Mélanges d’histoire des religions/L’Origine des pouvoirs magiques dans les sociétés australiennes

L’ORIGINE DES POUVOIRS MAGIQUES
DANS LES SOCIÉTÉS AUSTRALIENNES


ÉTUDE ANALYTIQUE ET CRITIQUE DE DOCUMENTS
ETHNOGRAPHIQUES

Dans les quelques pages qui vont suivre nous voudrions surtout donner un spécimen du travail critique auquel nous nous livrons régulièrement depuis plusieurs années, dans l’une de nos conférences. Ce travail critique a pour but de dégager et la valeur du témoignage et la portée sociologique du fait enregistré.

Les seuls travaux importants que nous n’avons pas pu consulter sont les vieilles relations de Buckley et de Gregory, le travail, ancien mais toujours important, de G. S. Lang, Australian Aborigines, et un certain nombre de numéros de l’Australian Science of Man[1]. À l’exception de ces lacunes, nous croyons que notre dépouillement des documents imprimés concernant les sociétés australiennes a été à peu près suffisant.

Nous eussions voulu publier in extenso, et en note, les documents que nous ne traduisons pas dans le texte. La place nous a manqué.

INTRODUCTION

Hat der Alte Hexenmeister
Sich doch einmal wegbegeben !
Und nun sollen seine Geister
Auch nach meinem Willen leben !
Seine Wort’ und Werke
Merkt’ ich, und den Brauch,
Und mit Geistesstärke
Thu’ ich Wunder auch.

Gœthe, Ballades ; der Zauberlehrling.

La question de l’initiation du magicien dans les sociétés dites primitives est une des premières que la science comparée des religions ait posées.

Les pionniers de l’anthropologie et de l’ethnologie religieuses, Bastian[2], Tylor[3] l’ont indiquée ; Stoll[4], Achelis[5], Bartels[6], ont rassemblé à son propos un nombre assez considérable de documents : les deux premiers parce que ce fait se présente fréquemment sous la forme de phénomènes d’extase et de suggestion ; l’autre, parce que la fonction de magicien et celle de médecin coïncidant souvent, l’entrée dans la carrière magique l’intéressait forcément.

Il est très remarquable qu’un fait aussi connu ait été presque perdu de vue, lorsqu’on a tenté, dans ces derniers temps, de faire une théorie de la magie. Que la plupart des rites magiques aient été pratiqués, dans des sociétés primitives, par des magiciens qualifiés, initiés régulièrement à leur art, c’était un fait de la plus haute importance ; mais ce fait allait directement contre tout système où, sans tenir compte des phénomènes sociaux, de la crédulité publique, de la notion collective du pouvoir magique, on tentait d’expliquer la magie comme une simple application, quasi technique, des lois, quasi scientifiques, de la sympathie[7].

Nous avons tenté de rendre sa valeur à ce phénomène et de lui donner sa place dans une théorie de la magie[8]. C’est à étudier les textes mêmes où sont consignés un certain nombre des faits de cette espèce, observés parmi les sociétés extraordinairement arriérées de l’Australie, que nous consacrons cette étude. Nous faisons remarquer en effet qu’il s’agit là de groupements sociaux qui sont encore, si l’on en croit M. Frazer, à l’âge magique de l’humanité[9]. Il est, pour cette raison, très significatif d’y rencontrer de véritables corporations de magiciens et un système complet d’initiations et de révélations provoquées volontairement[10].

Nous avons choisi cette « province ethnographique », comme dirait M. Bastian, parce que les faits y sont particulièrement homogènes, comparables entre eux. De plus, les documents sociologiques parfaitement circonstanciés ont commencé à abonder et ils nous aident à comprendre des documents antérieurs plus sommaires ou recueillis dans des conditions moins bonnes[11]. En effet, dans les dernières années, l’étude des tribus du centre et du nord-ouest de l’Australie a pu être entreprise avec toutes les ressources de l’ethnographie moderne, et ces tribus quoique observées bien après la découverte de l’île sont, en fait, dans un état de décomposition bien moindre que la plupart de celles sur lesquelles nous étaient parvenues des observations, même fort anciennes.

I

LE POUVOIR MAGIQUE

Nous sommes assez mal renseignés sur les formes précises que revêt la notion du pouvoir magique dans la plupart des sociétés australiennes. Tout ce que nous savons, mais nous le savons avec certitude, par des témoins presque unanimes, c’est que toutes attribuent à certains hommes une puissance mystérieuse[12]. La présence de ce pouvoir a d’ordinaire pour signe matériel une substance magique, contenue dans le corps du magicien, ou tout au moins dans son sac-médecine ou, à la rigueur, tenue au secret. Cette substance consiste, presque partout, soit en morceaux de cristal de roche, soit en un os magique (d’ordinaire un os de mort[13]).

Nous comptons naturellement comme nuls, tellement la chose nous paraît impossible, tous les documents qui tendraient à nous faire croire qu’il y ait une société australienne quelconque où n’existe pas de magicien doué de pouvoirs spéciaux. Un seul informateur a osé soutenir une pareille assertion. Or il nous décrit probablement une tribu depuis infiniment mieux connue, Urabunna ou Dieri[14], où la magie est au contraire fort développée. Nous n’avons pas non plus à compter comme des témoignages négatifs des documents, même bons par ailleurs, où l’existence de pouvoirs spéciaux du magicien n’est pas mentionnée. D’autre part, si, faute de renseignements sur l’origine des pouvoirs magiques nous nous défendrons d’affirmer rien sur les croyances des tribus à propos desquelles nous sommes ainsi trop peu informés, cette lacune ne devra pas non plus nous empêcher de tenter la classification des quelques faits que nous voulons grouper[15].

La notion de pouvoir magique ne se présente pas, en Australie, sous la forme complexe et complète qu’elle possède dans les sociétés mélanésiennes et polynésiennes. Là les vertus des esprits, des choses, des rites et des magiciens, sont toutes désignées sous le nom générique de mana[16]. Nous ne la rencontrons guère, à notre avis, que fragmentée en plusieurs notions. Cependant elle s’exprime quelquefois assez nettement. Chez les indigènes de la tribu de Perth (Australie occidentale), par sir G. Grey, nous savons, philologiquement, que le boyl-ya qaduk est celui qui boyl-ya et lance les boyl-ya (en l’espèce, de petits morceaux de quartz). Encore faut-il ajouter que, dans cette tribu, l’action et le pouvoir du magicien semblent avoir été réduits aux pouvoirs maléficiaire et curatif[17].

C’est à tort, selon nous, que M. Mathew pense avoir retrouvé exactement, chez les Kabi du Queensland qu’il évangélisa, la notion Fijienne (id est mélanéso-polynésienne ) de mana[18]. Car il réduit en somme la notion de mana à celle d’émanation, d’influence magique à distance, et ainsi la défigure. Ce qui est exact, c’est que chez ces mêmes Kabi, M. Mathew nous décèle l’existence d’une notion double : d’une part celle de pouvoir magique pur, la vie particulièrement intense du magicien[19] et, de l’autre, celle des substances magiques, les pierres (dhakke, Nanpai ou nganpai, kundir) où se concrétisent les forces de l’arc-en-ciel[20].

Chez les Arunta, la seule tribu connue à peu près à fond, nous trouvons la même notion fragmentée en deux parties au moins. Il y a d’abord l’idée d’arungquiltha, qui est spécialement la puissance qui émane des rites, des substances et des choses, plus ou moins sacrées, à efficacité mauvaise, qui s’en échappe sous la forme d’un fluide ou d’un petit tourbillon fulgurant[21] ; il y a ensuite l’idée des pierres atnongara, pierres magiques, que le magicien porte dans son corps, et avec lesquelles il peut produire, en les extrayant de soi et en les dirigeant, les effets qu’il veut, curatifs et autres[22]. Il y a peut-être lieu de penser qu’il doit y avoir des relations, plus étroites qu’il ne paraît, dans ces mêmes tribus, entre ces deux notions : celle des substances magiques internes, et celle de l’émanation des forces magiques. Peut-être certaines émissions d’arungquiltha se confondent-elles dans l’esprit des indigènes avec le départ des pierres atnongara[23]. Mais nous n’émettons cette hypothèse que pour en provoquer la vérification par des ethnographes travaillant sur place. Les autres tribus qu’ont observées MM. Spencer et Gillen semblent vivre sur les mêmes croyances[24].

Nous craignons d’allonger la liste des tribus où nous pensons, d’après des textes malheureusement insuffisants, qu’on trouverait des croyances du même genre que celles des Arunta et des Kabi[25]. D’ailleurs le caractère encore sommaire de nos informations sur ce point provient surtout de l’insuffisance philologique des documents ethnographiques. C’est de nuances d’idées qu’il s’agit ; or elles ne sont saisissables que pour des observateurs qui ont une connaissance parfaite des langues et nous ne pourrions les fixer qu’en les étudiant dans des traditions littéralement recueillies et traduites.

Il nous suffit d’ailleurs d’avoir constaté la grande extension, en Australie, de la notion d’un pouvoir spécial du magicien, pour devoir étudier l’origine de ce pouvoir. Les documents qui vont suivre montreront d’ailleurs que ce genre de représentations présente en Australie une véritable uniformité[26].

Il est très remarquable que la classification hindoue des diverses origines du pouvoir magique, s’applique à peu près à la lettre aux magies australiennes. On pourrait dire, avec les termes de Patañjali[27], qu’il provient de la naissance, de la connaissance des formules et des substances, de la révélation extatique.

II

LA NAISSANCE

Tandis que, dans de nombreuses sociétés d’un type plus élevé que les sociétés australiennes, les magiciens forment sinon une caste, du moins une corporation recrutée héréditairement, celles-ci ne contiennent qu’un si petit nombre de groupements pareils qu’il sera raisonnable de n’en tenir aucun compte au moment où nous conclurons. Nous ne connaissons que deux tribus où le fait ait été attesté[28], celle de la rivière Tully[29] (Queensland Nord-Ouest), et la tribu des Anula (sud du golfe de Carpentarie[30]). Mais, pour ce qui est de la première, M. Roth ne nous dit pas si c’est le pouvoir lui-même qui est héréditaire, ou si c’est simplement d’une transmission ordinaire des mystères professionnels qu’il s’agit, transmission faite régulièrement de père en fils. Dans ce cas, nous rentrerions presque dans la règle commune : l’enseignement magique se fait d’ordinaire en famille. Dans la seconde tribu, au contraire, nous avons un clan totémique proprement dit[31], et un seul, chargé de fournir des magiciens : c’est un clan des « étoiles filantes[32] », clan spécialement associé avec les esprits malveillants vivant au ciel. Il se produit donc, dans ce clan, une espèce de révélation fatale lors de la naissance. Mais nous soupçonnons l’observation d’être imparfaite, car on ne nous dit pas que tous les membres de ce clan soient sorciers, ce qui devrait être si c’était exclusivement la naissance qui conférait le pouvoir magique[33].

On pourrait nous objecter que, dans quelques-unes des tribus australiennes, les fonctions des faiseurs de pluie sont parfaitement héréditaires et que même, dans certains cas bien observés, elles sont dévolues à un clan de l’eau. Mais nous écartons cette observation, car, dans le cas où les agents de ces fonctions font partie d’un tel clan et où la cérémonie est une cérémonie de clan, ce n’est ni de magie ni de magicien qu’il s’agit, mais de cette sorte de religion à caractère confus qu’est la religion des clans australiens et de cette sorte de prêtres que sont, dans les rites du culte totémique, les adultes mâles du clan. Ceci est particulièrement vrai des producteurs de pluie chez les Arunta[34], Anula[35], Mara[36], qui ne sont pas des magiciens : cela est évident encore pour la tribu du Mont-Gambier (Boandik ou Bung’andatch[37]). Le cas de cette dernière est même particulièrement instructif au point de vue de la critique de textes ethnographiques : car le clan du corbeau, auteur de la pluie, a, précisément, dans les tribus voisines[38], la réputation d’être composé de véritables sorciers, alors que, par rapport à la tribu elle-même, ce clan ne remplit qu’un rôle licite, régulier[39] ; on aurait donc pu, si l’on s’en était tenu à ces renseignements indirects, admettre que la tribu des Boandick avait des magiciens, faiseurs de pluie héréditaires. Les faiseurs de pluie Miorli auxquels s’adressent les Pitta-Pitta de Boulia[40] sont probablement aussi les hommes d’un clan ou d’un sous-clan totémique ; en tout cas, les faiseurs de pluie Mallanpara de la rivière Tully inférieure le sont certainement[41]. Même certaines tribus, où l’organisation totémique a presque disparu, n’en ont pour ainsi dire conservé de traces que pour nous empêcher de classer, autre part que parmi les rites religieux des clans, les cérémonies pour la fabrication de la pluie, et pour nous empêcher de voir, parmi les producteurs héréditaires de celle-ci, le véritables magiciens dont nous puissions dire qu’ils sont tels par droit de naissance. Nous voulons surtout parler des Kurnai du Gippsland. Justement M. Howitt insiste sur le caractère régulier et quasi religieux de leurs rites concernant la pluie[42] ; chaque clan local a régulièrement pouvoir sur une des directions d’où peut venir la pluie, et son maître de la pluie ou du vent pour la faire tomber[43]. D’ailleurs, même si ces derniers personnages étaient bien des magiciens, il ne serait nullement prouvé que, dans leur cas, leur pouvoir serait un don inné, car, précisément, M. Howitt nous dit qu’il faut des « conditions favorables pour qu’il devienne héréditaire[44] » ; et même ailleurs, il maintient qu’il faut que ces personnages obtiennent leurs pouvoirs dans un rêve[45].

III

LA RÉVÉLATION

C’est par révélation que la vertu magique s’acquiert dans la plupart des tribus australiennes. Normalement, c’est au cours d’un rêve ou dans un état extatique ou semi-extatique que cette révélation se produit. En principe, elle est le fait d’esprits, esprits des morts ou esprits purs, probablement très souvent, d’esprits moins nettement classés dont les qualités sont indécises et dont la figure mythique flotte entre l’ombre humaine, l’animal et la divinité de la nature.

Pour l’étude des documents, commençons par les plus sommaires. En allant des renseignements les plus brefs à des renseignements de plus en plus détaillés, nous avons chance de faire voir que, malgré les apparences, le phénomène a eu partout une réelle complexité[46].

1o La révélation par les morts. — La façon la plus sommaire dont les auteurs nous décrivent cette révélation est que ce sont les esprits des parents qui donnent aux enfants le pouvoir magique[47]. La précision est déjà plus grande quand l’auteur dit expressément, comme M. Howitt à propos des Kulin de la rivière Wimmera, que, seuls les jeunes gens qui ont vu l’ombre de leur mère, assise sur son tombeau, peuvent devenir magiciens[48]. L’information qui touche la tribu de Springsure[49] est encore insuffisante : l’esprit prend possession du corps du magicien qui a pu monter au pays des morts. Un auteur se borne à nous dépeindre les jeûnes nécessaires au futur grand magicien de la tribu de la rivière Yoocum, et la solitude où il se retire pour que l’esprit de son prédécesseur le visite et lui donne les puissances surnaturelles[50]. Sur les Woivorung, M. Howitt, semble-t-il[51], à quelque dix ans de distance, nous a donné deux renseignements contradictoires ; suivant l’un, le magicien, wer-raap[52], serait instruit dans les arts magiques par les âmes de ses prédécesseurs morts ; l’autre[53] nous montre les wivaraps instruits par les âmes qui les emmènent par un trou (dans le ciel) vers Bungil, dieu dont ils reçoivent leurs pouvoirs magiques. Mais peut-être le second document ne fait-il que compléter le premier. Car nous verrons ailleurs d’autres faits du même genre ; il est possible, et même probable, que le thème de la révélation par les esprits des morts se confonde souvent, en un seul et même mythe complexe, avec le thème de la révélation par les esprits purs. Il ressort, maintenant, même des informations sommaires précédentes, que les phénomènes sont moins simples qu’il ne paraît d’abord[54].

