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ciel indépendant. Nous attendrons qu’une pareille démonstration ait été faite pour nous croire obligés de faire remonter jusqu’au totémisme l’origine du sacrifice. Nous ne sommes donc pas amenés à modifier notre théorie du sacrifice en général, ni même celle du sacrifice du dieu.

C’était au sacrifice du dieu que Robertson Smith songeait quand il cherchait le sacrifice dans le totémisme ; il pensait avant tout à la communion chrétienne. Le totem sacrifié c’était, et cela dès l’origine, le dieu sacrifié, puisque le totem, pour les hommes d’un clan, fait fonction de dieu. Nous avons dit, au contraire, que le sacrifice du dieu n’était ni au début des religions ni au début même du sacrifice, mais qu’il s’était développé après le sacrifice au dieu et, à partir d’un certain moment, parallèlement à lui. Nous pensons encore de même.

Recherchant les traces du totémisme dans l’antiquité gréco-romaine, M. S. Reinach[1] a fixé son attention sur le sacrifice du dieu. Il a ajouté plusieurs bons exemples de mythes sacrificiels à la liste fort incomplète que nous avions produites. Mais il diffère de nous en ce qu’il veut voir des totems dans tous les dieux sacrifiés du monde gréco-romain : Orphée, Hippolyte, Actéon, Phaéton[2], etc… Mais tout animal sacrifié n’est pas un totem. Pour qu’il y ait totem il faut qu’il y ait un clan, M. Reinach le sait bien.

  1. M. Toutain, dans l’article signalé plus haut (p. iv), se plaît à joindre le nom de M. Durkheim à celui de M. S. Reinach et à les confondre dans la même réprobation. Ces deux savants, dont nous connaissons fort bien la pensée, n’ont rien de commun l’un avec l’autre. En matière de totémisme, M. Durkheim, comme nous, est en désaccord complet avec M. Reinach. Nous n’avons pas d’ailleurs attendu pour contredire, très amicalement à vrai dire, les explications totémistiques des mythes grecs, dont M. Reinach a le secret.
  2. S. Reinach, Cultes, Mythes et Religions, 3 vol., Paris, 1905, 1908 ; t. I, p. 30. Les survivances du totémisme chez les anciens Celtes ; t. II, p. 58, Zagreus ; p. 85, La mort d’Orphée ; t. III, p. 24, Actéon ; p. 54, Hippolyte.