Mélanges d’histoire des religions/Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux

PRÉFACE


Nous réimprimons dans ce volume trois de nos travaux. Le premier seul a paru sous nos deux noms réunis[1]. En raison de circonstances particulières, les deux autres ne portent qu’une seule signature[2]. Tous les trois sont néanmoins le fruit d’une même collaboration.

Bien que ces trois mémoires traitent de sujets forts différents, ils ont leur unité. Un certain nombre d’idées directrices les dominent. Dès maintenant nous devons montrer comment s’enchaînent les travaux que nous avons publiés et dans quelle mesure ils contribuent à l’exécution de notre plan. En même temps nous répondrons à quelques-unes des objections qui nous ont été adressées.

I

LE SACRIFICE

La première question que nous eûmes à nous poser en commun concernait le sacrifice.

Le problème de ses origines était magistralement traité dans la Religion of Semites de Robertson Smith[3]. D’autre part, M. Frazer[4] avait attiré l’attention sur ces intéressants personnages, à la fois rois, prêtres et dieux, qui figurent dans tant de religions et dont la mort ou le meurtre périodique est un véritable sacrifice, de l’espèce que nous appelons sacrifice du dieu. Le Golden Bough nous expliquait la nature et la fonction de ces personnages dont il décrivait une imposante collection. Mais les théories de ces auteurs nous paraissaient soulever de graves objections et, d’ailleurs, les recherches que nous avions entreprises, sur la prière et sur les mythes, nous amenaient à nous poser directement la question.

Les recueils de prières les plus considérables dont nous disposions, Psaumes[5] et Vedas[6] tout particulièrement, sont formés de prières normalement attachées à des sacrifices. Il y a plus : le principe de toute prière est l’efficacité reconnue au mot. Or, l’efficacité du mot nous paraissait alors si étroitement dépendante de celle du rite manuel que, à tort il est vrai, nous avions peine à concevoir des prières qui ne fussent point sacrificielles. En tous cas, pour isoler la part d’efficacité qui revient au rite oral dans un rite complexe, il nous fallait analyser celle du rite manuel. Des sacrifices, comme ceux de l’Inde et d’Israël, longuement décrits et commentés par ceux-là même qui les pratiquaient, se prêtaient tout particulièrement à la recherche du mécanisme et de l’efficacité d’un rite.

L’étude des mythes nous amenait aussi à celle du sacrifice. Nous répugnions à voir dans ceux-ci des maladies du langage ou des fantaisies déréglées de l’imagination individuelle. Nous nous méfiions également des naturistes, qui voient partout des symboles, et des animistes, qui voient partout des rêves. Les mythes nous paraissaient avoir une valeur pratique ; ils sont empreints de véracité, de certitude, de constance. Nous pressentions la logique de leur agencement et la nécessité de leurs thèmes. Or, en règle générale, ils sont commémorés dramatiquement dans des fêtes, où la présence de leurs acteurs divins est une présence réelle ; dans nombre de mythes, où les dieux meurent pour renaître, se suicident, se combattent, sont tués par leurs proches parents, qui se distinguent à peine d’eux-mêmes, sont alternativement victimes et sacrificateurs, l’histoire divine correspond, quelquefois expressément, à des sacrifices rituels dont elle justifie théologiquement la célébration. Il fallait donc étudier le sacrifice pour trouver les raisons qui ont imposé ces thèmes sacrificiels à l’imagination religieuse. Prenant sur le fait la formation d’un thème mythique nous faisions un pas vers l’explication générale des mythes.

Enfin l’étude simultanée des thèmes mythiques et des thèmes rituels du sacrifice, nous révélant le mouvement parallèle du mythe et du rite, nous éclairait en même temps sur la croyance qui s’attache au mythe et sur l’efficacité attendue du rite. En effet, le mythe n’est pas fait seulement d’images et d’idées, le rite de gestes volontaires, dépendants des idées, mais, de part et d’autre, figurent des éléments identiques ; ce sont les sentiments nombreux et forts qui se jouent dans les sacrifices. L’analyse d’exemples bien choisis pouvait, espérions-nous, montrer à la fois les causes, le développement et les effets de ces sentiments.

Nous avons indiqué dans l’introduction de notre Essai sur le sacrifice de quelle façon notre théorie se rattache à celle de Robertson Smith. Tout ce qu’il a dit du sacré, du tabou, du pur et de l’impur, nous l’avons mis à profit. Mais nous avons repoussé son explication généalogique des sacrifices. Il les faisait, comme on sait, dériver tous de la communion totémique, c’est-à-dire d’une sorte de sacrement où les membres d’un clan totémique communient entre eux et avec leur totem en mangeant ce dernier : tels les Arabes de saint Nil mettant en pièces et dévorant le chameau[7]. À première vue, nous observions que le sacrifice ne se pratiquait que là où le totémisme n’existait pas ou n’existait plus. Nous estimions donc hasardeux d’établir un lien de cause à effet entre des phénomènes que nous ne trouvions jamais associés.

Nous devons aujourd’hui apporter quelques rectifications à ce que nous avons écrit alors du totémisme et du sacrement totémique. Les réserves que nous avons formulées à cet égard n’ont rien de commun avec l’horreur que ce mot a éveillée chez certains esprits[8]. Nous ne connaissions en 1898, de totémisme véritable qu’en Australie et dans l’Amérique du Nord. Depuis lors, les ethnographes ont multiplié les preuves de son existence et les raisons de croire à sa généralité.

De plus, depuis 1898, on a signalé des exemples de ces sacrements totémiques reconstitués par Robertson Smith, et dont il avait supposé la pratique régulière, par une hypothèse aussi géniale que faiblement fondée. À vrai dire, ils se rencontrent seulement dans les cérémonies totémiques, les intichiuma[9], de quelques tribus de l’Australie centrale ; constatés chez les Arunta[10], ils manquent déjà chez la plupart de leurs voisins. Nous sommes donc loin d’avoir la preuve de l’universalité de ces rites dans le totémisme. Nous ne sommes pas sûrs qu’ils soient essentiels au totémisme même et non pas des produits locaux de son évolution. Remarquons en outre que sacrement totémique ne veut pas dire sacrifice. Dans la communion totémique il y a bien consommation d’un aliment sacré, mais il y manque des caractéristiques essentielles du sacrifice : l’oblation, l’attribution[11] à des êtres sacrés. Dans le sacrement totémique le plus complet qui ait été observé chez les Arunta, on ne voit pas le mécanisme entier du sacrifice.