Les renseignements ne sont pas partout aussi insuffisants. D’abord un certain nombre nous décrivent soigneusement au moins le gros des événements. Ce sont en particulier ceux qui nous viennent, par Grey et ses imitateurs, et concernent les tribus de l’Australie occidentale, actuellement disparues pour la plupart. Un texte australien même nous dit : « les boyl-ya se tiennent aux tombeaux en grand nombre[55] ». Il semble que l’esprit du mort doit agir là d’une façon mystérieuse pour conférer une sorte de nouvelle vie au magicien ; car Grey[56] cite le fait que Threlkeld avait signalé à propos de cette action dans la tribu de Port-Macquarie[57]. Les Teyl, Wergo, cristaux et autres substances magiques[58] doivent probablement être introduits à ce moment-là dans le corps du magicien endormi. Même un auteur, plus sujet à caution, mais qui a peut-être mieux vu que Grey, un certain Chauncy, dit que l’esprit renouvelle complètement les organes internes du dormeur[59]. Ce dernier texte fait apparaître dans les croyances dont nous traitons, le thème de la mort et de la renaissance du magicien. Mais, faute d’autre preuve, nous sommes obligés de passer sur ce fait important. Heureusement, il nous est attesté, d’une façon fort nette et tout à fait authentique, par le premier et l’un des meilleurs observateurs européens, par le colonel Collins, en ce qui concerne la tribu de Sydney, la première avec laquelle les Européens entrèrent en contact[60]. Dans cette tribu, tout individu qui voulait devenir carrah-dy n’avait qu’à dormir sur un tombeau, et si, dans la nuit, l’esprit venait, l’égorgeait, l’ouvrait, prenait ses viscères et les replaçait[61], il devenait carrah-dy. Un fait de même genre nous est décrit, avec un peu plus de précision, par l’un des seuls philologues qui, ayant vécu en Australie, aient observé directement les indigènes : Threlkeld nous dit, à propos de la tribu de Port-Macquarie[62], qu’un os mystique (murrokun) était inséré, par l’esprit du mort, dans la cuisse du futur magicien ; cet os lancé à distance servait aux envoûtements[63].

D’ailleurs, les morts ne forment pas dans la mythologie des diverses sociétés australiennes une classe bien distincte d’esprits, — pas plus d’ailleurs que les esprits de la nature ; car l’une et l’autre classe nous apparaissent, dans les mythologies les mieux connues, comme se confondant dans la notion générique d’ancêtres mythiques, personnels, des individus des différents clans totémiques[64]. De telle sorte que, suivant l’interprétation, les préjugés hâtifs des auteurs, une tribu nous apparaîtra comme croyant ses magiciens initiés ou par les morts ou par les esprits de la nature, sans que les croyances des indigènes soient vraiment différentes. Ainsi, en particulier, dans les tribus du nord de la Nouvelle-Galles du Sud, décrites par M. Cameron[65], les Bookoomurri initiateurs des magiciens sont plus que des âmes des morts. Déjà au surplus la révélation par ces esprits était fort compliquée. Si du moins il s’agit bien de la tribu des Ta-ta-Thi dans les documents que nous citons[66] ; en tout cas, pour certains magiciens, ceux-ci montaient au ciel « par une fenêtre (?) » (voir les Bookoomurri ?), et y réussissaient, parce qu’ils avaient mangé un morceau de la peau d’un cadavre de vieille femme, dont l’esprit (goomatch) les lévitait[67]. Nous hésitons à dire que la révélation, dans la tribu de la baie de la Rencontre[68], les Raminjerar, se produisait de la même façon ; mais la liaison si étroite de la magie aux totems qui y existait indubitablement, doit s’expliquer, comme chez les Ta-ta-thi, par l’association du pouvoir magique de chaque individu à des ancêtres totémiques déterminés. Il ne serait peut-être pas déraisonnable d’interpréter dans le même sens un passage obscur concernant les Minyug de la Wimmera (Victoria)[69], mais nous n’affirmons rien dans ce cas. Nous retrouverons, d’ailleurs, dans les renseignements plus complets sur des initiations révélatrices complexes, des faits du même genre[70].

Nous pouvons rapprocher, mais seulement par approximation, de ces révélations provoquées, les deux cas (Queensland) où nous savons que le pouvoir magique vient bien des esprits, mais de morts dont le cadavre a été, au moins en partie, consommé[71]. Le seul fait de révélation provoquée par des rites d’anthropophagie est celui de la tribu d’Adélaïde, maintenant disparue. Là, entre autres rites d’initiation magique, le magicien avait l’obligation de manger une fois de la chair d’enfant en bas-âge et une autre fois de la chair de vieillard[72]. Mais on ne nous a pas dit précisément si c’était l’esprit du mort qui donnait ses vertus au néophyte anthropophage[73].

2o La révélation par les esprits. — Nous dirions presque la révélation par les dieux, car enfin ces esprits sont bien des personnes mythiques, relativement sacrées et placées hors de l’atteinte du commun des mortels. Mais ces êtres sont sans consistance, sans personnalité forte, confondus avec les choses les plus hétéroclites, « diables » ou bull roarers, âmes des morts, ancêtres totémiques, esprits locaux des sources et des bois, esprits de la nature[74].

D’après les plus simples de nos renseignements, le magicien obtient ses pouvoirs en montant au ciel et dans une rencontre qu’il y fait avec un esprit dépositaire de ces pouvoirs. C’est même dans ces termes brefs que M. Howitt nous a donné ses premiers renseignements[75] et qu’il les a maintenus en ce qui concerne les Wolgal, Ngarego, Theddora, Kulin, Jupagalk (N. de Victoria et S. de la N.-G. du Sud)[76]. À propos des magiciens Theddora[77], nous savons de plus que ceux-ci montaient au ciel à l’aide d’une sorte de « fil d’araignée qu’ils sécrétaient de leur bouche[78] ». Mais ce n’est là qu’une simple image mythique secondaire, destinée à expliquer l’ascension dans le monde des esprits, de la même espèce que la notion (Ngarego, Wolgal, Kurnai)[79] du « Marengrang », espèce de chemin mouvant et subtil, sorte de cheveu, de fil, tendu entre la terre et le ciel, que suivent la lune, les âmes des morts et celles des magiciens. Il est à regretter que M. Howitt n’ait pu mieux nous renseigner sur la façon dont s’opérait cette révélation et, en particulier, s’il ne s’y mêlait pas l’idée, régulière en matière d’initiation, que le magicien meurt et renaît[80]. Chez les Murring (la côte N.-E. de Victoria), le gommera, chef magicien[81], reçoit ses pouvoirs de Daramulun[82], peut-être en montant au ciel[83], et les pouvoirs sont symbolises par des morceaux de cristal de roche[84] ; nous ne savons pas, de façon sûre, s’ils ont été insérés dans le corps du magicien à ce moment-là, ni surtout si le magicien est censé mourir et renaître à ce même moment ; tout ce que nous savons certainement, c’est qu’il les garde en soi, et qu’on le représente comme pouvant ressusciter[85].

Ce qui nous donne à penser que, chez les Murriug, tous ces thèmes se rencontraient, c’est qu’ils sont certainement réunis dans une tribu voisine, celle des Wotjobaluk[86]. Un être surnaturel, Ngatje, qui vit dans les buissons, dans les replis de terrain, rencontre un homme, lui ouvre le flanc, y dépose des cristaux de roche et d’autres choses « par lesquelles il acquiert ses pouvoirs ». Il est devenu un « bangal », il peut se léviter grâce à ses « plumes[87] ». La tribu des Kombingherry (?) ne semble pas avoir cru que l’esprit qui introduit les cristaux magiques ait accompli une aussi grave opération[88]. Mais elle avait fort nettement l’idée que les magiciens, retirés aux montagnes, reçoivent, dans leur corps, ces pierres pendant leur sommeil, d’une sorte de dieu[89]. Celui-ci leur montre comment s’en servir et de quelles formules ils en doivent accompagner l’usage. Le plus remarquable des phénomènes présentés par cette tribu est que cette initiative semble avoir dû être périodiquement renouvelée et en corps : l’émigration des magiciens se fait régulièrement, ils restent « ensemble[90] » aux montagnes pendant toute une saison[91] et là, « avec beaucoup de cérémonies[92] », jeûnes et privations rituelles[93], ils en arrivent à presque mourir de faim. C’est alors qu’ils reçoivent du dieu les dons de magie[94].

3o Les révélations complexes. — On remarque aisément combien tous ces renseignements sommaires, toujours insuffisants, laissent d’obscurités. Il est probable que la plupart recouvrent des faits infiniment plus complexes. D’abord les préparations auxquelles sont soumis les magiciens, les conditions requises pour qu’ils se sentent élus par les esprits sont presque toujours négligées par nos informateurs. La faute en est probablement aux témoins indigènes auteurs des récits. Ensuite la description exacte des sensations et des illusions éprouvées manque presque toujours ; nous ne savons ni le détail, ni les thèmes généraux de ces événements. Enfin n’y a-t-il que des rêves proprement dits, ou bien l’individu est-il en état d’extase ? Quelle est la part de la sincérité, quelle est la part de la fiction, de la tradition mythologique et de la conscience individuelle ? L’individu est-il vraiment victime d’illusions de ses sens, et ses illusions ne lui sont-elles pas imposées par la tradition ? Dans quelle mesure ses soi-disant expériences sont-elles vraiment l’objet de souvenirs et n’est-ce pas très longtemps après sa révélation qu’il arrive à se convaincre de les avoir éprouvées ? N’est-ce pas à force de méditations et de hâbleries qu’il arrive à devenir, pour lui-même et pour les autres, l’homme de son personnage ? Autant de questions psychologiques qui restent insolubles tant que nous n’avons que des documents de cette valeur. Enfin, au point de vue des mythes et des rites impliqués, quelle n’est pas l’insuffisance de ces informations ! Quels sont ces esprits, âmes des morts, que nous avons des raisons de confondre avec les esprits de la nature et les âmes totémiques ? Que sont ces cristaux de quartz, « symboles de la déité[95] », pourquoi ce pouvoir leur est-il attribué ? Quels rites le magicien observe-t-il pendant et après ces états d’extase ? N’est-il pas aussi soumis à une autre initiation, à une révélation traditionnelle ? Quels sont les rites qui doivent être observés par le nouveau magicien, après initiation, s’il veut conserver ses pouvoirs ? Sans supposer que tous ces divers phénomènes, à propos desquels nous posons toutes ces questions, se rencontrent dans toute initiation magique en Australie, il est rationnel de penser que toujours un certain nombre d’entre eux tout au moins composent le système reconnu par chaque société. Nous ne connaissons pas de fait qui infirme cette hypothèse. Tout au contraire ; dès que nous trouvons des récits vraiment détaillés, nous n’avons plus en face de nous que des espèces, des variantes d’un même type de conte magique. Les incidents varient en nombre et en place dans des limites assez étroites et ne sont que des manières plus ou moins parfaites de représenter par des images et des coutumes diverses une même institution, un même phénomène social complexe. C’est ce dont va nous convaincre l’étude comparative de documents à peu près complets.

Commençons, de préférence, par des récits directs de magiciens ; nous avons le bonheur d’en posséder quelques-uns. L’un des plus importants est l’histoire de l’initiation magique d’un docteur des Wiraijuri (S. N. S. W.), rapportée par M. Howitt avec tous les détails nécessaires à la critique[96]. Justement, il est remarquable que si nous n’avions pas eu cette description anecdotique, historique, d’un cas particulier, nous eussions été tentés de ranger les Wiraijuri parmi les tribus qui n’ont de l’initiation magique qu’une image fort sommaire et incomplète[97], alors qu’au contraire l’anecdote est des plus mouvementées et des plus riches en épisodes mythiques, des plus abondantes en renseignements psychologiques et présente, réunis, presque tous les thèmes connus.

Le futur magicien était un Kangourou de la classe matrimoniale Muri, son père était un Iguane de la classe matrimoniale Yibai. Une première initiation, toute préparatoire, a lieu sous la direction du père[98], avant l’initiation religieuse du jeune homme à la tribu. Le père l’emmène dans la brousse, place contre sa poitrine deux gros morceaux de cristal de roche « et ils s’évanouirent en moi », ajoute notre magicien. « Je ne sais pas comment ils pénétrèrent, mais je les sentis me traverser comme une onde de chaleur. » Il lui donne aussi quelque chose comme des cristaux de quartz à boire dans l’eau. « On eût dit de la glace, et l’eau me parut extrêmement douce. » Après cela il put voir les esprits. Le jeune homme fut ensuite initié régulièrement à la tribu ; comme ses contemporains, il subit l’extraction de la dent et assista aux représentations de sorcellerie qui font partie intégrante de ces solennités tribales.

Mais après celle-ci, une autre initiation secrète et magique eut encore lieu, toujours sous la présidence du père. Un premier rite fut un isolement d’une certaine durée. Vint ensuite un vrai cycle de démonstrations du pouvoir magique du père, que nous ne pouvons pas bien comprendre, mais qui causent au jeune homme un grand émoi[99]. Puis tous deux s’évanouissent sous terre, dans un tombeau, où deux morts frottent le néophyte avec des morceaux de cristal dont ils lui font cadeau. À la sortie ils trouvent un serpent tigré qui, à partir de ce moment, devient le totem personnel[100], le nom secret, l’animal associé du magicien. À la queue du serpent, est enroulé un fil[101], une corde telle que les sorciers ont l’habitude d’en extraire de leur corps. Tous deux s’attachent à elle et, grâce à elle, l’un à l’autre ; à travers plusieurs troncs d’arbres, ils arrivent[102] à l’habitation de Daramulun[103]. Ils voient ce dieu et, avec lui, un certain nombre de « petits Darumulun[104] ». Puis le serpent tigré les mène dans un trou. « Un grand nombre de serpents se frottèrent contre moi, mais ils ne me firent pas de mal, étant mes Budjan (totems). Ils ne le faisaient que pour faire de moi un « homme habile » et un « mulla mullung. » Puis, le père emmène le fils voir l’autre grand dieu de la tribu, le dieu Père, Baiamai, qui habite au ciel ; ils montent vers lui à l’aide de deux fils[105], et pénètrent derrière la voûte céleste par une espèce de trappe dangereuse. Ils voient ce grand dieu, qui porte sur ses épaules deux larges morceaux de cristal de roche[106], et, à côté, ses enfants qui sont des bêtes et des oiseaux. Ensuite, « pendant que j’étais dans la brousse, je commençai à extraire de moi des choses, mais[107] je tombai malade, et depuis je ne puis plus rien faire ».

Cet authentique récit nous montre comment, en fait, une initiation par révélation se complique d’une sorte d’introduction, par le père magicien, à cette révélation magique. Même, cet épisode où le jeune homme se sent amené dans un trou où il trouve des morts qui lui frottent le corps semble bien être tout simplement la traduction fantasmagorique d’une cérémonie où de vieux magiciens oignent et frottent avec des cristaux le futur sorcier[108]. Ainsi se mélangent, — nous verrons que ce mélange est normal, — deux formes apparemment hétérogènes d’initiation. Mais, abstraction faite de ce passage constant du rêve à la réalité, de combien d’éléments imaginaires cette série d’aventures magiques n’est-elle pas faite ? 1o Absorption, avant l’initiation religieuse à la tribu, de substances magiques qui changent les pouvoirs de vision du futur candidat. 2o Après l’initiation régulière, série de révélations : 1o par les morts qui communiquent encore la substance magique ; 2o révélation d’un esprit animal qui devient le totem familier et secret du futur magicien ; 3o descente sous terre, révélation d’un grand dieu et de ses doubles ; 4o contact avec les animaux totems ; 5o montée au ciel, révélation d’un autre grand dieu, céleste celui-là, possesseur de la substance magique ; 6o sensation que la personnalité est changée. Et cependant, malgré toute cette abondance d’épisodes, à l’histoire du Wiraijuri, il manque un trait important, soit que ce mythe de l’initiation ait été vraiment absent de l’image que les Wiraijuri se forment de celle-ci, soit que le magicien ait oublié de l’exposer à M. Howitt. C’est l’idée que l’individu meurt et renaît au cours de ces multiples traverses[109].

