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Commençons, de préférence, par des récits directs de magiciens ; nous avons le bonheur d’en posséder quelques-uns. L’un des plus importants est l’histoire de l’initiation magique d’un docteur des Wiraijuri (S. N. S. W.), rapportée par M. Howitt avec tous les détails nécessaires à la critique[1]. Justement, il est remarquable que si nous n’avions pas eu cette description anecdotique, historique, d’un cas particulier, nous eussions été tentés de ranger les Wiraijuri parmi les tribus qui n’ont de l’initiation magique qu’une image fort sommaire et incomplète[2], alors qu’au contraire l’anecdote est des plus mouvementées et des plus riches en épisodes mythiques, des plus abondantes en renseignements psychologiques et présente, réunis, presque tous les thèmes connus.

Le futur magicien était un Kangourou de la classe matrimoniale Muri, son père était un Iguane de la classe matrimoniale Yibai. Une première initiation, toute préparatoire, a lieu sous la direction du père[3], avant l’initiation religieuse du jeune homme à la tribu. Le père l’emmène dans la brousse, place contre sa poitrine deux gros morceaux de cristal de roche « et ils s’évanouirent en moi », ajoute notre magicien. « Je ne sais pas comment ils pénétrèrent, mais je les sentis me traverser comme une onde de chaleur. » Il lui donne aussi quelque chose comme des cristaux de quartz à boire dans l’eau. « On eût dit de la glace, et l’eau me parut extrêmement douce. » Après cela il put voir les esprits. Le jeune homme fut ensuite initié

  1. A. M. M., p. 49 à 51. Le récit a été confidentiel, apparemment sincère : d’ailleurs M. Howitt dit que, dans ces matières, il est incroyable qu’un Australien falsifie consciemment la vérité, quand bien même il sait impossible la vérification de ses dires.
  2. Howitt, A. M. M., p. 69, parle simplement de la montée au ciel vers Baiamai ; cf. p. 51. On some Australian Ceremonies of Initiation ; J. A. I., XIII, p. 445. Cf. plus haut, p. 137, n. 1.
  3. À remarquer que nous sommes ici dans une tribu à filiation utérine du clan et de la phratrie, mais à classes matrimoniales : la révélation magique suit la ligne masculine, car le système des classes matrimoniales a pour but précisément de tenir compte de la filiation masculine.