On nous parle, il est vrai, de sacrifices totémiques, mais sans en citer d’exemples topiques. M. Frazer ne nous en propose plus qu’un[12] : le sacrifice des tortues dans le pueblo de Zuñi. Nous pouvons en donner une description plus exacte que celle qu’il reproduisait[13]. C’est un des épisodes de la fête des Korkokshi, c’est-à-dire de l’une des confréries de masques qui personnifient les dieux pendant les grandes fêtes générales du solstice d’été[14]. Les Korkokshi visitent le « lac des dieux » ; au fond de ce lac, les tortues habitent avec les dieux. Elles sont les « autres nous-mêmes » des Korkokshi ; ce sont les propres paroles prononcées par le maître de la confrérie à l’ouverture de la chasse que leur font les Korkokshi[15]. Quand les tortues sont prises on les frappe tout doucement jusqu’à ce qu’elles veuillent bien sortir la tête. Alors on les pend par le cou. On les porte ainsi pendues les premiers jours. Les jours suivants, la fête se continue dans un des temples souterrains du pueblo[16], où chaque Korkokshi doit venir danser à son tour. On a préparé des pots, un par tortue ; chaque-prêtre a son pot et sa tortue ; les pots sont rangés aux places où doivent s’asseoir les prêtres après leur danse. Tant que le prêtre n’est pas arrivé les tortues sont chacune dehors, devant son pot. Dès qu’un prêtre entre pour danser, on fait rentrer sa tortue. Ce rite montre que l’animal est le remplaçant de l’homme. La fête finie, les Korkokshi emportent leurs tortues chez eux, et les pendent pendant une nuit aux poutres du plafond[17]. Le lendemain, on les fait cuire. La chair a des vertus curatives. On en offre toujours une partie au « Conseil des Dieux », en la portant à la rivière[18]. C’est donc bien un sacrifice.

Seulement ce n’est pas un sacrifice totémique. Nous savons que les Korkokshi sont les dieux qui représentent les ancêtres de tout Zuñi et qu’ils sont en même temps les doubles de tous les vivants. Or les ancêtres habitant les eaux souterraines sont également les dieux de la pluie ; les tortues, qui les incarnent, sont des animaux de la pluie. Ce ne sont pas des totems[19]. Elles ne sont pas le totem de la confrérie des Korkokshi, qui n’en a pas ; cette confrérie se recrute dans tous les clans indifféremment à l’opposé des confréries totémiques qui se recrutent dans des clans déterminés. Les tortues ne sont pas davantage l’un des dix-neuf totems de Zuñi. L’histoire des totems de Zuñi qui nous est merveilleusement connue, dans chacune de leurs segmentations[20], ne permet même pas de supposer que la tortue soit un totem préhistorique ou étranger. À moins de soutenir que la tortue soit un totem exclusivement tribal et funéraire, ce qui, dans le cas présent, n’aurait ni sens, ni raison, le sacrifice de la tortue n’est autre chose qu’un sacrifice du culte des ancêtres, et un sacrifice du culte de la pluie.

Cet exemple, pris chez le peuple où le totémisme a reçu son plus parfait développement, montre qu’il ne faut pas parler du totémisme à la légère. N’est pas totémisme tout ce qui paraît l’être. Les tortues, dans lesquelles s’incarnent des ancêtres et des doubles, ressemblent sans doute à des animaux totémiques ; la consommation de la chair de la tortue est tout à fait comparable à une communion totémique, les formes rituelles et le fonds des idées sont ceux du totémisme. Et pourtant tout ce culte appartient à deux autres types de religion, et plus spécialement au culte des dieux de la nature auxquels il est normal qu’on offre des sacrifices.

Mais chez ces mêmes Indiens de Zuñi, nous avons trouvé un sacrifice dont on pourra dire qu’il est totémique. C’est celui des daims[21] pratiqué par la confrérie des chasseurs, à laquelle le clan du daim fournit un certain nombre de ses prêtres[22]. Celle-ci est une des quatre confréries primaires qui remplacent les quatre clans de la deuxième division du pueblo de Zuñi[23]. Cette confrérie correspond donc à un clan et son culte à un culte de clan. Les prêtres qui la composent sont les gardians des « semences du gibier », comme ceux des cultes agraires sont « gardiens des semences du maïs[24] ». Les clans ont donc à Zuñi, au moins par l’intermédiaire des confréries qui se recrutent chez eux, des pouvoirs analogues à ceux des clans australiens, maîtres et responsables, à l’égard de la tribu, des espèces comestibles[25]. D’autre part, le daim est généralement traité comme un totem. Chaque fois qu’on rapporte un daim dans Zuñi, on ne peut en manger que lorsque la confrérie des chasseurs lui a rendu le culte qui lui revient. En dehors de ce culte régulier[26], il y a lieu, lorsqu’on veut fabriquer des « masques et idoles » en peau de daim, de procéder à une chasse, qui aboutit à des sacrifices[27].

Voici comment on procède. On plante une palissade, aux deux extrémités de laquelle on creuse des pièges. Deux chasseurs accoutrés de façon à figurer des daims, affublés d’une tête de daim, représentent par leur mimique la démarche de l’animal. La battue commence. Quand un daim est débûché, ces acteurs vont rejoindre les traqueurs. Lorsque la bête n’est pas tuée dans le piège, on l’achève en l’étouffant. On prononce en même temps la prière suivante, adressée à Awonawilona[28], sorte de principe androgyne, d’âme du monde. « En ce jour, tes pluies, tes semences, ta médecine de mystère, j’aspire le souffle sacré de la vie ». Les bêtes sont rapportées chacune à la maison d’un chasseur. Elles y reçoivent le culte ordinaire[29], avec quelques modifications cependant. Ce sont des offrandes de farine, des prières dites par les gens de la maison, un office de la confrérie ; puis on écorche les corps avec des prières, des offrandes ; puis vient un culte des fétiches animaux, qui sont trempés dans le sang, « si le sang n’a pas encore coulé ». On prépare soigneusement la peau de la tête pour en faire les masques. Quant à la chair, le chasseur a le droit de la manger, à moins qu’elle ne soit attribuée aux grands prêtres de la pluie, les Ashiwanni[30]. Mais une partie en est toujours offerte aux dieux animaux, qui président aux six régions de l’espace[31]. La cérémonie terminée, la vie spirituelle du daim retourne au séjour des esprits d’où elle vient et on lui attribue ces paroles : « J’ai été chez mes gens, je leur ai donné ma chair à manger ; ils ont été heureux, et leurs cœurs étaient bons[32] ; ils chantèrent le chant, mon chant, sur moi ; je retournerai vers eux[33]. » Ces paroles mythiques, l’accoutrement des deux chasseurs mentionnés plus haut[34], la présence des gens du totem montrent à l’évidence que nous sommes en plein totémisme. Il y a sacrement, probablement communion[35] ; mais il y a aussi sacrifice : puisque le daim fait fonction de victime ; qu’il est envoyé au génie de son espèce ; que des parts sont attribuées à des dieux, animaux totémiques il est vrai, mais qui sont ici des intercesseurs auprès du soleil et du « conseil des dieux » ; puisqu’enfin une grande divinité est invoquée. Mais déjà, de ce côté, n’avons-nous pas dépassé le totémisme ?