Nous avons d’abondants renseignements sur les révélations par les esprits chez les Kurnai. Ils nous viennent toujours de M. Howitt[110]. Dans cette société, il y avait deux sortes de magiciens, les uns birraark, divinateurs, bardes et voyeurs[111], les autres enchanteurs, envoûteurs et médecins[112]. Les uns et les autres reçoivent leurs révélations, en principe, des esprits des morts (mrarts), qui leur communiquent les rites (formules orales et manuel opératoire), et dans le cas des mulla-mullung, les substances et instruments magiques[113]. Il y a deux façons dont la révélation se produit, équivalentes mais inverses[114]. Dans l’une, ce sont les esprits qui viennent visiter le futur magicien (anecdote de Tûlaba)[115], ou bien ce sont les esprits qui l’emmènent dans leur monde (anecdote de Tankli). Résumons le récit de celui-ci[116]. Après la puberté, il rêve de temps en temps de son père et d’autres vieillards morts. Ceux-ci, entièrement peints d’ocre rouge, l’entouraient, dans son rêve, et le faisaient tourner au bout d’une corde de tendons qu’ils tenaient et dont lui, Tankli, tenait l’autre bout. Une autre fois, ils l’entourent de cette corde et l’emmènent, les yeux bandés, vers un cap, près de la mer, devant un grand rocher, « grand comme un mur de maison », où ils pénètrent par une espèce de porte qui s’ouvrait très vite et de façon dangereuse[117]. Là, on lui découvre les yeux, il est dans un lieu tout lumineux, « clair comme le jour », où tous les vieillards l’entourent. Il y a une masse d’objets qui brillent sur la paroi, l’âme de son père lui en fait choisir plusieurs. À la sortie, cette âme lui apprend à les introduire dans ses cuisses, à les faire sortir, et à les lancer au loin comme des traits de lumière pour blesser les gens[118]. Puis les âmes le ramènent au camp, suspendu à la corde, le laissent au sommet d’un grand arbre et lui disent de crier. Tout le campement arrive et, au moment où les gens s’approchent, lui, Tankli, est déjà en bas, tenant à la main les choses que son père lui avait données. « Elles étaient comme du verre, et on les appelle kin (quartz). Je racontai tout aux vieillards, et ils dirent que j’étais un docteur. » Les dires de Tankli sont évidemment très sommaires. Ils nous font pourtant assez bien pénétrer la confusion qui peut se produire entre l’idée d’une ascension, d’une lévitation, celle d’un transfert au pays des morts, et enfin celle d’une simple apparition des morts dans un rêve ordinaire. Ils nous mettent en présence d’une image trouble de la révélation, image d’un genre beaucoup plus répandu probablement que la plupart des renseignements écourtés et stéréotypés ne nous le font paraître[119]. La révélation, pour les birraark Kurnai[120], semble avoir eu un caractère plutôt totémique, quoique les Kurnai n’aient plus de totems de clan. En effet, les « mrarts » sont des esprits animaux, aux corroborees (danses chantées) desquels l’initié assiste[121]. Là encore, il y a indécision entre l’image totémique et l’image purement anthropomorphique de la révélation.

Il manque aussi aux faits observés chez les Kurnai un trait mythique important, celui de la mise à mort du magicien et de sa renaissance. Ce trait en a peut-être été toujours absent. Mais la régularité extraordinaire avec laquelle il apparaît dans les tribus qu’il nous reste à étudier est, quant à nous, un indice sûr de sa grande extension.

Les Arunta sont une des tribus australiennes les mieux connues, par deux livres successifs de MM. Spencer et Gillen[122] ; l’un d’eux a pu observer cette tribu pendant vingt ans, en qualité de surveillant ; tous les deux sont réputés, pleno jure, membres de la tribu et initiés à tous les mystères[123]. Certainement, les descriptions qu’ils nous font de l’initiation du magicien par les esprits sont fondées sur nombre de récits personnels authentiques[124]. Il existe trois classes de magiciens chez les Arunta, dont une seule est initiée par les autres magiciens[125]. Des deux classes initiées par révélation, l’une l’est par les Iruntarinia, l’autre l’est par les Oruncha. Ceux-ci sont des esprits locaux plutôt méchants, à caractère plutôt animal, des sortes d’ogres[126] ; ils vivent isolés. Ils initient le magicien de la même façon que les autres esprits[127]. Nous nous bornons donc à étudier en détail l’initiation par les Iruntarinia.

Ceux-ci sont des esprits d’une nature singulière et dont la personnalité mythique est des plus mal déterminées[128]. Étrangement confondus avec les âmes des ancêtres, perpétuellement réincarnés[129] en leurs descendants, et, par conséquent, confondus avec les doubles des vivants[130], ils sont encore des sortes de fées, qui vivent sous terre, dans une espèce d’Élysée souterrain, plein de lumière et de soleil, et merveilleusement arrosé[131]. Enfin les Iruntarinia ont des figures d’animaux et se confondent en somme avec les espèces totémiques des groupes locaux auxquels ils sont attachés. Voici comment ils ont initié un homme du groupe d’Alice Springs[132].

Se sentant capable de devenir un magicien, il s’éloigne du camp et arrive à une caverne qu’on appelle Okalpara, fort vaste, tout à fait comparable aux caves de nos fées, ou aux souterrains des nâgas Indous. Là les Iruntarinia vivent dans un perpétuel bonheur. En proie à une grande anxiété (?) l’homme s’endort devant la cave. Au lever du jour, l’un des Iruntarinia sort, et, trouvant l’homme endormi, le perce d’une lance invisible qui pénètre en arrière, par la nuque, passe à travers la langue, en y faisant un grand trou, et ressort par la bouche. La langue reste perforée pendant toute la vie, d’un trou de la largeur du petit doigt, et c’est là la seule trace permanente et apparente du contact du mage avec les esprits. D’un deuxième coup de lance, l’Iruntarinia lui traverse la tête d’une oreille à l’autre et la victime meurt, puis elle est transportée à l’intérieur de la caverne. Là, l’Iruntarinia[133] lui enlève tous les viscères, et lui en met de neufs, tout en disposant[134], dans le corps ouvert, des pierres atnongara[135] (cristaux de quartz magiques), puis le ranime, mais il est fou. Cependant la raison lui revient rapidement. Alors l’Iruntarinia le ramène vers le camp et rentre à la caverne. Pendant quelques jours encore le futur magicien délire, jusqu’à ce que, un beau matin, on le voie peint du signe de ses esprits. On le connaît qu’il est homme-médecine. Un temps d’épreuve, d’éducation, compliqué de tabous de toutes sortes, est ensuite nécessaire pour que le nouveau magicien puisse exercer sa profession.

L’initiation par révélation se fait de même dans toute l’étendue de ce que MM. Spencer et Gillen ont raison d’appeler la civilisation Arunta : chez les Ilpirra, Kaitish, et Unmatjera[136].

Une autre grande tribu, voisine au Nord des Arunta, celle des Warramunga a aussi, parmi ses magiciens, des individus initiés par les esprits. Voici, résumé, le récit de l’un d’entre eux. Parti au désert, il est obsédé pendant plusieurs jours par des puntidir, des esprits du genre des Iruntarinia, qu’il croit être des magiciens étrangers parce qu’ils lui jettent un sort tel qu’il ne peut allumer son feu par friction[137] ; ils le poursuivent, et, enfin, dans son sommeil le tuent, lui ouvrent le corps, changent ses organes et introduisent en lui un petit serpent qui incarne les pouvoirs magiques[138]. Puis ils le laissent, ses amis le retrouvent et le croient mort, mais il revient à la vie et l’on reconnaît à tout cela qu’il est un homme-médecine. Ces esprits sont son père et son frère, et ils lui ont révélé plusieurs corroborees. Mais le récit néglige de nous dire s’ils n’ont pas fait faire d’autres voyages à l’esprit du magicien et comment ils lui ont donné les kupitja[139], petits bâtons mystiques portés à travers le nez et où réside le pouvoir magique.

Dans la tribu des Mara[140], voisine, au Nord, de celle des Warramunga, le pouvoir magique vient de deux grands esprits (dieux) célestes[141], auxquels le néophyte offre une sorte de culte sacrificiel ; il brûle dans un lieu désert une masse de graisse de différents animaux, faisant monter la fumée vers l’Ouest, où ces esprits vivent. Ils descendent du ciel, disent à l’homme de ne pas avoir peur, car ils ne veulent pas « le tuer tout à fait ». Ils le mettent néanmoins « presqu’à mort », lui ouvrent le corps et remplacent tous ses viscères « par ceux de l’un d’entre eux ». Puis ils le ressuscitent, et tout se passe comme dans les tribus précédentes.

Les docteurs des Binbinga[142], tribu limitrophe de la dernière, au sud du golfe de Carpentarie, sont initiés par deux esprits transcendants, dont l’un est certainement l’incarnation même de la magie, et dont l’autre paraît n’être qu’un pâle dédoublement du premier, dont il est le fils[143]. C’est le vieux dieu qui tue le sorcier dont nous possédons le récit, lui enlève tous les organes internes, et leur substitue ceux de son propre corps ; il introduit en même temps un certain nombre de pierres sacrées, qui sont évidemment les symboles du pouvoir magique (cristaux de roche ?). C’est le jeune dieu qui le ressuscite, lui montre les secrets magiques, l’emmène au ciel, enfin le fait retomber près du camp. Pendant longtemps le nouveau magicien reste dans un état de stupéfaction.

Il est bien possible que deux des thèmes mystiques clairement exprimés chez les Binbinga, la montée au ciel et l’introduction des cristaux, ne manquent qu’au récit et non pas aux croyances concernant les magiciens Mara. En effet, nous savons qu’ils ont le pouvoir de monter au ciel et de causer aux étoiles[144], et, d’autre part, l’absence de pierres magiques données au sorcier ou disposées dans son corps est relativement invraisemblable. Nous ne doutons donc pas qu’une observation plus approfondie ne mette en lumière le rôle que ces idées doivent jouer dans ce cycle de notions Mara.

Mais ici, nous touchons à une forme intéressante de la mythologie magique. Ces intestins de l’esprit qui deviennent ceux du magicien ne sont là que pour figurer simplement l’identité désormais acquise du magicien et de l’esprit. De plus on doit remarquer que, chez les Binbinga, le nom de l’esprit faiseur de magiciens et celui de magicien sont les mêmes[145]. Le magicien est un esprit, il est même l’esprit par excellence. Un fait de ce genre nous est nettement décrit ; il se trouve dans une tribu du Queensland central N. W., qui n’est pas trop éloignée des tribus précédentes, celle du Cape Bedford : certains vieillards, qui prétendent être des hommes-médecine, portent le nom de Dambun, nom qui est justement celui d’un « esprit de la nature », lequel est, d’ailleurs, l’esprit initiateur des sorciers d’une autre tribu, celle de la Rivière Mac-Ivor[146]. La physionomie de ces esprits de la nature auxquels s’assimile le magicien est assez indéfinie, et leur image n’est pas des plus simples. Pour notre part, nous serions assez disposés à voir en eux des personnalités mythiques fort vagues, du genre du grand serpent d’eau qui est l’objet d’un culte sur les points les plus divers de toute la civilisation australienne. Peut-être aussi ressemblent-ils beaucoup aux Iruntarinia des Arunta, esprits qui sont à mi-chemin entre les âmes d’ancêtres, les esprits animaux de l’espèce totémique et les esprits de la nature. Nous ne savons au juste. Deux choses seules sont certaines. C’est d’abord qu’ils sont représentés comme des personnes avec lesquelles le magicien se met en relations tellement intimes qu’il s’identifie avec elles. C’est ensuite que ces personnalités sont attachées à des lieux ou à des phénomènes naturels, et qu’il faut faire ici une part à une mythologie « naturiste », s’il est possible de parler ainsi.

Il n’y a donc pas à s’étonner que certaines tribus du Queensland Sud Occidental aient eu une notion presque parfaitement naturiste de l’origine des pouvoirs et des connaissances magiques que communiquent les esprits. C’est l’arc-en-ciel, personnifié plus ou moins précisément, qui chez elle, initie le magicien. Le mythe de cette initiation, que les Kabis, aujourd’hui à peu près disparus, possédaient, nous a été décrit à plusieurs reprises[147] par M. Mathew autrefois missionnaire parmi eux. Voici la traduction en français, approximative, de la traduction littérale donnée par M. Mathew du récit fort trouble, fruste mais substantiel qu’on lui fit de ces faits[148]. Nous laissons en place les titres et la division en histoires, qui n’ont, au fond, aucune valeur et n’ont été inventées que par notre auteur.

« L’arc-en-ciel[149]. Arc-en-ciel est méchant. Il a volé un jeune métis, a mis un autre gamin à sa place, mais noir. Il a emporté l’enfant dans un trou (d’eau) de la montagne et l’y a mis. Dans ce trou est l’enfant ; de jour, il sort. — L’arc-en-ciel capable de donner de la vie[150] ? Toi, une fois malade, va te coucher au bord de l’eau. Toi guéri. L’indigène donne à Arc-en-ciel des pierres Nanpai, Arc-en-ciel donne à indigène de la corde[151]. — [Les] Pierres [et cailloux] (sic) de Kundangur. À l’intérieur du Noir sont toujours des pierres, dans ses mains, os, reins, mollets, tête, ongles. Toi reste surnageant [?], dans ton estomac elles entrent. Tu n’es plus malade, tu es rempli de vitalité [tu es devenu man-Nur]… — [La] trouvaille [des] pierres. Toi étends-toi sous un arbre. Tu entends un sifflement. La pierre Nganpai entre en toi. Elle entre avec du bruit. Tu es plein de vitalité, tu ne mourras pas[152]. » — L’indigène qui a donné ces renseignement a évidemment mal décrit les faits. La maladie dont il s’agit n’est probablement que le trouble mental et physiologique préalable à la révélation ; en tous cas, ce ne peut être une maladie du genre de celles que le futur magicien devra traiter.

Si nous nous servons maintenant des renseignements personnels de M. Mathew, nous arriverons au type suivant de révélation. Auprès d’un des trous d’eau où réside Dhakkan[153], [l’] Arc-en-ciel, le magicien va s’étendre. Il s’est muni d’un certain nombre de pierres magiques[154]. À près avoir été saisi d’anxiété, il tombe en un profond sommeil. [L’] arc-en-ciel l’entraîne sous l’eau et là, en échange de ses pierres lui remet de la corde magique, puis le rend à la vie, pourvu de pierres et de corde dans son estomac et dans tout son corps[155]. Ces morceaux de cristal de roche symbolisent la vitalité, la force magique[156], celle de l’arc-en-ciel ; et les pierres, ainsi que le sac-médecine[157] qui en contient un certain nombre, ont une origine surnaturelle qui les rend non seulement puissantes, mais encore sacrées.

Un certain nombre de faits restent d’ailleurs obscurs dans tout ceci. Y a-t-il d’abord une révélation où l’arc-en-ciel donne les pierres de quartz ? Ou n’y a-t-il qu’une seule révélation ? Mais alors que signifie cet échange entre le magicien et l’arc-en-ciel, celui-ci reprenant ce qu’il aurait donné d’abord ? N’y a-t-il pas contradiction entre les récits qui disent que les pierres pénètrent d’une façon autonome dans le corps étendu sous un arbre, et les récits qui disent qu’elles sont données par l’arc-en-ciel, ou que le sorcier les trouve en plongeant « dans un trou d’eau où l’arc-en-ciel est censé se terminer » ? Nous ne savons rien de tous ces détails. Mais nous connaissons le fait en gros. L’individu devenu magicien est rempli d’une nouvelle vie, « une vie magique » ; cette force et cette vitalité supérieures[158], ce pouvoir désormais absolu, sont matérialisés par les morceaux de quartz, les cristaux déposés eux-mêmes par l’arc-en-ciel semblent incarner les forces naturelles qu’il personnifie.

La tribu de Brisbane, aujourd’hui complètement disparue, avait exactement la même croyance[159]. Là le magicien s’appelait turrwan, nom semblable à celui de l’arc-en-ciel, Targan[160]. Celui-ci vomissait des cristaux de roche dans certaines places d’eau où le futur magicien plongeait pour les trouver, à l’endroit même où l’arc-en-ciel était censé finir[161]. Dans tout ce groupe de tribus il y avait une parenté entre le magicien et l’arc-en-ciel.

