’empare de lui ; il appelle un frotteur qu’il prie de coucher dans sa chambre, sans lui dire pour quel motif. Mais l’esprit, qui avait fait son tour, ne paraît plus. La nuit suivante il se fait accompagner du frotteur, à qui il raconte ce qui lui est arrivé, et ils se couchent tous deux. Le fantôme vient bientôt, éteint la chandelle qu’ils avaient laissée allumée, les découvre et s’enfuit. Comme ils avaient entrevu cependant un monstre difforme, hideux et gambadant, le frotteur s’écria que c’était le diable et courut chercher de l’eau bénite. Mais au moment qu’il levait le goupillon pour asperger la chambre, l’esprit le lui enlève et disparaît… Les deux champions poussent des cris ; on accourt, on passe la nuit en alarmes, et le matin on aperçoit sur le toit de la maison un gros singe qui, armé du goupillon, le plongeait dans l’eau de la gouttière et en arrosait les passants.

En 1210 un bourgeois d’Épinal, nommé Hugues, fut visité par un esprit qui faisait des choses merveilleuses, et qui parlait sans se montrer. On lui demanda son nom et de quel lieu il venait. Il répondit qu’il était l’esprit d’un jeune homme de Clérentine, village à sept lieues d’Épinal, et que sa femme vivait encore. Un jour Hugues ayant ordonné à son valet de seller son cheval et de lui donner à manger, le valet différa de faire ce qu’on lui commandait ; l’esprit fit son ouvrage au grand étonnement de tout le monde. Un autre jour Hugues, voulant se faire saigner, dit à sa fille de préparer des bandelettes. L’esprit alla prendre une chemise neuve dans une autre chambre, la déchira par bandes et vint la présenter au maître en lui disant de choisir les meilleures. Un autre jour la servante du logis ayant étendu du linge dans le jardin pour le faire sécher, l’esprit le porta au grenier et le plia plus proprement que n’aurait pu faire la plus habile blanchisseuse. Ce qui est remarquable, c’est que pendant six mois qu’il fréquenta cette maison, il n’y lit aucun mal à personne et ne rendit que de bons offices, contre l’ordinaire de ceux de son espèce. Voy. Hecdekin.

Sur la fin de l’année 1746 on entendit comme des soupirs qui partaient d’un coin de l’imprimerie du sieur Lahard, l’un des conseillers de la ville de Constance. Les garçons de l’imprimerie n’en firent que rire d’abord. Mais dans les premiers jours de janvier on distingua plus de bruit qu’auparavant. On frappait rudement contre la muraille, vers le même coin où l’on avait d’abord entendu des soupirs ; on en vint jusqu’à donner des soufflets aux imprimeurs et à jeter leurs chapeaux par terre. L’esprit continua son manège pendant plusieurs jours, donnant des soufflets aux uns, jetant des pierres aux autres ; en sorte que les compositeurs furent obligés d’abandonner ce coin de l’imprimerie. Il se fit alors beaucoup d’autres tours, dans lesquels les expériences de la physique amusante entrèrent probablement pour beaucoup, et enfin cette farce cessa sans explication. Voy. Revenants, Apparitions, Drolles, etc.

Voici l’histoire d’un esprit qui fut cité en justice : — En 1761 un fermier de Southams, dans le comté de Warwick (Angleterre), fut assassiné en revenant chez lui. Le lendemain un voisin vint trouver la femme de ce fermier et lui demanda si son mari était rentré ; elle répondit que non et qu’elle en était dans de grandes inquiétudes. — Vos inquiétudes, répliqua cet homme, ne peuvent égaler les miennes, car comme j’étais couché cette nuit sans être encore endormi, votre mari m’est apparu, couvert de blessures et m’a dit qu’il avait été assassiné par son ami John Dick et que son cadavre avait été jeté dans une marnière. La fermière alarmée fit des perquisitions. On découvrit dans la marnière le corps blessé aux endroits que le voisin avait désignés. Celui que le revenant avait accusé fut saisi et mis entre les mains des juges, comme violemment soupçonné de meurtre. Son procès fut instruit à Warwick ; les jurés l’auraient condamné aussi témérairement que le juge de paix l’avait arrêté, si lord Raymond, le principal juge, n’avait suspendu l’arrêt. — Messieurs, dit-il aux jurés, je crois que vous donnez plus de poids au témoignage d’un revenant qu’il n’en mérite. Quelque cas qu’on fasse de ces sortes d’histoires, nous n’avons aucun droit de suivre nos inclinations particulières sur ce point. Nous formons un tribunal de justice, et nous devons nous régler sur la loi ; or je ne connais aucune loi existante qui admette le témoignage d’un revenant, et quand il y en aurait une qui l’admettrait, le revenant ne paraît pas pour faire sa déposition. Huissier, ajouta-t-il, appelez le revenant. Ce que l’huissier fit par trois fois sans que le revenant parût. — Messieurs, continua lord Raymond, le prisonnier qui est à la barre est, suivant le témoignage de gens irréprochables, d’une réputation sans tache, et il n’a

  1. Leloyer, Histoire des spectres et apparitions des esprits.