Sachant même avec quel haut état de civilisation le totémisme si développé de Zuñi coïncide, nous sommes en droit de penser qu’un pareil sacrifice, qui est unique, est un fruit récent de leur histoire religieuse. Le fait allégué prouve donc seulement que le totémisme n’est pas absolument incompatible avec le sacrifice et non pas que le sacrifice soit une de ses institutions normales et primitives. Subsistant à côté d’une autre religion, le totémisme a pu lui fournir, en s’unissant à elle, les victimes de sacrifices qui ne lui appartiennent pas en propre. En un mot, il y a des chances pour que le sacrifice ait existé avant le sacrifice totémique.

Ainsi, si l’on signale de nouveaux cas de sacrifices totémiques, il faudra toujours démontrer : qu’ils sont anciens, qu’ils sont essentiels au totémisme observé, et qu’ils ne sont pas, dans ce totémisme, le reflet d’un système sacrificiel indépendant. Nous attendrons qu’une pareille démonstration ait été faite pour nous croire obligés de faire remonter jusqu’au totémisme l’origine du sacrifice. Nous ne sommes donc pas amenés à modifier notre théorie du sacrifice en général, ni même celle du sacrifice du dieu.

C’était au sacrifice du dieu que Robertson Smith songeait quand il cherchait le sacrifice dans le totémisme ; il pensait avant tout à la communion chrétienne. Le totem sacrifié c’était, et cela dès l’origine, le dieu sacrifié, puisque le totem, pour les hommes d’un clan, fait fonction de dieu. Nous avons dit, au contraire, que le sacrifice du dieu n’était ni au début des religions ni au début même du sacrifice, mais qu’il s’était développé après le sacrifice au dieu et, à partir d’un certain moment, parallèlement à lui. Nous pensons encore de même.

Recherchant les traces du totémisme dans l’antiquité gréco-romaine, M. S. Reinach[36] a fixé son attention sur le sacrifice du dieu. Il a ajouté plusieurs bons exemples de mythes sacrificiels à la liste fort incomplète que nous avions produites. Mais il diffère de nous en ce qu’il veut voir des totems dans tous les dieux sacrifiés du monde gréco-romain : Orphée, Hippolyte, Actéon, Phaéton[37], etc… Mais tout animal sacrifié n’est pas un totem. Pour qu’il y ait totem il faut qu’il y ait un clan, M. Reinach le sait bien.

Pourtant nous attendons encore qu’il nous démontre l’existence des clans auxquels auraient appartenu lesdits totems[38]. Mais, même s’il nous la prouvait à l’aide de survivances certaines, héritage sur le sol grec et sur le sol latin de prédécesseurs depuis longtemps oubliés, nous ne serions pas encore satisfaits en raison de ce que nous avons dit plus haut. Il faudrait encore que, dans les cultes en question, la tradition sacrificielle remontât jusqu’aux origines totémiques, en d’autres termes que le cheval — Hippolyte, — le faon — Penthée, le bouc ou le taureau — Dionysos eussent été de tous temps déchirés (sparagmos) et mangés tout crus (omophagia) dans des fêtes orgiastiques et qu’ils l’eussent été à titre de totems. À cette condition seulement les faits allégués par M. Reinach pourraient prouver que le sacrifice du dieu est un sacrifice totémique ou sort d’un pareil sacrifice. À notre avis, dans les cultes dont traite M. Reinach, s’il y a d’anciens totems ils n’ont servi qu’à habiller les dieux, baptiser leurs prêtres, fournir les victimes toutes sacrées ; ils ne sont que des paraphernalia totémiques de religions non totémiques. Dans le culte de la vigne, par exemple, ce qui est primitif, ce n’est pas, comme le prétend M. Reinach, le sacrifice d’un animal-dieu, c’est la consécration des prémices de la vendange ; puis est venu le sacrifice d’un animal, totem ou non, offert au dieu de la vigne dans l’intérêt de la vigne ; et c’est en dernier lieu que le dieu est descendu dans la victime. Dans toutes ces prétendues suites du totémisme il n’y a qu’amalgame et syncrétisme.

Même en Égypte[39], où l’on serait tenté de chercher dans le sacrifice des restes de totémisme, les travaux récents n’en ont point montré. Les sacrifices y paraissent presque uniformément répéter le thème du dépeçage et de la résurrection d’Osiris. Les victimes, taureaux, porcs, gazelles, etc., sont données comme des animaux typhoniens, ennemis d’Osiris et représentants du dieu Set. Ce ne sont pourtant point des totems, formes premières de ce dieu ; ce ne sont pas non plus des totems correspondants à Osiris. On dit qu’ils sont mis à mort en punition d’avoir mangé le dieu, parce que une fois sacrifiés, ils exhalent le dieu, ce qui revient à dire que leur esprit, attribué au dieu est identique à lui ; de quelque façon que la mythologie représente ce qui se passe alors, ils portent le dieu et ils sont divins parce que le sacrifice, en Égypte, est essentiellement un sacrifice du dieu. Mais c’est un sacrifice du dieu qui n’a rien de totémique et dont nous savons avec certitude qu’il a son origine dans le culte du blé.

Pour montrer que le schème général du sacrifice contient en puissance le sacrifice du dieu, nous avons choisi nos exemples dans la série des sacrifices agraires. Nous nous sommes défendus de dire que seul le sacrifice agraire fût de nature à donner naissance au sacrifice du dieu ; il eût pourtant mieux valu établir notre démonstration sur des bases plus larges et ne pas paraître la fonder en apparence exclusivement sur les faits du culte des animaux domestiques et des plantes comestibles. Nous aurions dû parler en même temps des cultes qui concernent la végétation en général et tout l’ensemble de la nature. Ainsi le sacrifice du soma, que nous avons considéré comme un sacrifice agraire et qui est un parfait sacrifice du dieu, n’est pas le sacrifice d’un végétal cultivé, mais celui d’une plante choisie entre toutes, qui symbolise toutes les plantes. Nous n’avons pas pu alors l’exposer complètement mais, aujourd’hui, les textes rituels sont aisément accessibles, grâce au beau travail de Victor Henry et de M. Caland[40], il ne reste plus qu’à y ajuster les commentaires théologiques donnés par les Brâhmana. Ce que nous disons du sacrifice du soma est aussi vrai du sacrifice du hikuli, ou peyote chez les Huichol, les Tarahumare du haut Mexique et les anciens Aztèques[41]. Nous pensons donc que le sacrifice du Dieu[42] remonte, dans l’histoire de la civilisation, un peu plus haut, que le point d’où nous semblions le faire partir. Mais il est précisément très remarquable que ces sacrifices de dieux, assez barbares, que nous venons de mentionner n’aient rien du sacrifice totémique, puisque ni le peyote, ni le soma ne sont des totems. Il nous faut donc élargir les données sur lesquelles nous avons édifié notre théorie mais nous maintenons notre explication génétique du sacrifice du dieu. Le point de départ est toujours, selon nous, l’oblation et la destruction d’une chose susceptible, en raison des représentations qui s’y attachent, de devenir divine entre toutes les victimes sanctifiées.