Peut-être, d’ailleurs, trouvons-nous ici non seulement un type relativement complet de révélation magique par une vague divinité naturiste, mais encore une explication plausible de la croyance qui attache dans les sociétés australiennes les pouvoirs magiques aux cristaux de quartz. Il n’est pas impossible que leur rapport avec l’arc-en-ciel provienne du fait qu’ils décomposent la lumière, donnent les mêmes couleurs et semblent ainsi le contenir. Ce phénomène mystérieux ainsi que celui de la transparence (qui semble relier le cristal de roche à l’élément eau[162]), serait peut-être l’origine même de la valeur singulière donnée à ces cailloux. Mais ceci est une hypothèse ; l’important est que le magicien est réputé avoir été changé, inspiré d’une vie, d’une force, de qualités matérialisées toutes nouvelles.

Cette idée des qualités surajoutées par l’esprit est au fond la seule qui surnage dans les croyances des Pitta-Pitta de Boulia, et de leurs voisins, les Kalkadoon. Chez eux, de nouveau, la distinction des divers esprits s’efface[163], ainsi que le thème de la mort et de la renaissance. L’individu se retire au désert, encore tout jeune, quand il se sent « mal à son aise », il voit Mulkari (Malkari[164]) qui met dans son corps les substances magiques. D’autres sont initiés par un certain monstre aquatique Kan-ma-re[165] qui lance dans leur corps les substances magiques et les laisse rentrer au camp malades ; c’est un autremagicien qui extrait « l’os de Kanmare[166] » dont la possession fait de l’individu un magicien. D’autres sont enfin initiés par les âmes des morts[167], exactement de la même façon.

Sur les Dieri, des environs du lac Eyre, nous disposerons dans quelques mois de renseignements plus détaillés que ceux que nous possédons[168]. Chez eux, le magicien est initié en rêve par un esprit personnel, méchant, confondu souvent avec les tourbillons de poussière du désert, avec les âmes des morts et avec les puissances mêmes des charmes et qu’on appelle Kûchi. Il est inutile de donner de ces faits une description qui sera surannée demain.

Le miracle. — Un événement extraordinaire marquant un pouvoir étonnant peut quelquefois faire un magicien. Il équivaut à une révélation parce qu’il marque une liaison spéciale avec les esprits. C’est ainsi que M. Howitt[169] pour les tribus[170] du Nord de Victoria, M. Mathew, pour les Kabis du Queensland[171] nous affirment que quiconque avait échappé miraculeusement à la mort était réputé magicien.

Mais, si le miracle suffit quelquefois, il semble devoir être toujours nécessaire pour prouver une initiation miraculeuse par elle-même. C’est à ses œuvres que l’on reconnaît le magicien ; il faut qu’il démontre autrement que par ses récits ; ses aventures merveilleuses ne sont crues que s’il les fait suivre de cures et de prouesses merveilleuses elles aussi[172]. Il se distingue du charlatan quelquefois par les stigmates qu’il porte[173], toujours par les événements qu’il suscite et qui font éclater sa qualité.

Le système de la révélation magique se présente donc avec une extraordinaire uniformité dans toute l’Australie. Nous pouvons résumer les caractéristiques de cette institution en un petit nombre de thèses :

1o La révélation se produit normalement chez des individus isolés et non pas en groupe[174]. Elle est un phénomène social qui ne se produit qu’individuellement.

2o Elle est souvent provoquée par l’individu qui se sent apte à devenir magicien, et a soit des relations particulières avec d’autres magiciens, soit des dispositions nerveuses déterminées[175]. Le futur magicien se retire dans la solitude, forêt ou désert, se soumet souvent à des rites, qui sont ou des jeûnes et des privations, ou bien des exercices intellectuels violents[176]. Il s’intoxique ainsi et se prépare à des hallucinations véritables. Les cas de rêve et d’initiation involontaires sont assez rares.

3o Elle comporte un état d’extase[177], plus ou moins durable, et suivi, souvent, d’une espèce de délire assez long.

4o Ce que l’individu croit avoir éprouvé dans cet état est d’ordinaire représenté par une apparition d’esprits, un contact prolongé et intime avec les esprits dans leur monde. Ce contact est censé dans nombre de cas altérer profondément la personnalité du magicien. Il a une vie nouvelle, sa vie ancienne est finie ; quelquefois même il devient un esprit. Toujours cette qualité récente se marque par la possession d’une substance magique au moins.

5o Cette substance magique absorbée est d’ordinaire représentée par des cristaux de roche, qui semblent contenir non seulement la force magique, mais encore, au moins dans certains cas, les forces mêmes de la nature[178].

IV

L’INITIATION PAR LES AUTRES MAGICIENS

Cette initiation se réduit en réalité à une révélation traditionnelle, c’est-à-dire opérée par les magiciens comme par des esprits. Même, lorsque nous sommes bien informés, la part du mythe apparaît extrêmement grande dans les rites qui entourent la transmission des formules et des substances magiques, ainsi que la mise en contact du futur magicien avec les esprits, tellement grande que l’on dirait n’avoir affaire, au fond, qu’à des espèces d’illuminations et d’extases. L’imagination grossirait-elle un seul trait du cérémonial un peu accusé, que cela suffirait à faire confondre les réalités rituelles avec les fantasmagories du monde des esprits. Aussi, de même que nous avons pu penser que des rites pratiqués par d’autres magiciens se mêlaient à certaines révélations soi-disant pures, de même nous verrons ici de nombreux rêves, des images touffues recouvrir, dans l’esprit du récipiendaire, les traitements auxquels il se soumet.

Le cas le plus typique, dans cet ordre de faits, est celui de l’initiation chez les Warramunga, le plus typique, sinon malheureusement le mieux décrit[179]. L’initiation n’est pas faite par les magiciens de la tribu elle-même, mais par de vieux magiciens de la tribu voisine des Worgaia[180]. Ceux-ci sont dits posséder non seulement les formules et les substances nécessaires, mais encore les esprits, du genre du serpent[181], et aussi, et surtout, les petits bâtons mystérieux, résidus d’ancêtres de l’Alcheringa (les temps mythiques), appelés Kupitja, et que le magicien porte d’ordinaire à travers ses narines[182]. Actuellement, c’est un Worgaia fort célèbre, maître de nombreux élèves, qui initie les praticiens Warramunga[183]. Les candidats doivent ne prendre aucun repos ; ils sont obligés de rester debout ou de marcher jusqu’à ce qu’ils soient complètement épuisés et sachent à peine ce qui leur arrive. Ils ne doivent ni boire une goutte d’eau, ni goûter d’aucun aliment. En fait, « ils arrivent à être tout abasourdis et stupéfiés et, dans cet état, reçoivent le nom d’Ungalinni. Leurs flancs sont ouverts et, comme il est de règle [dans ces tribus], leurs organes internes sont enlevés et remplacés par de nouveaux. Un serpent, appelé Irman, dont la grande puissance provient surtout du fait qu’il est du pays Worgaia, leur est introduit dans la tête. Enfin, un des Kupitja, qui sont réputés avoir été faits par les serpents de l’Alcheringa, est placé dans le trou qui leur perfore la cloison nasale[184] ». À ce groupe particulier d’hommes-médecine, on donne le nom d’Urkutu, c’est-à-dire le nom générique des serpents[185].

Il est évident que dans ce cas, sommairement rapporté, le mythe et la fantaisie jouent un rôle énorme et que, de plus, les rites d’ailleurs ressentis comme dans une espèce de rêve, agissent violemment sur l’esprit à la façon de suggestions hypnotiques. Ainsi, on nous dit[186] que la sensation de l’entrée, dans le nez, du kupitja et du pouvoir magique qu’il contient, était « mordante ».

La tribu voisine, au Sud, de la précédente, celle des Unmatjera, suit un rituel analogue pour l’initiation du magicien. Ce rituel ne se distingue guère d’une pure révélation du type Arunta, sauf en ce que l’esprit magique est remplacé par un vieux magicien, et en ce que le maître magicien n’a pas, pour séjour, une espèce d’Élysée où il emmène l’âme du récipiendaire. Mais le fond de la croyance est le même[187]. Voici le récit résumé d’un certain Ilpailurkna : « Un vieux sorcier tue le candidat avec ses pierres atnongara. Il lui ouvre les flancs, lui enlève tous ses organes internes, intestins, cœur, foie, poumons, etc., et le laisse sur le sol. Le lendemain il lui introduit, à l’intérieur du corps, des pierres atnongara, l’incante jusqu’à ce qu’il ait gonflé, puis met d’autres organes neufs à la place, et encore d’autres pierres atrongara. Enfin, il gifle le corps du novice » — ainsi l’on réveille l’hystérique — « et le ressuscite. Puis il lui fait boire de l’eau contenant des pierres atnongara, et manger des mets contenant aussi de ces pierres. Ilpailurkna avait tout oublié. Le vieux le reconduit au camp et lui montre une femme qu’il ne reconnaît pas. Cette femme était la sienne. »

Les mêmes faits nous sont racontés d’une façon beaucoup plus circonstanciée par nos auteurs quand il s’agit de la troisième classe des « hommes-médecine » Arunta[188], c’est-à-dire de la classe des magiciens initiés par d’autres magiciens. Les détails sont ceux du rituel des Arunta du Sud (cours supérieur de la Finke). Le jeune homme[189] s’adresse à deux magiciens initiés autrefois l’un par les (un ?) Iruntarinia, l’autre par un Oruncha (esprit plus spécialement mauvais). Celui-ci et un autre individu l’emmènent dans un endroit désert, et là le soumettent à diverses opérations qu’il doit subir dans le plus parfait silence. La première consiste à introduire dans le corps du futur magicien des pierres magiques, des cristaux Ultunda[190]. Ces pierres sont extraites du corps des magiciens, et ceux-ci les pressent lentement, par trois fois, et fortement, de façon à écorcher la peau, le long du corps du candidat, depuis la face antérieure de la jambe en remontant jusqu’à la poitrine[191]. Cela a pour effet de faire pénétrer dans le corps du nouveau magicien les pierres Atnongara. Diverses autres cérémonies ont encore exactement la même portée : la première consiste soi-disant à lui lancer de loin des morceaux de cristal dans la tête ; puis on recommence les frictions sanglantes toujours de bas en haut, et cette fuis en y soumettant les bras ; puis on presse encore ces cristaux contre le cuir chevelu, jusqu’à le faire saigner ; les pierres entrent maintenant dans le crâne ; puis on perce un trou sous l’ongle de la main droite, très long, dans la chair ; et, soi-disant encore, on y introduit un cristal que le néophyte doit se garder de laisser échapper. Pendant tout ce temps, celui-ci doit d’ailleurs jeûner et garder le silence. Ce n’est que le soir, après avoir été écorché pour la troisième fois, qu’il reçoit à boire et à manger, des mets et de l’eau qui sont dits contenir des pierres Atnongara, l’eau contenant réellement de petits cristaux de roche.

Le second jour, répétition du même jeûne, des mêmes épreuves, du même rituel, avec, en plus, un rite qui consiste à faire mâcher au candidat du tabac indigène contenant lui aussi (?) des cristaux.

Le troisième jour, mêmes observances, compliquées de l’opération dominante : l’un des magiciens extrait de son crâne, par derrière son oreille, un cristal fin et pointu, et « tirant au dehors la langue du novice, autant qu’il peut, y fait, avec la pierre, une incision de près d’un pouce de long ». — La quatrième opération a lieu immédiatement ensuite et consiste essentiellement, pour l’un des magiciens, celui qui avait été initié par un Oruncha, à dessiner, sur le corps du nouveau docteur un dessin spécial, le dessin sacré de l’Oruncha ; la marque sur le front représentant (fig. 257) la « main du diable », la peinture du corps représente l’Oruncha lui-même. Puis le jeune homme est ramené au campement ; on lui intime l’ordre de rester au camp réservé des hommes, de garder le silence et de laisser son pouce gauche pressé sur son pouce droit, jusqu’à ce que les blessures de sa langue et de son pouce soient cicatrisées.

Nous avons ici à peu près tous les thèmes de l’initiation par révélation ; d’ailleurs, il se peut que certains des Iruntarinia ou Oruncha, qui jouent un rôle dans la révélation, ne soient que des magiciens de chair et d’os, que le néophyte voit comme des esprits. En tout cas, il n’est pas douteux qu’ici les magiciens remplissent, comme ils font chez les Unmatjera, tout ce qu’ils peuvent remplir du rôle des esprits. La seule chose qu’ils ne fassent pas, c’est mettre à mort et ressusciter le candidat : pourtant, il se peut que ce sommeil que le jeune homme doit prendre à certains moments des deux premiers jours soit un sommeil léthargique comme celui où les Iruntarinia trouvent plongé leur initié. Seulement nous n’en sommes pas certain, et il ne nous est guère permis de dire que le magicien Arunta de la troisième classe ait, comme ses autres confrères, une vie nouvelle qui l’apparente aux esprits. Il n’a que ses pierres atnongara et les dessins qu’il porte, pour l’identifier à ceux-ci et marquer le changement qui vient de s’opérer en lui. D’ailleurs, il est encore possible que le rituel de la mise à mort et de la résurrection ait été omis de la cérémonie particulière que relatent MM. Spencer et Gillen, ou bien qu’il soit tombé en désuétude.

Si nous appliquions à la lettre le principe que M. Tylor a appelé celui de la récurrence, c’est à cette dernière hypothèse que nous nous arrêterions le plus volontiers. Car des tribus fort éloignées, les Mitakoodi, ont un rituel d’initiation qui comporte une espèce de meurtre provisoire du candidat[192]. Les magiciens Mitakoodi sont initiés par les magiciens Goa (nom d’une tribu de la Diamantine supérieure), de même que, chez les Warramunga, c’est un Worgaia qui introduit le serpent magique. Le futur magicien fait à son maître, un Goa, un présent convenable. « On le met à mort, puis on le jette dans un trou d’eau pour quatre jours ; le cinquième on le retire ; on allume des feux tout autour de lui pour sécher tout à fait son corps, et en retirer toute l’eau ; on le rétablit ainsi en santé et en vie. C’est alors qu’on lui montre à se servir de l’os (os de mort magique qui sert aux envoûtements), et qu’on lui enseigne les chants nécessaires pour qu’il les chante quand il se sert de cet os dans sa tribu. Son succès dans son art est dès lors assuré. » Ce renseignement sommaire, évidemment incomplet, et au surplus mal rédigé, établit pourtant bien que le mythe rituel de la mort et de la renaissance ne manque pas plus à une initiation magique qu’à l’autre, de la même façon qu’il est régulier, dans toute l’Australie pour un très grand nombre d’initiations générales des mâles de la tribu[193].

Pour un certain nombre de cas d’initiation par des magiciens nous ne possédons que des informations sommaires, mais l’essentiel est pourtant indiqué. Il s’agit toujours bien, de la part des initiateurs, de communiquer, à la façon des esprits, au nouveau magicien une nouvelle vie, une qualité nouvelle, marquées par la possession interne de ces pierres magiques et de ces os magiques. C’est ainsi que chez les Pitta Pitta du Queensland[194], les os et cristaux retirés par un magicien du corps d’un nouvel initié, peuvent servir à faire un autre initié encore. Grey semble nous indiquer des faits du même genre à propos de la tribu de Perth[195].

V

LES RAPPORTS ENTRE L’INITIATION PAR RÉVÉLATION
ET L’INITIATION PAR TRADITION MAGIQUE

Les liens qui unissent les deux modes d’entrée dans la profession magique paraissent, en somme, infiniment plus étroits que la nature même des circonstances ne le faisait supposer.

D’une part il est en effet constant que, après la révélation, après le changement des organes, dans des sociétés pour lesquelles nos informations sont assez complètes, comme chez les Arunta, le nouveau magicien a encore à apprendre, par tradition orale un certain nombre de formules et de rites nécessaires[196]. La même chose se passe pour les magiciens Murring[197]. Quelque importance qu’aient le contact direct, l’identification même avec les esprits, ils ne dispensent pas de l’éducation par les anciens dans les secrets de l’art magique.

D’autre part, même là où la tradition magique se fait le plus simplement, elle semble encore s’entourer d’une masse considérable de rites dont la portée imaginaire fait ressembler quelquefois complètement l’action des magiciens à l’action des esprits.

La relation intime entre les deux initiations s’exprime heureusement dans quelques faits. Ainsi ce semble être un principe chez les Murring de la côte que la révélation par Daramulum communique les pouvoirs sans communiquer la connaissance que donne la révélation par les autres magiciens[198].

Ce lien qui unit la tradition et la révélation magique provient des conditions mêmes de ces faits. Il ne s’agit ici que de phénomènes de croyance, où la foi et l’illusion jouent un rôle prédominant, quelque importance que puissent avoir les rites et les enseignements véritables. D’autre part, cette foi ne s’attache qu’à des objets tout traditionnels, à des personnes mythiques ou à des substances dont les propriétés sont indéfinies (os de mort, cristaux de roche), mais dont le pouvoir connu est nettement déterminé comme magique. C’est pourquoi la révélation ne fait que donner accès à la corporation des magiciens et, d’autre part, l’entrée dans le corps des docteurs est conçue comme une révélation, car c’est malgré tout de façon surnaturelle qu’au cours des rites on acquiert les pouvoirs magiques. C’est pourquoi, dans quelques renseignements précis, il nous est bien dit que le jeune magicien initié, même après avoir été mis en relation avec les esprits, reçoit une éducation très longue, ses pouvoirs n’arrivant à maturité qu’après un certain temps[199].

Il lui faut en effet acquérir la connaissance des substances et des rites traditionnels ; il lui faut, afin de ne pas ébranler, par des dérogations aux règles, les croyances qu’il s’agit d’exploiter, probablement, quelques tours de main indispensables. Il lui faut enfin le temps de se faire reconnaître comme magicien, de faire ses preuves ; et il est soumis à des épreuves quasi expérimentales. Peut-être y soumet-il lui-même son pouvoir. C’est du moins ce qu’il est permis de supposer. Une remarque très fine de MM. Spencer et Gillen[200] dit que le nouveau magicien Arunta met quelque temps à se convaincre qu’il a bien réellement subi les aventures dont la tradition impose d’ailleurs l’image à son rêve. Il lui faut méditer pour retrouver et vérifier des souvenirs qui lui sont fournis stéréotypés par tous les on-dit. Il y a une nécessité psychologique qui fait que la révélation devient une espèce de tradition, même chez l’individu qui en fut le héros.

Il en est, toutes proportions gardées, exactement mais inversement de même en ce qui concerne les initiations par les magiciens. Elles sont, à quelque degré, des révélations. Non seulement certaines d’entre elles cadrent exactement avec des initiations par révélation, mais encore toutes ont pour effet de transporter les magiciens dans un monde spécial, imaginaire, de les mettre en contact direct avec les esprits. Le temps d’épreuves auxquels ils sont soumis même dans ce cas démontre précisément qu’il s’agit bien, pour eux et pour leurs crédules spectateurs, de prouver qu’ils ont acquis une qualité nouvelle, toute mythique, à savoir, la possession de pouvoirs spéciaux[201], matérialisés d’ordinaire dans l’os de mort ou le cristal de roche ; et qu’ils ont acquis des relations intimes avec des esprits familiers, relations que témoignent quelquefois des dessins ou même des stigmates particuliers.

En somme, tout se passe ici sur un terrain mouvant où le mythe et le rite, les sensations, les actes, les inspirations, les illusions et les hallucinations se mêlent, non sans harmonie, pour former une image traditionnelle du magicien ; image grossie chez les autres membres de la tribu, atténuée chez lui, mais à laquelle s’attache, en son esprit, une croyance ferme et relativement peu feinte.

VI

LA CONSERVATION ET LA FUITE DES POUVOIRS MAGIQUES

Ce qui établit précisément que ces initiations ont avant tout pour effet commun d’entraîner chez le magicien australien et chez ces adeptes un état de croyance collective, croyance surtout sentimentale, c’est que des sentiments de crainte et de respect naissent à l’égard du nouveau magicien, et qu’il est dorénavant enserré et protégé par toute une série ce tabous. Il occupe une situation privilégiée, dont la grandeur croîtra avec l’âge ; quelquefois il est chef du groupe local, quand il y a des chefs. D’ordinaire il y a des droits spéciaux, non seulement à l’égard des étrangers au groupe, mais encore, ce qui est plus rare dans ces démocraties primitives, à l’égard des membres du groupe. Il peut enfreindre des lois extraordinairement sévères comme celles qui règlent l’adultère ; tandis que les autres craignent de se laisser aller à aucune privauté à son égard[202].

Mais les observances dont le magicien se constitue l’esclave montrent encore mieux que s’il se dit hors du commun, c’est qu’il a en réalité la même conviction que ses sectateurs. Il se sent lui-même différent, et ne mène pas la même vie, autant par besoin d’en imposer aux autres que parce qu’il s’en impose à lui-même[203], et surtout parce qu’il craint de perdre les qualités extraordinairement fugitives qu’il a acquises.

Il y a — nous le savons dès que nous disposons d’informations suffisantes — immédiatement après la révélation ou après la tradition magiques, un espace de temps rempli d’observances plus particulières. Cela nous est attesté chez les Arunta[204], pour l’une comme pour l’autre des façons de devenir magicien. L’initié par les magiciens doit rester au camp des hommes, laisser ses blessures se cicatriser d’une certaine façon, sans quoi les pierres atnongara fuiraient. Pendant près d’un mois, où il se remet du terrible traitement subi, il ne cause à aucune femme ; ses mères[205], femmes et sœurs aînées lui envoient indirectement de la nourriture. Ce n’est qu’ensuite qu’il peut se rendre à son camp ; là encore il est soumis à des règles de silence et d’abstinence. La nuit, il dort en mettant un feu entre lui et sa femme. Ce feu le rend visible à l’Oruncha, à l’esprit, devenu le sien, du magicien qui l’a initié, et montre à cet esprit qu’il s’abstient même de sa femme. « S’il manquait à ces prescriptions, l’Oruncha causerait le départ de son pouvoir magique et le ferait retourner au vieux Nung-gara (magicien initiateur), et ses facultés magiques disparaîtraient pour toujours. » De même façon, une année entière d’épreuves, d’entraînement, est infligée au jeune initié par les esprits.

Ensuite ces pouvoirs, une fois consolidés, prouvés et attestés, n’en restent pas moins fugitifs. Ces qualités délicates et subtiles, ces pierres magiques animées d’une vie mystérieuse, ces relations intimes avec des esprits ombrageux ne peuvent être conservées que par une obéissance stricte à de nombreux tabous. Ainsi chez les Arunta, sous peine de perdre toute amitié de l’Iruntarinia, de voir fuir ses pierres atnongara, et d’être ainsi destitué de toute vertu magique, le magicien doit, par exemple, « ne manger ni graisse ni mets chaud ; ne pas respirer la fumée d’os qui brûlent, ni approcher du nid des grandes fourmis taureaux ; » car s’il était mordu par une de ces fourmis, il perdrait définitivement son pouvoir pour toujours. « Les aboiements des chiens du camp peuvent quelquefois aussi faire fuir les pierres atnongara[206]. » Elles retournent à l’esprit qui les a données, que l’amitié de cet esprit vienne d’une révélation directe ou de la révélation indirecte d’un autre magicien. Les mêmes interdictions se trouvent chez les Kaitish et les Unmatjera. MM. Spencer et Gillen nous citent le fait remarquable d’un magicien qui sent ses forces magiques s’évanouir, et disparaître ses pierres atnongara au moment même où il a avalé, par distraction, une tasse de thé chaud[207]. Chez les Warramunga, les tabous sont encore plus développés. Les licences qui sont permises ne font que les compenser[208]. Non seulement leur violation entraîne la perte du pouvoir magique, mais elle met en danger la vie, tant la nouvelle vie est devenue la véritable vie du magicien. MM. Spencer et Gillen ont vu d’ailleurs eux-mêmes un magicien, de la classe matrimoniale des Tjunguri, qui, pour avoir consommé d’une de ces choses défendues, fut atteint d’une maladie qui devint mortelle[209] ; cependant il n’était pas très jeune ; et les tabous n’étaient plus graves. Jusqu’à la vieillesse, outre les défenses de manger de la graisse, d’approcher du nid des grandes fourmis, il est interdit aux magiciens de manger de l’ours [natif], du serpent noir, du serpent tapis, du serpent blanc, du kangourou, de l’ourson, du dindon, du chien sauvage, du chat indigène, de grands lézards, certaines graines de gazon, et ils ne doivent boire d’eau que modérément. Toute leur vie, jusqu’à ce qu’ils aient des cheveux gris et les droits afférents à l’âge, ils doivent de la nourriture aux vieux maîtres de la corporation[210].

Il est très remarquable que M. Howitt, dans les plus anciens des renseignements qu’il nous a donnés sur les Kurnai, mentionne précisément la perte du pouvoir médical, à la suite des morsures de fourmis taureaux[211]. Le magicien Kurnai, dont nous avons raconté l’initiation, a eu pareille aventure[212]. Ce sont les boissons alcooliques, et un rêve où il voyait sa femme jeter sur lui du sang menstruel, qui ont fait que son Kîn (substance magique) a quitté son sac-médecine, et qu’il a perdu son pouvoir. Ni l’un ni l’autre ne sont revenus[213]. À propos des tribus de la Yarra, dès avant 1878, M. Howitt mentionnait que leurs magiciens ont d’autres goûts (une autre alimentation), mangent autre chose et à d’autres heures ; qu’ils dorment pendant que les autres veillent et inversement : qu’ils font tout pour ressembler aussi peu que possible au commun de la tribu[214]. Les pierres et l’os magique reçus des Len-ba-moor peuvent être enlevés par ces esprits et mis dans le sac-médecine d’un autre Weraap (magicien), et leur ancien possesseur, tout comme chez les Warramunga, tombe malade et meurt[215].

Ailleurs c’est à l’esprit initiateur que la substance magique revient[216]. Nous sommes persuadé que des recherches approfondies, dans la plupart des tribus australiennes, feraient apparaître bien des faits de ce genre.

VII

CONCLUSION

Tous ces faits ont une valeur sociologique qu’il s’agit maintenant de démontrer. Ils nous font apparaître, du coup, la simple magie sympathique du médecin-envoûteur australien comme quelque chose de très différent d’un mécanisme simple d’idées techniques erronées.

Le magicien est un être qui s’est cru et qui s’est mis, en même temps qu’on l’a cru et qu’on l’a mis hors de pair. Nous l’avons vu, dans un certain nombre de sociétés australiennes, se confondre définitivement avec l’esprit qui l’initie. Nous l’avons vu, dans toutes les autres, obtenir certaines qualités, d’ordinaire matérialisées en une substance magique (cailloux, os, etc.), dont la possession toute spirituelle et mystique le fait encore ressembler plus étroitement aux esprits qu’aux autres mortels. Souvent toute sa personnalité a été renouvelée au cours des rites, ou bien il s’est senti lui-même renouvelé au cours de ses extases traditionnelles. Nous hésitons à dire, qu’il a une âme de plus[217], il ne l’a qu’en partie et quelquefois, dans quelques sociétés ; la vérité est qu’il a toujours une vie, une faculté mythique toute nouvelle. Il est devenu, il reste, et il est obligé de rester un autre.

C’est ainsi que le magicien australien acquiert les pouvoirs qui le rendent apte à sa profession. Cette âme neuve qui lui permet d’avoir des relations plus particulières avec les dieux et les âmes des morts, avec les esprits de la nature et des espèces totémiques (toutes notions alors confondues), est précisément son pouvoir magique, son mana comme on dirait dans les langues mélanésiennes. Il l’a puisé dans le monde des forces surnaturelles, dans le monde du mana lui-même. Mais ces esprits, ces pouvoirs, n’ont d’existence que par le consensus social, l’opinion publique de la tribu. C’est elle que le magicien suit, et dont il est à la fois l’exploiteur et l’esclave.

Lui-même est à moitié sincère. D’une part, les extases qui réalisent l’image traditionnelle de l’acquisition des pouvoirs magiques ne sont pas simulées ; sur le candidat émacié par le jeûne, isolé dans le désert, et souvent au moment trouble de la puberté, l’idée de l’origine surnaturelle de ce mana, imposée même avant la recherche de la révélation, exerce une fascination suggestive. Les méditations subséquentes, la parfaite crédulité des clients du magicien finissent ensuite par convaincre ce dernier de la vérité des sensations éprouvées : les croyances traditionnelles se corroborent de son expérience propre et corroborent celle-ci. D’autre part, quand c’est une initiation traditionnelle qui se produit, ce ne sont pas les transmissions orales et manuelles de formules, de rites et de substances qui sont l’essentiel pour le novice. Le principal, c’est qu’il sent que les initiateurs lui transmettent intimement les pouvoirs qu’il leur prête, qu’ils lui donnent accès direct aux esprits, à un monde supérieur et brillant, qu’ils le gratifient de qualités et de substances magiques. Ce sont ces sensations éprouvées en une fois qui lui donnent cette confiance et cette demi-sincérité qui ont toujours été en propre au magicien professionnel de tous les pays[218].

Le magicien australien est-ce qu’il est, sent ce qu’il sent, se traite comme il fait, et est traité comme il est traité, parce que, pour lui et pour les autres, il est un être que la société détermine et pousse à remplir son personnage.