Sauf en ce qui concerne le sacrifice du dieu, ce que nous avons voulu faire, c’est une étude schématique, une analyse générale du sacrifice, nullement un exposé généalogique de ses formes. Elle doit être de toute nécessité complétée par une histoire, une phylogénèse des sacrifices.

Mais nous pouvons dès à présent signaler l’un des bénéfices que nous avons trouvé. La place du sacrifice dans l’ensemble des rites nous est apparue. Son mécanisme compliqué n’est pas celui d’un rite primaire. Il n’a pu se produire qu’assez tard dans l’évolution religieuse après et sur d’autres systèmes plus anciens. D’une part, son institution suppose, dans les religions où il s’est établi, la pratique du don rituel comme l’avait bien vu M. Tylor, et surtout, le système entier des rites consécratoires, lustrations, purifications, etc. D’autre part il fallait que les choses sacrées se fussent définitivement séparées des profanes et fussent représentées déjà sous la forme d’esprits divins presque purs, plus ou moins personnels.

C’est d’ailleurs pour cette raison que le sacrifice pleinement constitué ne nous paraît pas compatible avec tous les degrés du totémisme : chez un peuple à religion totémique, ce qui est sacré pour un clan ne l’est pas pour les autres ; et le clan, dans le sacré, n’a nul besoin de l’intermédiaire sacrificiel qu’est la victime, pour communiquer avec un totem identique à lui-même ; il se consacre par rapport à celui-ci, directement, par les voies immédiates de l’effusion du sang et de la communion alimentaire. Ce sont, comme le voulait Robertson Smith, des facteurs indispensables du sacrifice, mais ce ne sont pas ses raisons nécessaires et suffisantes.

Une autre conclusion de nos recherches, est que le sacrifice est une institution, un phénomène social. Le rite n’est pas une forme, un vêtement des sacrifices personnels, du renoncement moral, autonome et spontané.

Il ne peut y avoir sacrifice sans société. Dans les sacrifices que nous avons décrits, la société est présente d’un bout à l’autre. Il est peu de rites qui soient plus foncièrement publics que le sacrifice. Quand ça n’est pas la société qui sacrifie elle-même et pour elle-même, elle est représentée à l’office par ses prêtres, souvent aussi par une assistance nombreuse et qui n’est point passive. Même quand le sacrifice est fait par un individu et pour lui-même, la société y est toujours présente, au moins en esprit, puisque c’est d’elle qu’il se sépare pour y rentrer ; c’est elle aussi qui a déterminé la victime, donné les moyens de la consacrer, nommé, choisi et convoqué les dieux. Sur le terrain du sacrifice la société entoure le fidèle de son assistance morale, c’est elle qui lui donne sa foi, la confiance qui l’anime dans la valeur de ses actes. Si on croit au sacrifice, s’il est efficace, c’est qu’il est un acte social.

Enfin, dernière conclusion : tout ce qui concourt au sacrifice est investi d’une même qualité, celle d’être sacré ; de la notion de sacré, procèdent, sans exception, toutes les représentations et toutes les pratiques du sacrifice, avec les sentiments qui les fondent. Le sacrifice est un moyen pour le profane de communiquer avec le sacré par l’intermédiaire d’une victime.

Qu’est-ce donc que le sacré ? Avec Robertson Smith, nous l’avons conçu sous la forme du séparé, de l’interdit. Il nous paraissait évident que la prohibition d’une chose pour un groupe n’est pas simplement l’effet des scrupules accumulés d’individus. Aussi bien disions-nous que les choses sacrées sont choses sociales. Même nous allons maintenant plus loin. À notre avis est conçu comme sacré tout ce qui, pour le groupe et ses membres, qualifie la société. Si les dieux chacun à leur heure sortent du temple et deviennent profanes nous voyons par contre des choses humaines, mais sociales, la patrie, la propriété, le travail, la personne humaine y entrer l’une après l’autre.

La description, donnée par Robertson Smith, du sacré, qui nous suffisait pour analyser le sacrifice, nous parut donc, notre travail achevé, non pas inexacte, mais insuffisante. Derrière les idées de séparation, de pureté, d’impureté, il y a du respect, de l’amour, de la répulsion, de la crainte, des sentiments divers et forts, évocateurs, de nature à se traduire en gestes et en pensée. Cette notion est plus complexe, plus riche, plus générale et plus pratique, qu’elle n’avait paru d’abord. Elle est bien sans doute l’idée-force autour de laquelle ont pu s’agencer les rites et les mythes. Elle se présentait dès lors à nos yeux comme étant le phénomène central parmi tous les phénomènes religieux[43]. Nous nous sommes proposé pour tâche de la comprendre et de vérifier ce que nous avions dit sur l’identité du sacré et du social. Nous avons pensé que le but ultime de nos recherches associées, devait être l’étude de la notion de sacré. C’était même pour nous le gain le plus sûr de notre travail sur le sacrifice.

II

LA MAGIE

Mais il existe un groupe considérable de phénomènes religieux où le double caractère sacré et social des rites et des croyances, n’apparaît pas au premier abord. C’est la magie. Pour généraliser les résultats de notre travail sur le sacrifice, et aussi pour les vérifier, il fallait s’assurer qu’elle ne constitue pas une exception. Or, la magie nous présente un ensemble de rites aussi efficaces que le sacrifice. Mais il leur manque l’adhésion formelle de la société. Ils se pratiquent en dehors d’elle et elle s’en écarte. De plus, sacrilèges, impies, ou simplement laïcs et techniques, ils n’ont pas au premier abord le caractère sacré du sacrifice. Dans la magie il y a aussi des représentations, depuis celles des dieux et des esprits jusqu’à celle des propriétés et des causes, qui sont investies d’une certitude égale à la certitude des représentations de la religion. Il y entre des mythes dont la simple récitation agit comme charme[44] et des notions, comme celles de substance, de nature, de force, φύσις et δύναμις, dont le bien fondé fut si peu contesté qu’elles ont été admises par les sciences et les techniques. Cependant, ni ces mythes, ni ces représentations abstraites dont la valeur pratique est si haute, ne sont explicitement l’objet de l’accord unanime et nécessaire d’une société. — Enfin, pas plus que les rites, ces notions et ces mythes ne semblent avoir pour principe la notion du sacré. L’efficacité des pratiques était-elle donc du même genre que celle des techniques ; la certitude des notions et des mythes du même genre que celle des sciences ?

Au moment où nous nous posions ces questions, les opérations mentales d’où dérive la magie étaient données comme des sophismes naturels de l’esprit humain. Associations d’idées, raisonnements analogiques, fausses applications du principe de causalité, pour MM. Frazer[45] et Jevons[46] en constituaient tout le mécanisme. L’école anthropologique anglaise arrivait ainsi, à des résultats tout à fait opposés à ceux vers lesquels nous conduisaient nos investigations sur la religion. Nous étions donc conduits à réviser ses travaux.