  1. Qui contiennent tout particulièrement un travail de Mrs Langloh Parker, sur les Wirreenun, hommes-médecine de la tribu des Euahlayi (Nord des Nouvelles-Galles du Sud).
  2. Bastian, Allerlei aus Menschen-und Völkerkunde, 1884.
  3. Tylor, La civilisation primitive, trad. fr., Paris, 1878, II, p. 868 et suiv.
  4. Stoll, Suggestion und Hypnotismus in der Völkerpsychologie, 2e éd., 1906, p. 15 et suiv.
  5. Achelis, Die Extase, 1902, p. 50 et suiv.
  6. Bartels, Die Medizin der Naturvölker, 1893, passim, à partir de p. 44.
  7. Nous faisons allusion aux théories de M. Frazer, The Golden Bough, 2e éd., 1899, t. I, p. 15 et suiv. ; II, p. 370 et suiv. ; III, p. 460 et suiv. ; Le rameau d’or, trad. de Stiebel et Toutain, 1re partie. La théorie de M. Jevons, Introduction to the History of Religion, 1897, p. 17 et suiv., cf. p. 379, 417, etc., n’est que l’exagération de celle de M. Frazer. M. Sidney Hartland, qui nous avait semblé s’y être rattaché dans sa Legend of Perseus, 1896, t. II, p. 55-116, s’en était expressément détaché dans son compte-rendu du Gold. B. de M. Frazer, paru dans Man, 1901, no 43, et depuis a trouvé relativement satisfaction dans la théorie que nous avons proposée (Folklore, 1904, p. 359 et suiv.).
  8. H. Hubert et M. Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie, Année sociologique, t. VII, p. 37-41. Le présent mémoire est en partie destiné à montrer sur quelle substructure de documents critiqués repose notre théorie.
  9. Ram. d’Or, trad. fr., I, p. 75 et suiv.
  10. Cf. une intéressante discussion par M. Laurence Gomme sur les faits australiens décrits par M. Howitt, On Australian Medecine-Men, Journal of the Anthropological Institute of Great Britain end Ireland (dorénavant cité J. A. I.), XVI, p. 58.
  11. Une première difficulté provenait, dit M. Howitt à propos des Kurnai, de la disparition des anciens magiciens (Austr. Med. Men., dorénavant cité A. M. M., p. 56-57, cf. Fison et Howitt, Kamilaroi and Kurnai, 1885, p. 253 et suiv.) et de la désuétude où sont tombés les usages (A. M. M., p. 48). Une seconde difficulté provenait du caractère ésotérique de ces faits d’initiation magique. Les magiciens entourent tous leurs actes de mystère, et en particulier les circonstances où ils ont acquis leurs privilèges ; on n’en sait, dans la tribu, que les contes traditionnels, aussi éloignés de la vérité que les on-dit des enfants et des femmes en ce qui concerne l’initiation solennelle des jeunes gens par la tribu (A. M. M., p. 47 et 48). Enfin non seulement dans l’esprit public, mais encore dans l’esprit même du magicien, les faits réels et les dires traditionnels se mêlent de façon indissoluble, et l’homme se rend très mal compte de ses actes. De telle sorte qu’il est très difficile de savoir comment les magiciens australiens pensent vraiment avoir acquis leur pouvoir. Howitt, On some Australian Beliefs, J. A. I., XIII, p. 195 ; A. M. M., p. 25 et 26.
  12. Nous ne citerons ici que les tribus sur lesquelles nous n’aurons pas à revenir dans notre travail, et nous faisons naturellement abstraction des ouvrages de fantaisie ou de vulgarisation, dont quelques-uns sont même des faux, tels le livre de Perron d’Arc : Aventures d’un voyageur en Australie. Neuf mois de séjour chez les Nagarnooks, Paris, Hachette, 1869. — Nous pourrions aisément mais inutilement allonger la liste de nos références, mais nous ne citons que les meilleurs des documents, où, quand on nous a parlé des pouvoirs magiques, on a négligé de nous dire comment ils étaient acquis. Voir Taplin, The Narinyerri, etc., 2e éd., 1878, p.  ; cf. p. 97, p. 65 : cf. p. 78, une ascension au ciel. — E. Curr, The Australian Race, 1886, III, p. 22, 26, 136, 144, 147, 223. — W. Wyatt, Some Account of the Manners, and Superstitions of the Adelaide and Encounter Bay Aboriginal Tribes, in Woods, Native Tribes of South Australia, Adelaïde, 1878, p. 173, 174. — H.-E.-A. Meyer, Manners and customs of the Aborigines of the Encounter Bay Tribe, in Woods, ibid., p. 197 et suiv. (Nous n’étudierons pas en détail ce dernier texte qui identifie curieusement pouvoir magique et ngaitye, c’est-à-dire totem individuel, parce qu’il nous semble, malgré l’affirmation très nette, p. 198, qu’il doit y avoir là une erreur fondamentale.) — C.-W. Schürmann, The Aboriginal Tribes of Port Lincoln, etc., ibid., p. 223, 225, 23 et suiv. — Harriott Barlow, Aboriginal Dialects of Queensland, J. A. I. 1871, vol. II, p. 174 (natural gift du magicien). — W. Chatfield in Curr, The Australian Race, III, p. 477 (Pegullobura). — J. Cassady in Curr, ibid., p. 425 (tribu de Halifax bay). — Mowbray, ibid., p. 403 (tribu de Granite Kange) ; cf. ibid., p. 351. — Bicknell, Travel and Adventure in Northern Queensland, 1895, p. 104 et 106. — R. Semon, In the Australian Bush (Upper Burnett), p. 222. — Lumholtz, Chez les Cannibales, trad. fr., 1890, p. 266, 269. Voilà quelques-unes des références que nous pouvons indiquer, rien que sur l’Australie méridionale et sur le Queensland. Nous renonçons à allonger cette liste, d’ailleurs indéfinie. Pour la Nouvelle-Galles du Sud nous ne pouvons attacher grand poids aux généralités de J. Mann, Notes on the Aborigines of Australia (Proc. Geogr. Soc. Australasia, Sidney, 1885), où sont relatés les dires de Mannitig et du nègre imposteur Andy, p. 57, 65 ; de J. Manning, Notes on the Aborigines of New Holland (Journ. a. Proc. of the R. Soc. of N. Sth Wales, 1892, XVI, p. 101), où Andy raconte que ses pierres magiques lui viennent du ciel ; de J. Fraser, The Aborigines of N. S. W., Sydney, 1892, p. 12 (pouvoir du magicien d’extraire des corps variés suivant son propre totem), p. 59 (pouvoir illimité du magicien). Nous ne tenons pas compte non plus des renseignements, certes circonstanciés, mais sans localisation aucune, que Bonwick a versés à la science, The Australian Natives, J. A. I., XVI, 1887, p. 209, cf. discussion du même in Proceed. Roy. Col. Inst., XXII, 1890-1891, p. 48. Ils n’ont qu’une valeur d’appoint. On trouvera de nombreuses références dans Curr, I, p. 401 ; II, p. 145, 199, 200, 215 ; III, p. 274, 354, 369 (Barkingi) ; cf. Bonney, On some customs of the Aborigines of the River Darling, J. A. I., XIII, 1884, p. 130 ; etc. À propos des tribus de Victoria dont nous n’aurons pas à nous occuper, voir Brough Smyth, The Aborigines of Victoria, 1878, I, p. 176, 260 et suiv. ; II, p. 100, p. 135, 289, 296 ; Angas, Savage Life and Scenes, etc., 1847, I, p. 58, 59, 81, 89.
  13. Outre les textes cités plus bus, p. 489 et suiv., voir T.-L. Mitchell, Three Expeditions into the Interior of Eastern Australia, 2e éd., 1839, II, p. 344, 346 ; Angas, Savage life, II, p. 224 (tribu de Sidney « quartz crystal… excremont from the deity ») ; Scott Nind, Descriptions of the Natives of King Georg’s Sound, Journal of the R. Geogr. Soc., 1831, I, p. 41 et suiv., : A. W. Howitt (Coast-Murring), cérémonie des sorciers qui extraient de leur corps des substances magiques, On certain Australian Ceremonies of Initiation, J. A. I, XIII, p. 446, 450. Cf. Arch. Günther, Manuscript Grammar and Vocabulary of the Aboriginal Dialect called Wiradhuri (Wirraijuri) in App. Fraser, récit de Threlked à rapprocher, p. 73, ad verb. Bawan, p. 80, ad Dawai p. 85, ad Gibba p. 104 et 110 ; Mrs Meredith, Notes and Sketches of New South Wales, etc., 1843, p. 92 (anecdote amusante où, à propos des cristaux de roche, le sorcier dit qu’il sait bien où l’on va les chercher) ; R. H. Mathews, dans ses divers articles sur les Bora Wiraijuri, dans J. a. Pr. of the R. S. of Victoria, 1896-1898, J. A. I, 1895-1898 : J. R. S. New S. Wales, 1894-1898, pour des cérémonies de ce genre.
  14. Police trooper Noble, à propos des tribus de la Flinders Range, in Taplin, The Folklore, etc., Adelaïde, 1878, p. 64 (cette tribu est probablement les Dieri ou les Urabunna, car elle est divisée en Muttay et Arii = Mathurie et Karauru). Il est dit qu’il n’y a « pas de sorcellerie » dans cette société ; cf. pour des renseignements du même genre, p. 63, 94, (caporal de police Trevis) à propos de la tribu de Port-Lincoln, sur laquelle Schürmann nous informe fort bien.
  15. Nous n’avons pas à donner ici un aperçu général des différents pouvoirs que les Australiens reconnaissent à leurs magiciens. On en trouvera d’ailleurs une bonne description dans Howitt, On some Australian Beliefs, J. A. I., XIII, 1884, p. 197. Cf. des observations très justes du même auteur in A. M. M., p. 25 et 26, sur la nature de ces pouvoirs et sur le degré de sincérité du magicien qui y croit relativement.
  16. Voir H. Hubert et M. Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie, Année sociologique, VII, p. 108 et suiv.
  17. Voir Grey, Two Expeditions, etc., « Boyl-ya yongar boyla-gaduk », dit l’indigène Kuiber à Grey ; que Grey traduit « The Boylya are natives who have the power of boylya », et que nous traduirions « Les Boylya sont gens qui ont du Boylya », II, p. 338, ibid., p. 337. Le boylya est un morceau de cristal ; cf. ibid., p. 266, 326, 340 (anecdote précise) ; voir Grey, Vocabulary of the Dialects of Sth.-W. Australia, 1844, Boyl-ya, « a sorcerer, the buck witch of Scotland, a certain power of witchcraft », p. 17, cf. p. 18, s. v. boyl-ya gaduk, p. 121, 122, 127, s. v. wall-byne et Weer-go sur la façon dont les boyl-ya (charmes, esprits, sorciers) entrent dans le corps du malade sous la forme de cristaux et comment le magicien les en fait disparaître. Les autres auteurs qui ont écrit sur ces mêmes tribus (ce sont à la fois les plus anciennement et les seules connues de l’Australie occidentale) ne semblent pas avoir rien ajouté aux documents de Grey, si même ils ne les ont pas copiés ou tout au moins subi leur ascendant. Nous ne pouvons faire d’exception à cette observation crilique que pour : Scott Nind, loc. cit., J. R. Geogr. Soc., I, p. 41, 42, témoignage antérieur, Mrs E. Millet, An Australian Parsonage, etc., 2e éd., London, 1872, p. 79, dont le renseignement est sans intérêt et pour Mgr Rudesindo-Salvado, Mémoires historiques sur l’Australie, trad. fr., 1854, p. 261, 262, 328 (les pierres magiques seraient appelées coglio [boylya ?] quartz). Mais ce que disent Forrest, On the natives of Central and Western Australia, J. A. I., 1876, voir p. 318 ; P. Chauncy (tribu de Port-Jackson) in Brough Smyth, Aborigines of Victoria, II, p. 276 ; M. A. Fraser, Western Australia Year Book for 1896-1897, Perth, Gov ; Printer, 1898, p. 315, nous semble constituer tout au plus des vérifications des assertions de Grey ; de même pour Science of Man, Australian Anthropological Journal, I, p. 15.
  18. La première façon dont M. Mathew avait signalé ce rapprochement était la juste, il avait dit : The Australian Aborigines, J. a. Pr. R. Soc. N. S. Wale, 1899, XXXIII, 2, « a sort of mana superstition » ; la seconde façon se trouve dans son livre récent, Eaglehawk and Crow, a study, etc., 1899, p. 144, où il cite à propos du mana fijien un article de Fison, Centennial Magazine (?), 1889, p. 457, que nous n’avons pu comparer au texte de M. Mathew.
  19. « ManNur means full-of-life… A manNur, magician or life man, is sometimes called muru-muru, that is full of life. », Mathew, Kabi in Curr, The Austr. Race, II, p. 178 ; cf. ibid., p. 177 (charmed life [du] manNur), cf. ibid., p. 189 (comme adjectif ce mot signifie « enchanté et donnant de la vie »). Cf. Eaglehawk and Crow, p. 143, 146 (vitalité) : cf. le texte cité in Curr, Austr. Race, II, p. 192, fin de l’histoire des pierres de Kundangur, et commencement de l’histoire suivante.
  20. Voir plus bas, p. 36 et suiv. ; il y a d’ailleurs une curieuse relation entre le nombre des pierres magiques contenues dans le corps du magicien et la grandeur de son pouvoir. Mathew in Curr, II, p. 176 ; cf. Eaglehawk and Crow, p. 143.
  21. Spencer et Gillen, The Native Tribes of Central Australia, p. 566, 647 et surtout p. 548, n. 1, 548 et suiv., 550 et 552, etc. ; Spencer et Gillen, The Northern Tribes of Central Australia, 1903, p. 458, 470, 746, etc.
  22. Spencer et Gillen, Nat. Tribes, (dorénavant N. T.), p. 647, etc. : Nort. Tribes (dorénavant N. T. C.), p. 480, 401, et glossaire, etc., sur le mode d’action de ces pierres atnongara, voir surtout N. T., p. 532 et suiv. : ces pierres s’appellent ultunda, dans la partie sud de la tribu, p. 527, 528. Outre les pierres atnongara, il existe encore chez les Arunta, des notions plus précises, entre autres celles d’une espèce de lézard « répandu dans le corps du magicien » (?) et qui lui donne ses facultés de succion, N. T., p. 531 ; chez les Warramunga, c’est un serpent qui habite le corps du magicien, N. T. C., p. 485, 486.
  23. Voir surtout Spencer et Gillen, Native Tribes of Central Australia, p. 540 et suiv. Cf. une tradition Warramunga, N. T. C., p. 429, où des cristaux sont identifiés à des esprits.
  24. Unmatjera et Kaitish, N. T. C., p. 486 ; Kaitish, Warramunga, ibid., p. 467 ; Worgaia, Gnanji, p. 467, cf. glossaire, ad « mauia », p. 753 ; normalement d’ailleurs le magicien peut faire des maléfices ; mais son pouvoir, ses pierres ont surtout pour fonction de contrarier la « magie » des autres (N. T. C., p. 479).
  25. À rapprocher des notions (Kurnai) du bulk, du yulo (Wotjobaluk), du mung (Woivorung), du yaruk (Wotjobaluk), Howitt, A. M. M., p. 31, 40 ; Australian Beliefs, J. A. I., XIII, p. 194.
  26. Voir plus bas, p. 14 et suiv.
  27. Yogasûtra, IV, 1, janmâuṣadhimantratapaḥ samâdhijñaḥ siddhayaḥ les « siddhi » (obtentions de pouvoirs magiques) proviennent de la naissance, des plantes, des formules, de l’ardeur ascétique et de l’extase. La division des magiciens Arunta en trois classes (Spencer et Gillen, N. T. p. 522), des magiciens Warramunga en deux classes, correspond partiellement à cette répartition, N. T. C., p. 481.
  28. Il ne faut pas prendre l’expression de « dons naturels » employée par certains auteurs comme désignant un don magique de naissance (cf. plus haut, p. 134, n.) ; elle n’a, quant à nous, aucune valeur précise.
  29. W. Roth, Superstition, Magic and Medicine, in North Queensland Ethnography Bull., no 5, Brisbane, 4903, p. 30, sect. 120. Le texte est d’ailleurs fort peu net : « Les docteurs indigènes ne sont pas spécialement éduqués dans leurs arts, sauf peut-être par leurs parents et en douceur, parce que le pouvoir ici est héréditaire [comme il était d’usage à Brisbane (id est dans la tribu de Brisbane), sect.] » (les italiques sont de nous). La dernière observation, même la première où il a été dit que ce sont probablement les parents (?) qui initient leurs enfants et la réflexion sur la tribu de Brisbane montrent que les idées de M. Roth sont imprécises comme son observation, puisque justement, à Brisbane, il y avait une éducation attachée à une révélation magique (voy. plus bas, p. 168).
  30. Spencer et Gillen, N. T. C. p. 488, 489, cf. p. 502, no 1 ; le magicien Anula n’a d’autres fonctions que le maléfice ; pour les rites curatifs les Anula s’adressent à d’autres tribus. Il y a évidemment une faute de rédaction, p. 489, mettre « not » après les mots « bones and ».
  31. Assez comparable à certain clan (local) de Madagascar. Voir Van Genepp, Tabou et Totémisme à Madagascar, 1904, p. 131 et suiv.
  32. La liaison établie entre les étoiles filantes et la magie maléficiaire se retrouve chez les Arunta. Spencer et Gillen, N. T., p. 566, où les champignons (à cause de leur poison ?) sont réputés âtre des étoiles filantes tombées du ciel et pleines d’Arungquiltha, et chez les Maras, N. T. C., p. 488, voir plus bas, p. 164.
  33. Il est probable qu’il y a, en plus de la naissance, une révélation nécessaire, mais que cette révélation ne peut être faite qu’à des individus, hommes et femmes, du clan Yuntamarra, seuls capables d’avoir des relations avec les esprits.
  34. Voir cérémonies intichiuma du clan Quatcha, Spencer et Gillen, N. T., p. 189-199, cf. tradition d’Inungamella in N. T. C., p. 393, 394.
  35. N. T. C., p. 314-315 ; dans ce dernier cas, c’est un seul individu du clan de l’ « oiseau à pluie » qui a ce droit.
  36. N. T. C., p. 313-314, cf. fig. 105.
  37. Voir Brough Smyth, Aborigines of Victoria, I, p. xxvi, p. 92 ; Curr, Australian Race, III, p. 462 ; Fison et Howitt, Kamilaroi and Kurnai, p. 168, Andrew Lang, Mythes, cultes et religion, trad. fr., p. 432 ; Frazer, Totemism, p. 95, et Origin of Totemism, in Fortnightly Review, 1890, p. 849, — Cf. Durkheim et Mauss, Classifications primitives in Année sociologique, VI, p. 14 et 15.
  38. Kolor, Kuurn Kopan, etc.
  39. À rapprocher en particulier Mrs C. Smith, The Boandik tribe of South Australian Aborigines, etc., Adélaïde, 1878, p. ix et x, de Dawson, Australian Aborigines, p. 76-77.
  40. W. Roth, Ethnological Studies among the North West Central Queensland Aborigines, Brisbane, 1897, p. 167 et suiv. ; Superstition, Magic, etc., p. 9 et 10, no 18.
  41. W. Roth, Superstition, Magic, etc. p. 9, no 16.
  42. A. M. M., p. 35, cf. p. 24 ; de même chez les Wotjobaluk où le faiseur de pluie n’est pas nécessairement « bangal », id., ibid., p. 35.
  43. A. M. M., p. 35 ; Fison et Howitt, Kamilaroi and Kurnai, p. 211, 231, 232, note.
  44. Howitt, Kam. and Kurn., p. 232, note.
  45. A. M. M., p. 35, cf. p. 24. Probablement l’indication donnée p. 43, n. 2, à propos du caractère « magique » des noms des clans totémiques chez les Wiraijuri, doit être interprétée comme un fait de ce genre.
  46. Nous ne tenons naturellement aucun compte de documents aussi peu localisés et aussi imprécis que ceux de Bonwick, Australian Aborigines, J. A. I., II, p. 208, 209 ; discussion in Proceedings of the Royal Colonial Institute, p. 48.
  47. D’ordinaire les textes donnent pourtant quelques indications précises, mais au hasard, voir : Jajowerrong de Victoria, J. Parker, in Brough Smyth, Aborigines of Victoria, II, p. 155 ; tribu de, la Rivière Pennefather (Queensland), Roth, Superstition, Magic, etc., p. 30.
  48. Howitt, On some Australian Beliefs, J. A. I., XIII, p. 188 et 195. Ajoutons que ce magicien est capable de monter au ciel ; il nous semble donc que le fait est peut-être incomplètement observé, et que ce doit être cette ombre qui doit emmener le magicien au ciel (c’est ce qui se passe pour les gommera des Murring de la côte, et les magiciens de la rivière Avoca, Howitt, ibid., p. 197.)
  49. F.-W. Biddulph, Myths of the Springsure Aborigines (Queensland), Australian Anthropological Journal, II, p. 225 ; le fait est probablement très mal observé et nous doutons que ce soient bien des morts et non pas des ancêtres mythiques.
  50. J.-W. Small, in Science of Man, Australasian Anthr. Journ., 1, p. 46.
  51. Par la faute du compilateur Brough Smyth, nous ne sommes en effet pas vraiment sûr que les textes de Aborigines of Vict., I, p. 462 et 463, soient bien de M. Howitt et touchent bien la tribu des Woivorung.
  52. Ne pas faire attention aux passages où il est parlé de Wer-raap, comme si c’était un esprit individuel.
  53. A. M. M., p. 48.
  54. Nous ne pouvons nous servir, faute de localisation suffisante, de l’information de M. Palmer, Notes on some Australian Tribes, J. A. I., XIII, p. 299.
  55. Grey, Two Expeditions, etc., II, p. 339 (texte p. 340, note), cf. p. 335.
  56. II, p. 336.
  57. Voir plus loin, p. 147.
  58. Sur ces substances, voir Grey, Vocabulary, p. 76, 147, 127, Two Expeditions, p. 340, 347.
  59. Seulement il semble s’agir de la tribu de Port-Jackson, in Brough Smyth, Aborigines of Victoria, II, 271. D’autre part ce texte nous semble trop se rapprocher dans les termes mêmes de celui de Collins sur la tribu de Sydney, que nous citons plus bas. Le titre de koradjee donné au magicien est à lui seul suspect, car c’est un mot du dialecte de Sydney. Les Mémoires historiques, de Rudesindo Salvado, ne contiennent rien au sujet de ce fait dans ces tribus, et Fraser, W. Austr. Yeark Book, 1897-1898, ne nous parle de ces séjours sur les tombeaux qu’à propos des rites permettant de deviner le meurtrier, c’est-à-dire l’enchanteur ennemi.
  60. D. Collins, An Account of the English Colony in New South Wales, etc., 1re éd., Lond. Caddell, 1798 ; 2e éd., ibid., 1804, nous citons d’après lu seconde édition, p. 595, 596.
  61. Collins ne dit pas si l’esprit introduit, à ce moment, quoi que ce soit, dans le corps du magicien, et d’autre part il est invraisemblable que cette opération mythique ait été conçue comme étant sans but. Il est probable que l’esprit donne à ce moment un os magique au magicien, os que le magicien extrayait de lui-même, par exemple, au cours des cérémonies d’initiation tribale. Collins, ibid., p. 565.
  62. Voir œuvrez rééditées par J. Fraser, in Threlkeld, An Australian Language, as spoken by the Awabakal, etc. Sydney, 1892.
  63. Threlked, A Grammar, etc., p. 48, cf. p. 53, et Lexicon, p. 213. Il est fort possible qu’il y ait eu, concurremment à cette initiation, chez les Awabakal, une autre initiation par le mauvais esprit, Koin, cf. p. 47 des anecdotes qui peuvent s’y rapporter.
  64. Tels sont par exemple les Iruntarinia (Arunta) qui initient le magicien : ils sont à la fois des ancêtres de l’Alcheringa (temps mythiques), des âmes de morts, des fées, des dieux et des diables. C’est le cas encore des Mura-Mura (Dieri), puisque, comme nous en avions fait l’hypothèse dans une de nos leçons de 1902, cette notion de dieu créateur se réduit en somme à celle des ancêtres totémiques toujours vivants, réincarnés et initiateurs. Voir Howitt, Legends of the Dieri and Kindred Tribes of central Australia, J. A. I., 1904, N. S., XXXIV, p. 100 et suiv.
  65. Tribus des Ta-Ta-Thi, Wathi-Wathi, etc. Notes on Some Tribes of New South Wales, J. A. I., 1885, t. XIV, p. 368, cf. p. 362, 369 et 370 : Traditions and Folklore of the Aborigenes of New South Wales, Science of Man, Australasian Anthropological Journal, VI, p. 46.
  66. Dans un seul article d’ethnographie, M. Cameron a en effet mêlé des renseignements sur des tribus diverses.
  67. Howitt, On Some Australian Beliefs, J. A. I., XIII, p. 197 ; cf. Cameron, Notes on some Tribes of New South Wales, J. A. I., XIV, p. 359 et 360. Le gumatch, esprit, qui n’est autre que la peau du ventre de la vieille femme morte, emporte le magicien au ciel, troue la voûte ; par derrière la voûte solide, le magicien apprend toutes choses et retourne au monde.
  68. H. E. A. Meyer, Manners and Customs of the Aborigines of the Encounter Bay Tribe, in Woods, Native Tribes of South Australia, p. 197, 198, 201 et 202.
  69. Rev. H. Livingstone, A short Grammar and Vocabulary of the Dialect spoken by the Minyug peoples, Append. à Fraser, Threlkeld, Grammar, etc., p. 24, où il est dit que, à l’aide d’une corde qu’il tire de son estomac, le magicien monte au ciel consulter les wagai (esprits, doubles), même ceux des vivants.
  70. Voir plus bas, p. 31 et suiv. Il serait loisible de compter, parmi les tribus qui croient à une révélation par les morts, les tribus (Kolor, etc.) qu’a observées Dawson, Aborigines of South Australia, v. p. 50, où il est dit que le sorcier lui-même est très peu différent des diables, ogres, âmes de morts ; cf. p. 55 et 56, des cas d’ascension par les magiciens dans la lune ; p. 55, un sorcier qui ramène un esprit du ciel, etc.
  71. Nous faisons rentrer dans cette catégorie les faits qu’ont constatés, au Queensland occidental, autrefois J. D. Lang, Queensland, etc., 1841, p. 358, 362 ; et plus récemment Lumholtz, Au pays des Cannibales, p. 259, parce que, bien qu’il s’agisse d’obtenir des pouvoirs magiques assez déterminés, il ne s’agit nullement d’en acquérir de définitifs, comme ceux qui caractérisent le magicien. Pour un fait du même genre, chez les Wiraijuri, Howitt, A. M. M., p. 30.
  72. John Eyre, Journals of Two Expeditions into Central Australia, etc., 1854, II, p. 365 : cf. p. 255.
  73. J. Eyre, ibid., p. 367, mentionne des individus montés au ciel par une corde ; et, p. 362, une révélation de chants et de rites par un esprit (des esprits ?).
  74. Sur la nature des dieux australiens, voir Tylor, On the Limits of the Savage Conception of God, J. A. I., XXII, p. 480 et suiv. ; A. Lang, The Making of Religion, 1899, p. 268 et suiv. ; Magic and Religion, 1901, p. 36 et suiv. La vérité nous semble assez éloignée des deux théories soutenues (Voy. C. R., in Année sociologique, VI, p. 173). Au surplus, une bonne mythologie australienne est encore à faire.
  75. On some Australian Beliefs, J. A. I., XIII, p. 194.
  76. Ibid., p. 195 ; A. M. M., p. 49, l’esprit révélateur est Tharamulun (Daramulun), le grand dieu (?) des mystères de l’initiation, identifié souvent soit avec l’ancêtre mythique (le mot est traduit par : notre père), soit avec le son des « diables » (bull-roarer). — À propos des Kulin et Jupagalk, le texte, Australian Beliefs, nous parle simplement de l’ascension habituelle du magicien, mais nous en concluons qu’il y a eu une première ascension révélatrice.
  77. Austr. Bel., p. 197.
  78. Ibid., p. 197.
  79. Ibid., p. 196 et 197. Il est bien extraordinaire que, chez les Ngarego et Wolgal, le « Marengrang » semble être équivalent de Turndun, grand dieu (nom du bull-roarer chez les Kurnai).
  80. Il y a (A. M. M., p. 47 et 48) des passages qui peuvent faire croire que ce thème mythique se rencontrait aussi dans les tribus que nous venons d’énumérer, mais ils semblent n’en faire qu’une tradition exotérique, destinée à être racontée aux femmes, nullement descriptive de la vérité ésotérique.
  81. A. M. M., p. 43. Le chef est nécessairement magicien : il ne l’est pas nécessairement dans les tribus voisines.
  82. A. M. M., ibid.
  83. Si du moins la tradition relative à l’un des chefs peut s’appliquer aux autres. Austr. Bel., p. 197.
  84. Que le magicien extrait de son corps pendant les drames mythiques qui forment le tissu des cérémonies d’initiation, Howitt, On certain Ceremonies of Initiation,J. A. I., XIII, p. 415 ; cf. n. 2. A. M. M., p. 43. L’exhibition de l’esprit familier totémique, au cours des mêmes cérémonies (magicien qui extrait un petit serpent de sa bouche, son totem), est peut-être à rapprocher de ces faits, A. M. M., p. 44.
  85. Au cours des mêmes cérémonies d’initiation. Howitt, On certain Ceremonies of Initiation, J. A. I., XIII, p. 453 et 454 ; la même cérémonie se répète chez les Theddora.
  86. A. M. M., p. 48
  87. Cf. (?) id., ibid., p. 39 (Jupagalk) ; cf. les pouvoirs du « pangal » (tribu des Boandik), Mrs C. Smith, The Boandik Tribe ; p. 30 ; cf. p. 77 et 131. Cf. pour une croyance du même genre chez les Arunta de l’Ouest et les Mungaberra, Spencer et Gillen, N. T., p. 533.
  88. À moins que les renseignements de E. Palmer, Notes on Some Australian Tribes, J. A. I., XIII, p. 256 et 299 ; et de Mc Dougall, Manners, Customs and Legends of the Combangree Tribe, Science of Man, Austr. Anthr. Jour., III, p. 145 et 146, et III, p. 117 ne soient sur ce point incomplets, ce qui est fort possible. Ceux de Palmer, les premiers en date, sont d’ailleurs, sauf sur ce qui touche les jeûnes et privations préalables, tout à fait sommaires.
  89. Mc Dougall, Austr. Anthr. Jour., III, p. 116 et suiv. Cf. Austr. Anthr. Jour., IV, p. 63 : dieu qui habite la montagne.
  90. Mc Dougall, loc. cit., p. 117.
  91. Probablement celle de la palme bangalow.
  92. Palmer, loc. cit., p. 297.
  93. Ils ne se nourrissent que de miel et de palme bangalow.
  94. Nous ne savons pas certainement à quelle tribu il faut attribuer ce que Palmer, dans le même article, nous dit de la révélation des formules et rites au magicien, par les esprits, appelés Limbeen-jar-goolong, loc. cit., p. 291 et 292. C’est probablement à la tribu des Miappe, sur laquelle Palmer à informé Curr, Austr. Race, II, p. 330. Les Lembeen-jar-goolong semblent être des esprits mythiques ancestraux. Cf. Roth, Ethn. Stud., page 153 : chez les Mita-Koodi, Limbin-ja-Koolun désigne les morts. Nous évitons de même de rien dire de définitif sur la tribu des Euah-laya. Nous attendons la publication définitive des documents que Mrs Langloh Parker nous promet ; nous n’avons pu voir que le dernier de ses articles, The Medicine and Witchcraft of the Blacks of Australia, Austr. Anthr. Jour., n. s., I, nos 17 et 18, où il est question des relations qui existent entre le Wirreenum, magicien, et ses gooweera ; cf. légendes in Australian Legendary Tales, 1896, p. 80 et 81 (ancienne magicienne devenue étoile filante et qui ressuscite son fils en le faisant piquer dans une fourmilière ) ; More Australian Legendary Tales, 1898, p. 14, 16, 23 et 24 (magiciens qui envoient au loin leurs « dream spirits », sous la forme de tourbillons), p. 53 (« spirit-tree » d’un magicien), p. 90 et 92 (le séjour de Bayame, on cristal de roche) : (porte de pouvoirs par suite d’absorption de boissons chaudes), p. xiv ; toutes croyances qui doivent certainement entrer dans une description mythique de l’origine des pouvoirs magiques, description que nous n’avons pas encore.
  95. Mc Dougall.
  96. A. M. M., p. 49 à 51. Le récit a été confidentiel, apparemment sincère : d’ailleurs M. Howitt dit que, dans ces matières, il est incroyable qu’un Australien falsifie consciemment la vérité, quand bien même il sait impossible la vérification de ses dires.
  97. Howitt, A. M. M., p. 69, parle simplement de la montée au ciel vers Baiamai ; cf. p. 51. On some Australian Ceremonies of Initiation ; J. A. I., XIII, p. 445. Cf. plus haut, p. 137, n. 1.
  98. À remarquer que nous sommes ici dans une tribu à filiation utérine du clan et de la phratrie, mais à classes matrimoniales : la révélation magique suit la ligne masculine, car le système des classes matrimoniales a pour but précisément de tenir compte de la filiation masculine.
  99. A. M. M., p. 50. Entre autres : le père montre au jeune homme un grand morceau de cristal de roche, s’évanouit dans le sol et revient couvert de poussière rouge (?).
  100. Le budjan ; cf. ibid., n. 3.
  101. Corde de tendons (?) ; cf. ibid., p. 52.
  102. Un grand arbre avec une immense levée autour des racines ; cf. le Ngarang des Woivorung (?).
  103. Ce dieu, qui est le grand dieu pour les tribus voisines, au sud, des Wiraijuri, n’est ici que le fils de Baiamai, le grand dieu des tribus voisines au nord. Cf. Howitt, ibid., p. 50, n. 6.