Notre enquête[47] a établit que tous les éléments de la magie : magiciens, rites, représentations magiques sont qualifiés par la société pour entrer dans la magie.

Le mémoire que nous publions plus loin sur l’Origine des pouvoirs magiques dans les sociétés australiennes en fait précisément la preuve avec détails en ce qui concerne la conscience même du magicien : le magicien est un fonctionnaire de la société, souvent institué par elle, et qui ne trouve jamais en lui-même la source de son propre pouvoir. On nous a reproché d’avoir étendu indûment ce que nous avions dit des corporations de magiciens[48]. Mais en réalité les magiciens isolés sont reliés par les traditions magiques et forment des associations.

En ce qui concerne les rites et les représentations, le magicien n’invente pas à chaque coup. La tradition qu’il observe est garante de l’efficace des gestes et de l’autorité des idées. Or qui dit tradition dit société. En second lieu, si la magie n’est pas publique comme les sacrifices, la société n’y est pas moins présente. Si le magicien se retire, se cache, c’est de la société ; et si celle-ci le repousse, c’est qu’il ne lui est pas indifférent. Elle n’a peur des magiciens qu’en raison des pouvoirs qu’elle lui prête et il n’agit contre elle qu’armé par elle.

Enfin, ces pouvoirs, ces qualités ont tous un même caractère, procèdent tous d’une même idée générale. Cette notion, nous lui avons donné le nom de mana emprunté aux langues malayo-polynésiennes, mais par lequel elle est désignée dans la magie mélanésienne, où M. Codrington[49] a révélé son existence. Elle est à la fois celle d’un pouvoir, celle d’une cause, d’une force, celle d’une qualité et d’une substance, celle d’un milieu. Le mot mana est à la fois substantif, adjectif, verbe, désigne des attributs, des actions, des natures, des choses. Il s’applique aux rites, aux acteurs, aux matières, aux esprits de la magie, aussi bien qu’à ceux de la religion.

Il en résulte que les rites et les représentations magiques ont le même caractère social que le sacrifice et qu’ils dépendent d’une notion identique ou analogue à la notion de sacré. De plus nous avons commencé à montrer qu’il y a des cérémonies magiques où se produisent des phénomènes de psychologie collective d’où se dégage cette notion de mana.

Comme nous ne dissimulions pas que nous ne connaissions que peu d’exemplaires authentiques de cette notion, M. Jevons[50] nous a reproché de fonder ainsi toute la magie sur un principe dont, de notre aveu, l’existence explicite n’était pas absolument universelle. Nos recherches ultérieures nous permettent d’affirmer que cette notion est très répandue.

Le nombre des sociétés où on ne la constate pas expressément se restreint de plus en plus.

En Afrique, les Bantus, c’est-à-dire la plus grande et la plus dense des familles africaines, possèdent la notion tout à fait identique de Nkissi, de Moquissie, comme disaient les vieux auteurs[51]. Les Ewhé, c’est-à-dire une bonne partie des Nigritiens, ont la notion de Dzo[52]. De ce fait, nous concluons déjà qu’il est nécessaire de remplacer, pour toute l’Afrique, la notion de fétiche par celle de mana. En Amérique, nous avions déjà signalé l’orenda Iroquois, le manitou algonquin, le wakan Sioux, le xube Pueblo, le naual du Mexique central. Il faut y joindre le nauala des Kwakiutl[53]. Notre hypothèse, sur la parenté qui relie la notion de brahman, dans l’Inde védique, à celle de mana, a été admise récemment par M. Strauss[54]. Quant au nombre des langues où la même notion est fragmentée en plusieurs expressions, il est indéfini[55].

Mais nous avions une autre réponse à faire à la critique de M. Jevons. Il n’est pas indispensable qu’un phénomène social arrive à son expression verbale pour qu’il soit. Ce qu’une langue dit en un mot, d’autres le disent en plusieurs. Il n’est même pas du tout nécessaire qu’elles l’expriment : la notion de cause n’est pas explicite dans le verbe transitif, elle y est pourtant.

Pour que l’existence d’un certain principe d’opérations mentales soit sûre, il faut et il suffit que ces opérations ne puissent s’expliquer que par lui. On ne s’est pas avisé de contester l’universalité de la notion de sacré et pourtant, il serait bien difficile de citer en sanskrit ou en grec un mot qui correspondît au sacer des Latins. On dira : ici, pur (medhya), sacrificiel (yajñiya), divin (devya), terrible (ghora) ; là, saint (ἱερός ou ἅγιος), vénérable (σεμνός), juste (θέσμος), respectable (αἰδέσιμος). Et pourtant les Grecs et les Hindoux n’ont-ils pas eu une conscience très juste et très forte du sacré ?

On n’a pas attendu ce supplément de preuves pour faire crédit à ce que nous avons dit sur la notion de mana. MM. Sidney Hartland[56], Frazer[57], Marrett[58], M. Jevons, lui-même, M. Preuss[59] s’y sont ralliés ; M. Vierkandt[60], qui probablement s’est contenté de lire M. Preuss, en arrive à nous reproduire presque intégralement.

Nous n’avons publié qu’une partie de notre travail sur la magie, celle qu’il nous importait de terminer alors pour poursuivre nos recherches. C’était assez pour nous en effet d’avoir montré que les phénomènes de la magie s’expliquent comme ceux de la religion. Comme nous n’avons pas encore exposé la partie de notre théorie, qui concerne les rapports de la magie et de la religion, il en est résulté quelques malentendus.

Nous avons été les premiers à formuler dans ce mémoire une distinction des rites en positifs et négatifs que nous tenions de M. Durkheim. Deux ans après notre publication, M. Frazer[61] arrivait, de son côté, à la même distinction, mais en considérant tous les tabous comme des rites négatifs de ce qu’il appelle la magie sympathique. Nous ne pouvons accepter l’honneur que M. Thomas[62] et à sa suite M. Marrett[63] nous ont fait de cette généralisation. Nous la croyons erronée. Nous avons divisé la magie en positive et négative ; cette dernière embrassant les tabous et en particulier les tabous sympathiques. Mais nous n’avons pas dit que tous les tabous fussent de la magie négative. Nous insistions sans doute sur les interdictions de la magie, parce que, par le fait même de la prohibition, elles portent, mieux que les règles positives, la marque de l’intervention sociale. Nous ne niions nullement qu’il y eût des tabous religieux, et qu’ils fussent d’un autre ordre.

Faute encore d’avoir délimité les rapports de la magie et de la religion nous nous sommes attiré de la part de M. Huvelin une autre querelle[64].

M. Huvelin attribue une origine magique aux liens de droit primitifs[65] ; et, pour lui, la magie a servi puissamment à la constitution de ce qu’il appelle le droit individuel. Ce que la magie met à la disposition des individus, ce sont des forces sociales et religieuses. Il l’admet. Toutefois il s’inquiète d’une contradiction qu’il aperçoit dans les termes dont nous nous servons. Comment la magie étant sociale, c’est-à-dire, selon M. Huvelin, obligatoire, peut-elle être illicite ? Comment étant religieuse, puisqu’elle trouve sa place dans le droit, phénomène de la vie publique, peut-elle être antireligieuse en même temps ? Voilà ce qu’il nous demande d’expliquer[66].

Mais une bonne partie des rites et surtout des sanctions, qui, selon M. Huvelin viennent de la magie, se rattachent pour nous à la religion. Pas plus que les dieux infernaux, les imprécations, les ἀραί ne sont par définition magiques et hors de la religion. D’ailleurs, dans un bon nombre des cas cités, la sanction magique n’est que facultative. La religion noue donc, aussi bien que la magie, les liens du droit individuel et avec un formalisme de même nature.

Le malentendu vient en somme uniquement de l’emploi abusif que M. Huvelin fait encore du mot magique. Il n’y a pas, entre les faits du système magique et les faits du système religieux, l’antinomie qu’il se représente et au sujet de laquelle il nous prend à partie. Il y a, nous l’avons dit, dans tout rite de la magie aussi bien que de la religion, une même force mystique, qu’on avait autrefois le tort d’appeler magique. M. Huvelin n’a pas répudié ce vice de la nomenclature et c’est pourquoi il fait de la magie la source unique des contrats.

Il ne faut pas opposer les phénomènes magiques aux phénomènes religieux : dans les phénomènes religieux, il y a plusieurs systèmes, celui de la religion, celui de la magie, d’autres encore ; par exemple la divination et ce qu’on appelle le folk-lore forment des systèmes de faits religieux comparables aux précédents. Cette classification correspond mieux à la complexité des faits, et à la variabilité des rapports historiques de la magie et de la religion. Mais notre définition du système de la magie reste la même et nous continuons à ne considérer comme lui appartenant que ce qui, le folk-lore mis à part, ne fait pas partie des cultes organisés. En vertu de cette définition, par exemple, le dhârna[67], le suicide juridique à l’effet d’arriver à l’exécution d’un créancier, dont parle M. Huvelin, ressortissant aux différents codes, à celui de Manou en particulier, ne figurant dans aucun manuel magique, dépendant du culte funéraire, relève de la religion et non de la magie.

Enfin, sans être obligatoires, les rites de la magie sont néanmoins sociaux. L’obligation proprement dite n’est pas pour nous le caractère distinctif des choses, des actes et des sentiments sociaux. L’acte magique illicite reste pour nous social, sans qu’il y ait là contradiction. L’acte est social parce qu’il tient sa forme de la société et qu’il n’a de raison d’être que par rapport à elle. Tel est le cas que cite M. Huvelin du sacrifiant qui fait un sacrifice pour tuer son ennemi[68]. Au surplus la magie n’est pas nécessairement illicite et, dans le droit, en fait, elle sert aussi bien au droit public qu’au droit individuel. Ainsi, dans les tribus australiennes[69] les menaces d’envoûtement sont pour les vieillards un moyen de faire respecter la discipline. Ce n’est pas sans raison que M. Frazer rattache aux pouvoirs des magiciens les pouvoirs du rois[70].

Certes M. Huvelin a raison de montrer que la magie a aidé à la formation de la technique du droit, comme nous supposions qu’elle a fait pour les autres techniques[71]. Nous sommes d’accord avec lui, quand il allègue que, dans le droit, elle a facilité l’action individuelle. La magie a en effet fourni à l’individu les moyens de se faire valoir à ses propres yeux et aux yeux des autres, ou bien d’éviter la foule, d’échapper à la pression sociale et à la routine. À l’abri de la magie non seulement les audaces juridiques ont été possibles, mais aussi les initiatives expérimentales. Les savants sont fils des magiciens.

Nous avons fait de fréquentes allusions au rôle que l’individu joue dans la magie et à la place qu’elle lui fait. On les a considérées comme des concessions prudentes, destinées à compenser l’excessive rigueur d’une théorie sociologique qui semblait vier dans la magie l’autonomie des magiciens[72]. Il n’y avait là ni concession ni contradictions. Notre travail avait précisément pour objet de déterminer la place de l’individu dans la magie par rapport à la société.

Nous nous proposions au début de nos études, surtout de comprendre des institutions, c’est-à-dire des règles publiques d’action et de pensée. Dans le sacrifice, le caractère public de l’institution, collectif de l’acte et des représentations est bien clair. La magie dont les actes sont aussi peu publics que possible, nous fournit une occasion de pousser plus loin notre analyse sociologique. Il importait avant tout de savoir dans quelle mesure et comment ces faits étaient sociaux. Autrement dit : quelle est l’attitude de l’individu dans le phénomène social ? Quelle est la part de la société dans la conscience de l’individu ? Lorsque des individus se rassemblent, lorsqu’ils conforment leurs gestes à un rituel, leurs idées à un dogme, sont-ils mus par des mobiles purement individuels ou par des mobiles dont la présence dans leur conscience ne s’explique que par la présence de la société ? Puisque la société se compose d’individus organiquement rassemblés, nous avions à chercher ce qu’ils apportent d’eux-mêmes et ce qu’ils reçoivent d’elle et comment ils le reçoivent. Nous croyons avoir dégagé ce processus et montré comment, dans la magie, l’individu ne pense, n’agit que dirigé par la tradition, ou poussé par une suggestion collective, ou tout au moins par une suggestion qu’il se donne lui-même sous la pression de la collectivité.

Notre théorie se trouvant ainsi vérifiée, même pour le cas difficile de la magie, où les actes de l’individu sont aussi laïcs et personnels que possible, nous sommes bien sûrs de nos principes en ce qui concerne le sacrifice, la prière, les mythes. On ne doit donc pas nous opposer à nous-mêmes si, parfois, nous parlons de magiciens en renom qui mettent des pratiques en vogue, ou de fortes personnalités religieuses qui fondent des sectes et des religions. Car, d’abord, c’est toujours la société qui parle par leur bouche et, s’ils ont quelque intérêt historique, c’est parce qu’ils agissent sur des sociétés.

III

LE PROBLÈME DE LA RAISON

En procédant ainsi, nous déplaçons le foyer de nos investigations sociologiques. Passant de la considération des phénomènes religieux, en tant qu’ils se développent hors de l’analyse des formes qu’ils prennent dans la conscience, nous avons eu l’occasion de poursuivre des études que nous avions déjà commencées avec et après M. Durkheim sur les origines de l’entendement.

Les opérations mentales de la magie ne se réduisent pas au raisonnement analogique ni à des applications confuses du principe de causalité. Elles comportent des jugements véritables et des raisonnements conscients[73].