  104. Cas remarquable de multiplication des images mythiques et des images dans le rêve. Ceci se passe dans le creux de l’arbre (?).
  105. Au bout des deux fils se trouve l’oiseau de Baiamai.
  106. Cf. Boyma = cristal de roche in Manning (MSS.), Austr. Anthr. Jour., I, p. 72.
  107. Ajouter : plus tard.
  108. Cf. plus bas, p. 184.
  109. Sans avoir de preuves, nous pensons qu’il s’agit d’un oubli du magicien, le pouvoir de renaître étant figuré par les magiciens Wiraijuri dans les cérémonies d’initiation (Austr. Cer. of. Init., J. A. I., XIII, p. 445).
  110. Les informations de M. Howitt ont été en se précisant de façon continue, depuis les données transmises à Brough Smyth, Aborigines of Victoria, I, p. 478 et suiv. jusqu’à celles contenues in A. M. M., p. 65 et suiv. ; Notes on Australian Songs and Song-Makers, J. A. I., XVII, p. 335 et suiv. ; en passant par : Fison et Howitt, Kamilaroi and Kurnai, p. 194 et suiv., 254 et suiv. Nous ne comptons pas les informations éparses publiées dans les différents travaux de M. Howitt. Nous regrettons d’ailleurs de n’avoir pu attendre la publication définitive qu’il annonce sous le titre : The Native Tribes of South East Australia, chez Macmillan, pour 1905.
  111. M. Howitt, The Jeraeil, the Ceremony of Initiation of the Kurnai Tribe, J. A. I., XIII, p. 310, en fait des espèces de magiciens de magie blanche, mais assez inexactement, car l’autre classe de magiciens, les mulla-mullung avaient, entre autres pouvoirs, des pouvoirs curatifs.
  112. Kam. and Kur., p. 253 et suiv., A. M. M., p. 44 et 45.
  113. Brough Smyth, I, p. 477.
  114. A. M. M., p. 48.
  115. Ibid., p. 38 et 32. Kam. and Kur., p. 247 et 254.
  116. A. M. M., p. 51 et 52.
  117. Cf. thème identique, plus haut, p. 157, n. 1.
  118. On remarquera l’importance des impressions lumineuses et des souvenirs ce ces impressions. Il est évident qu’il y a dans tout cela de nombreuses hallucinations photomorphiques. Mais il y a aussi un thème mythologique fort important qui rattache à la lumière les puissances mystiques, et les puissances magiques en particulier. On retrouvera plus bas, à propos de l’arc-en-ciel, un élément « naturiste » du même genre.
  119. Il faut encore remarquer comment le ciel se confond avec un pays probablement à la fois souterrain et marin ; et comment cet enlèvement du novice au pays des morts équivaut probablement à l’ascension du magicien Wiraijuri.
  120. Kam. and Kur., p. 254. Brough Smyth, I, p. 473. Ce dernier renseignement contient une donnée qui disparaît, chose remarquable, des renseignements plus précis et postérieurs. Le magicien doit être dans la brousse et porter un gumbut (os de kangourou) dans le trou percé dans le nez. Des mrarts l’emmènent alors au ciel (par une échelle, ajoutait l’informateur).
  121. Austr. Bel., J. A. I., XIII, p. 195. A. M. M., J. A. I., XVI, p. 45 (cas de Mundanin, qui, enlevé par les kangourous, reçoit d’eux leur révélation, est retrouvé, près du camp, avec un énorme morceau de bois dans le dos : pendant quelque temps, il reste comme endormi, « chantant sur ce qu’il avait vu chez les morts ») ; A. M. M., p. 34 (cas de Bungil Bataluk qui reçoit le nom de Bataluk, iguane, parce qu’il a assisté à un corroboree de ses animaux, et a un lézard familier pour exécuter ses ordres). L’interdiction totémique est très marquée dans le cas de Mundanin.
  122. Native Tribes of Central Australia, 1899 (dorénavant N. T.) ; Northern Tribes of Central Australia, 1904 (dorénavant N. T. C.). Les documents contenus dans le Report of the Horn Expedition, sect. II, Anthropology, et qui proviennent de M. Gillen, par l’intermédiaire de M. Stirling, sont trop sommaires pour valoir d’être cités.
  123. N. T. C., préface, p. XIV.
  124. Malheureusement les noms des informateurs ne sont pas tous donnés, et la critique de leur témoignage n’est pas faite avec tous les développements voulus, dans le livre même.
  125. Voir plus haut, p. 140, n. 2.
  126. Sur les Oruntcha, ou Oruntja, voir N. T., p. 442 : cf. p. 326 à 334 : N. T. C., p. 444 sq.
  127. N. T., p. 526 : cf. p. 334, répétition dans les mêmes termes, avec l’addition suivante : « L’homme est laissé dans un état de stupéfaction. »
  128. Sur les Iruntarinia, voir surtout N. T., ch. xv et passim, surtout p. 523 et suiv., N. T. C., p. 451.
  129. Voir surtout N. T. C., p. 421.
  130. Voir surtout N. T., p. 543, confusion de l’Iruntarinia et de l’Arumburinga.
  131. P. 526 et suiv. ; paradis pour l’Arunta, dont le froid et la sécheresse mettent, au désert, l’endurance à de dures épreuves.
  132. Ce récit se trouve, N. T., p. 523 et suiv., nous le résumons.
  133. Les Iruntarinia, N. T. C., p. 521.
  134. Voir plus haut, p. 139.
  135. Détail indûment omis dans le récit, p. 524. Voir p. 525.
  136. N. T., p. 523, N. T. C., p. 480. Nous donnons plus bas, p. 174, le récit de l’initiation d’Ilpailurkna, qui se présente, après tout, comme une initiation par un autre magicien Unmatjera. Mais la façon dont MM. Spencer et Gillen classent ce fait nous rendent incertain sur le point de savoir si le vieillard dont il est question n’est pas un esprit.
  137. N. T. C., p. 488, 484.
  138. Cf., ibid., p. 485, les magiciens qui portent le nom de « serpents » chez les Warramunga ; cf. la Croyance arunta qui attribue à un petit lézard le pouvoir de succion du magicien, N. T., p. 531.
  139. Sur les Kupitja qui nous semblent en réalité incarner ces serpents magiques eux-mêmes, voir N. T. C., p. 484, n., et p. 485. Ils jouent chez les Warramunga le rôle joué chez les Arunta par les pierres « atnongara ».
  140. N. T. C., p. 488.
  141. Cf. N. T. C., p. 754, 501, p. 628.
  142. N. T. C., p. 487, 488.
  143. Cf. N. T. C., p. 754 et 501. L’expression d’esprits malfaisants est excessive pour l’un d’entre eux. L’esprit fils porte le nom générique de « magicien », Munkaninji.
  144. N. T. C., p. 488, cf. plus haut, p. 5, n. 11.
  145. Voir plus haut, p. 164, n. 4.
  146. M. Roth. Superstition, Magic, etc., p. 30, sect. 120. Le texte est sommaire et basé sur des témoignages frustes.
  147. J. Mathew, in Austr. R., Curr, II, p. 175, sq. ; The Australian Aborigines, in Journ. and Proc. of the R. S. of N. S. W., 1889, t. XXIII, II, p. 419 sqq. ; Eaglehawk and Crow, 1899, p. 444 sqq., p. 191 sqq. Les plus anciennes informations semblent être les plus authentiques, sinon les plus complètes. Les dernières se sont, en effet, compliquées d’hypothèses inutiles sur l’origine polynésienne de ces croyances. Le principal défaut est que certains détails ne sont pas décrits avec de suffisantes précisions. Évidemment, M. Mathew n’a pas poussé très loin son enquête ni gardé un souvenir très précis des résultats.
  148. Curr, Austr. Race, II, p. 192 et suiv.
  149. L’article n’existant pas en australien, il est impossible de dire si c’est d’Arc-en-ciel personne ou de l’arc-en-ciel phénomène qu’il s’agit ; probablement les deux notions ne sont pas distinctes l’une de l’autre.
  150. ManNurNur, forme causative et intensive (pour M. M., N = ng).
  151. Une corde (?) ; ce détail mythique est contradictoire avec l’idée de l’origine divine des pierres elles-mêmes qui entrent dans le magicien et qui ainsi reviendraient seulement à leur propriétaire. V. Curr, II, p. 178.
  152. Le magicien devient immortel (?).
  153. Sur Dhakkan, voir Curr, II, p. 177 ; Eaglehawk, p. 143. Sur les esprits des eaux, voir Curr, p. 179.
  154. Sa force magique est proportionnelle au nombre de ces pierres. Sur ces pierres voir Eaglehawk, p. 145 ; Curr, II, n. 176.
  155. Il y a ici un évident flottement entre les données de M. Mathew, in Curr, II, p. 177, et les données du récit kabi que nous venons de traduire.
  156. Mathew, Eaglehawk and Crow, p. 146.
  157. Curr, II, p. 178.
  158. Curr, II, p. 489 ; cf. p. 177 : A manNur possessed a charmed life, cf. p. 176.
  159. Voir Petrie (ancien commissaire des indigènes de ce district) in Roth, Superstition, etc., p. 30, no 121.
  160. Ce mot est évidemment le même que Dhakkan (Kabi). Cf. Tharkan, in Roth, ibid., et Dargan, Curr, in Austr. Race, III, p. 450, tribu du mont Elliot (Pegulloburra). Il faut avant tout remarquer que l’orthographe anglaise de la plupart des auteurs, leur système de transcription défigurent tous les noms.
  161. Petrie in Roth, Superstition, p. 10, sect. 23. Cf. ibid., une croyance identique de la tribu de la rivière Proserpine. Ces cristaux, actuellement, sont réduits à n’être plus que de misérables morceaux de verre.
  162. Entre autres exemples de cette relation du cristal et de la pluie dans les rites et les mythes, voir ceux cités par Roth, ibid., p. 10, sect. 23.
  163. Sur cette division des esprits de la nature, voir Roth, Superstition, Magic, etc., p. 28 et 29, sect. 115.
  164. W. Roth, Ethnological studies, etc., 1897, p. 153, sect. 260, 261 ; Superstition, Magic, etc., p. 29 et 30, sect. 118 et suiv. Les deux informations sont à peu près rédigées de la même façon, la seconde façon étant légèrement préférable, quoique plus brève.
  165. Esprit simplement surnaturel. Superst., p. 29. Ethno. Stud., p. 153, 158, etc., cf. Glossaire.
  166. Karn-Mari, in Superstition, etc. p. 29, et p. 26, sect. 104.
  167. mo-ma. Roth, Superstition, p. 29, Ethn. St., p. 483, improprement orthographié Moma, comme si ce nom n’était pas celui de tout mort.
  168. Gason, The Dieri Tribe, in Curr, II, p. 73 et suiv. ; du même, réponse au questionnaire de M. Frazer, J. A. I., XXI, p. 174 et suiv., p. 170 et suiv. ; Constable James, in Brough Smyth, Aborigines of Victoria, I, p. 457, 458 ; Howitt, in Brough-Smyth, ibid., I, p. 317, I, p. 262 ; du même, The Dieri and Other Kindred Tribes, J. A. I., XXI, p. 87 et suiv., différence entre rêve et révélation. Howitt et Siebert, Legends of the Dieri, etc., J. A. I., XXXIV, p. 100, 107, n. 3 (Kûchi = esprit des morts).
  169. Nous ne sommes pas sûr que ce soit bien M. Howitt qui ait été, pour ce passage, l’auteur de Brough Smyth, qui était décidément un piètre éditeur. Aborigines of Victoria, I, p. 465.
  170. Laquelle ? Wotjobaluk ? Jupagaik ? probablement l’une des deux.
  171. Curr, Austr. Race, I, p. 177.
  172. Il serait intéressant de discuter ici ce que M. Roth, Superstition, etc., p. 31, nous dit de la différence entre le charlatan et le magicien, et de la façon dont les distingue le groupe de tribus étudiées par lui. (N. W. Queensland central). Cf. Ethn. St., p. 153 pour la preuve de l’initiation traditionnelle.
  173. Voir plus haut, p. 162.
  174. Sauf le cas des Combiningree, voir plus haut, p. 152.
  175. Qui s’expriment quelquefois par la « maladie ».
  176. Comme celui de dormir sur un tombeau.
  177. Nous n’employons pas ces mots dans leur sens psychologique et pathologique exact. Il faudrait des observations médicales précises pour parler ainsi avec une suffisante précision. En l’espèce, il est difficile d’admettre qu’il s’agisse d’états parfaitement cataleptiques. M. Howitt, A. M. M., p. 58, a certainement un peu exagéré l’importance des phénomènes d’hypnose.
  178. Cf. plus haut, p. 169.
  179. Spencer et Gillen, N. T. C., p. 484, 485.
  180. Les Worgaia initient aussi les Kalkadoon aux rites de la fabrication de la pluie, voir Roth, Superstition, p. 10. Ce cas d’origine étrangère de la tradition magique est des plus nets. Cf. Hubert et Mauss, Théorie de la magie, p. 26.
  181. N. T. C., p. 481, 485
  182. Sur les Kupitja, voir N. T. C., p. 484, 485, n., 486 (Cf. fig. 132, p. 483).
  183. N. T. C., p. 485.
  184. N. T. C., p. 485, 486.
  185. Ibid., p. 486, paragraphe suivant. On sait que le pouvoir magique lui-même est conçu comme incarné dans un petit serpent habitant le corps du magicien (p. 481). Les kupitja eux-mêmes sont, quant à nous, des symboles des serpents.
  186. Ibid., haut de la page.
  187. Spencer et Gillen, N. T. C., p. 485.
  188. Spencer et Gillen, N. T. C., p. 526 et suiv.
  189. MM. Spencer et Gillen nous relatent heureusement un fait précis, mais omettent de nous dire s’ils ont bien tout observé, et dans quelles conditions.
  190. Nom des pierres Atnongara dans cette partie de la tribu.
  191. Cas de la règle qui veut que le sens ces frictions, en magie, ne soit pas indifférent.
  192. W. Roth, Ethn. Stud., p. 153 ; Superstition, p. 30. Différences insignifiantes entre les deux rédactions.
  193. Sur cette initiation, voir Frazer, Golden Bough, 2eéd., II, p. 342-357. On some ceremonies of central Australian Tribes, Proc. Austr. Ass. for the Adv. of. sc., 1904, p. 318.
  194. Roth, Ethn. Stud., p. 153, Superstition, p. 29.
  195. Two expeditions, II, p. 252, 254.
  196. N. T., p. 525. Il s’agit d’acquérir un certain nombre de tours de main afin de réussir les passes indispensables.
  197. Howitt, On some Australian ceremonies of Initiation, J. A. I., XIII, p. 433.
  198. Howitt, ibid., p. 433 : Austr. Beliefs, J. A. I., XIII, p. 195.
  199. Voir plus haut, p. 163 et n. ; un fait du même genre pour une initiation par les magiciens, Roth, loc. cit. plus haut, p. 178, n. 2.
  200. N. T., p. 525.
  201. N. T., p. 529.
  202. Brough Smyth, Abor. of Vict., I, p. 466, 467. [Renseignements de M. Howitt (?) sur les Barkinji (?)] ; M. Roth, Superst., p. 30, cf. Ethn. Stud., p. 153, surtout exact pour les indigènes de la rivière Tully ; MM. Spencer et Gillen, N. T. C., p. 487, à propos des magiciens Warramunga. Il n’y a pas contradiction entre ces faits et les documents qui disent que rien [d’extérieur] ne distingue le magicien.
  203. Cf. une curieuse anecdote : Dawson, Austr. Abor., p. 56. Interdiction de mentir.
  204. N. T., p. 520, p. 529. Kaitish et Unmatjera, N. T. C., p. 481.
  205. Nous sommes ici en pays de parenté par groupes.
  206. Spencer et Gillen, N. T., p. 525.
  207. N. T. C., p. 481.
  208. N. T. C., p. 480.
  209. N. T. C., p. 485, cf. p. 363 (?).
  210. N. T. C., p. 485.
  211. Brough Smyth, Abor. Vict., I, p. 474.
  212. A. M. M., p. 52.
  213. Tankli, le magicien Wiraijuri perd ses pouvoirs à la suite d’une maladie, A. M. M., p. 51. Mrs Langloh Parker nous cite aussi un fait du même genre, More Australian Legendary Tales, p. xii.
  214. Brough Smyth, I, p. 467.
  215. Ibid., p. 464. Nous croyons qu’il s’agit ici des Woivorung, et dans le cas précédent, des Barkinji.
  216. Kabi. Voir textes plus haut, p. 165, n. 3.
  217. Cf. Hubert, Préface à Chantepie de la Saussaye, Manuel de l’Histoire des Religions, trad. fr., 1903, p. XXXV. Nous ne savons si le fait observé par M. Haddon (Head Hunters, 1904, p. 194), d’un homme Yarrakaninia (Cap York) avec trois âmes extérieures totémiques, dont deux venues en rêve, est relatif à un magicien.
  218. « There are doctors or priests or several vocations. The office is alleged to be obtained by the individuals visiting, while in a trance of two or three days duration, the world of spirits and there receiving the necessary initiation ; but there are natives who refuse to become doctors and disbelieve altogether the pretensions of those persons ». Stanbridge, The Aborigines of Victoria in Transactions of the Ethnological Society of London, I, 1861, p. 300.