Ces jugements sont de ceux qu’on appelle jugements de valeur, c’est-à-dire qu’ils sont affectifs. Ils sont dominés par des désirs, des craintes, des espérances, etc., des sentiments, en un mot. De même, les raisonnements se développent sur une trame de sentiments transférés, contrastés, etc. et non pas comme le veulent les anthropologues anglais, imbus d’associationisme, suivant les lois de la contiguïté et de la ressemblance.

Mais les psychologues isolent habituellement les jugements de valeur, qu’ils rattachent à la sensibilité, des jugements proprement dits, qu’ils rattachent à l’intelligence, ou ils ne signalent entre eux que des liens accidentels[74]. La logique rationnelle se trouve ainsi radicalement opposée à celle des sentiments. Au contraire quand on étudie ces deux logiques dans la conscience des individus vivant en groupes, on les trouve naturellement, intimement liées. En effet, les jugements et les raisonnements de la magie et de la religion sont de ceux sur lesquels s’accordent des sociétés entières. Cet accord doit avoir d’autres raisons que les rencontres fortuites des sentiments capricieux. Il s’explique par le fait que, dès le début, il faut que ces jugements et ces raisonnements de valeur soient à la fois empiriques et rationnels.

Le sentiment individuel peut s’attacher à des chimères. Le sentiment collectif ne peut s’attacher qu’à du sensible, du visible, du tangible. La magie et la religion concernent des êtres, des corps ; elles naissent de besoins vitaux et vivent d’effets certains ; elles s’exposent au contrôle de l’expérience. L’action locale du mana dans les choses est, pour le croyant, susceptible de vérifications. On s’inquiète sans cesse de sa présence fugace. Certes les conclusions des dévots sont toujours affirmatives car le désir est tout puissant. Mais il y a épreuve, confirmation.

Ces jugements et ces raisonnements de valeur doivent d’autre part avoir un caractère rationnel. Il y a des limites à leurs absurdités. M. Ribot a dit que la logique des sentiments admettait la contradiction ; cela est vrai, même des sentiments collectifs. Mais la logique qui règne dans la pensée collective est plus exigeante que celle qui gouverne la pensée de l’homme isolé. Il est plus facile de se mentir à soi-même que de se mentir les uns aux autres. Les besoins réels, moyens, communs et constants qui viennent se satisfaire dans la magie et dans la religion ne peuvent pas être aussi facilement trompés que la sensibilité instable d’un individu. Celui-ci n’a pas besoin de coordonner ses sentiments et ses notions aussi fortement que les groupes doivent le faire. Il s’accommode d’alternances. Au contraire les individus associés et voulant rester unanimes dégagent d’eux-mêmes des moyennes, des constantes. Certes ces décisions et ces idées des groupes sont faites d’éléments contradictoires. Mais elles les concilient. C’est ce qu’on voit chez tous les partis et dans toutes les Églises. Ces contradictions sont aussi inévitables qu’utiles. Par exemple, pour que le charme puisse être conçu comme agissant à la fois à distance et par contact, il a fallu constituer l’idée d’un mana à la fois étendu et inétendu. Le mort est, à la fois, dans un autre monde et dans sa tombe où on lui rend un culte. De pareilles notions, vicieuses pour nous, sont des synthèses indispensables où s’équilibrent des sentiments et des sensations également naturels mais pourtant contradictoires. Les contradictions viennent de la richesse du contenu de ces notions et ne les empêchent point de porter pour les croyants les caractères de l’empirique et du rationnel.

C’est pourquoi les religions et les magies ont résisté et se sont continuellement et partout développées en sciences, philosophies et techniques d’une part, en lois et mythes, de l’autre. Elles ont ainsi puissamment aidé à la formation, à la maturation de l’esprit humain.

Mais pour que les jugements et les raisonnements de la magie soient valables, il faut qu’ils aient un principe soustrait à l’examen. On discute sur la présence ici ou là, et non pas sur l’existence du mana. Or, ces principes des jugements et des raisonnements, sans lesquels on ne les croit pas possibles, c’est ce qu’on appelle en philosophie des catégories.

Constamment présentes dans le langage, sans qu’elles y soient de toute nécessité explicites, elles existent d’ordinaire plutôt sous la forme d’habitudes directrices de la conscience, elles-mêmes inconscientes. La notion de mana est un de ces principes : elle est donnée dans le langage ; elle est impliquée dans toute une série de jugements et de raisonnements, portant sur des attributs qui sont ceux du mana, nous avons dit que le mana est une catégorie[75]. Mais le mana n’est pas seulement une catégorie spéciale à la pensée primitive, et aujourd’hui en voie de réduction, c’est encore la forme première qu’ont revêtue, d’autres catégories qui fonctionnent toujours dans nos esprits : celles de substance et de cause. Ce que nous en savons permet donc de concevoir comment se présentent les catégories dans l’esprit des primitifs.

Une autre catégorie, celle de genre, avait été soumise à l’analyse sociologique par l’un de nous, avec M. Durkheim, dans un travail sur les Classifications primitives[76]. L’étude de la classification des notions chez quelques sociétés, montrait que le genre a pour modèle la famille humaine. C’est à la façon dont les hommes se rangent dans leurs sociétés qu’ils ordonnent et classent les choses en espèces et genres plus ou moins généraux. Les classes dans lesquelles se répartissent les images et les concepts sont les mêmes que les classes sociales. C’est un exemple topique de la façon dont la vie en société a servi à la formation de la pensée rationnelle en lui fournissant des cadres tout faits, qui sont ses clans, phratries, tribus, camps, temples, régions, etc.

Pour qui s’occupe de la magie et de la religion, celles des catégories qui s’imposent le plus à l’attention, sont celles de temps et d’espace. Les rites s’accomplissent dans l’espace et dans le temps suivant des règles : droite et gauche, nord et sud, avant et après, faste et néfaste, etc., sont des considérations essentielles dans les actes de la religion et de la magie. Elles ne sont pas moins essentielles dans les mythes ; car ceux-ci, par l’intermédiaire des rites qui en sont des descriptions, des commémorations, viennent se poser dans l’espace et se produire dans le temps. Mais les temps et les espaces sacrés dans lesquels se réalisent les rites et les mythes sont qualifiés pour les recevoir. Les espaces sont toujours de véritables temples. Les temps sont des fêtes.

L’étude que nous publions plus loin sur La Représentation du Temps dans la religion et la magie a pour objet d’analyser quelques formes primitives, étranges, contradictoires que présente la notion de temps quand elle est en rapport avec celle de sacré. Elle a été amenée par des recherches sur les fêtes. Elle permet de comprendre comment les fêtes se succèdent, s’opposent, se reproduisent dans le temps, quoique tous les mythes qu’elles représentent se passent nécessairement dans l’éternité, comment les mythes qui sont, par nature, hors du temps, peuvent ainsi périodiquement se réaliser dans le temps.

Enfin, comme la règle des fêtes est le calendrier, et que le calendrier a servi, à former sinon la notion concrète de durée, du moins la notion abstraite de temps, on peut y voir comment le système des fêtes et la notion de temps se sont élaborés simultanément grâce au travail collectif des générations et des sociétés.

La notion de temps, qui préside à la formation des premiers calendriers magiques et religieux, n’est pas celle d’une quantité, mais celle de qualités. Elle comprend essentiellement la représentation de parties, qui ne sont point aliquotes, qui s’opposent les unes aux autres, qui sont prises les unes pour les autres, et chacune pour toutes les autres, en raison de leurs qualités spécifiques. Les harmonies et les discordances qualitatives des parties du temps sont de la même nature que celle des fêtes. Tout fragment de calendrier, toute partie du temps, quelle qu’elle soit, est une véritable fête, chaque jour est une Feria, chaque jour a son saint, chaque heure sa prière. Bref les qualités du temps ne sont pas autre chose que des degrés ou des modalités du sacré : religiosité gauche ou droite, forte ou faible, générale ou spéciale. Nous apercevons donc des relations fort étroites entre ces deux notions de sacré et de temps, si intimement unies et mêlées et qui se corroborent l’une l’autre. Nous avons ainsi pu concevoir, comment cette notion de sacré doit être celle en fonction de laquelle les autres se classent, mais aussi se produisent par segmentations et oppositions successives, c’est-à-dire en somme la mère et la génératrice des représentations religieuses[77].

Nous pouvons maintenant revenir sur les caractères de ces jugements de valeur, qui sont à l’origine de l’entendement humain. Avec les empiristes nous avons reconnu que ces jugements n’étaient possibles qu’après un minimum d’expériences sur des choses, des objets matériels ou conçus comme matériels. Avec les nominalistes nous reconnaissons la toute-puissance du mot, d’origine sociale lui aussi. Avec les rationalistes enfin, nous reconnaissons que ces jugements de valeur sont coordonnés, suivant des règles constantes et constamment perfectionnées. Mais, tandis que, pour eux, c’est une entité, la raison, qui dicte ces règles, pour nous ce sont des puissances sociales, la tradition, le langage, qui les imposent à l’individu.

Nous admettons donc la théorie du jugement de valeur, qu’ont inventée les théologiens piétistes. Mais tandis que les philosophes[78], disciples de ces théologiens ne voient dans ces jugements que les produits de la raison pratique, de la liberté nouménale ou du sens religieux et esthétique de l’individu, pour nous ces jugements se fondent sur des valeurs primaires[79] qui ne sont ni individuelles, ni exclusivement volontaires, ni purement sentimentales, qui sont des valeurs sociales, derrière lesquelles il y a des sensations, des besoins collectifs, des mouvements des groupes humains.

IV

LE MYTHE ET L’IDÉE GÉNÉRALE

Ainsi, l’étude des idées générales doit être jointe à celle des représentations dans l’histoire des religions.

Mais on s’inquiète de ce que nous fassions débuter la pensée religieuse par des idées impersonnelles[80]. On met en général au commencement la notion d’âme et d’esprit, si l’on est animiste, les mythes, si l’on est naturiste. La première est considérée comme donnée immédiatement dans l’expérience et le rêve de l’individu. C’est ainsi que, tout dernièrement, l’expliquait encore M. Wundt[81]. Pour Max Muller et ses disciples, le mythe naissait immédiatement du besoin d’animer les choses représentées dans le langage par des symboles. Comme aucune objection ne nous est venue du côté de l’école naturiste, nous ne discutons pas la sienne, à laquelle nous faisons sa large part. Mais les animistes nous ont déjà combattu en défendant contre nous le caractère élémentaire et primitif de la notion d’âme. Pour eux, le mana n’est qu’un extrait de celle-ci. L’animisme renouvelé par M. Wundt explique l’action à distance du rite magique, par l’exhalation de l’âme du magicien[82].

Il y a là, selon nous, une grave erreur. Entre ces deux représentations, âme et mana, nous tenons celle de mana pour primitive, parce qu’elle est la plus commune. En fait, tandis que tout rite magique, toute chose magique a son mana, le nombre est petit des rites où l’on voit sortir l’âme du magicien, même l’une de ses âmes corporelles. M. Wundt appelle à la rescousse M. Preuss. Celui-ci, dans d’intéressantes recherches, qu’il rattache aux nôtres[83], a trouvé que, très souvent, ce sont les souffles émis par les ouvertures du corps qui portent la force magique. Les souffles, nous dit M. Wundt, ce sont des âmes. Non, ce sont des souffles. La voix, un trait de feu, un caillou, une pointe peuvent aussi bien servir de véhicule. Celui-ci ne sera même pas toujours nettement figuré. Parmi les images qui se prêtent à la représentation de la force magique, celle d’une âme, aussi mal définie qu’on voudra, n’est pas des plus fréquentes. En tous cas elle n’est jamais qu’une image parmi les autres.

Il y a plus : bien loin que la notion d’âme soit plus élémentaire que la notion de mana, elle est une des plus compliquées à laquelle soient arrivées les religions. Une analyse facile distingue ses antécédents plus simples, ses éléments disjoints et informes : ombres, âmes organiques, âmes extérieures, totems, revenants, génies. Dès qu’il s’agit d’en concevoir le contenu, nous n’y apercevons plus autre chose que les multiples figurations des rapports multiples de l’individu avec ses semblables, passés, présents, futurs, et avec les choses[84]. Ce sont des mana spécialisés que la société attribue à l’individu en raison de ses parentés, de ses initiations, de ses associations avec des morts, avec des météores, des cailloux, des arbres, des astres, des animaux, etc.

Mais admettons que, par une miraculeuse aperception primitive, la notion d’âme soit immédiatement donnée dans la conscience et immédiatement objectivée au dehors ; il reste à expliquer que les âmes puissent et doivent être les seuls agents des rites[85], et que leur représentation soit la raison d’être des rites. Les animistes nous font faire un nouveau saut au passage de la notion d’âme à la notion d’âme puissante. Admettons à la rigueur que l’expérience donne la notion d’âme, quelle expérience donnera la notion de puissance ? Si l’on nous dit que l’âme est naturellement conçue comme active, nous répondrons qu’elle est tout aussi bien conçue comme passive. Dans la notion d’âme ne sont pas données à la fois les qualités de spirituel et de puissant ; au contraire, elles sont données ensemble, par une synthèse naturelle, dans la notion de mana. Or, il fallait avoir la notion du puissant joint au spirituel pour avoir la notion d’une âme active. Il faut avoir l’idée d’une qualité pour en faire un attribut[86]. Nous avons donc de bonnes raisons pour mettre la notion de mana avant celle d’esprit.

Mais, nous dira-t-on, mettant ainsi le prédicat avant le sujet, le mana avant l’âme, vous renversez l’ordre psychologique des faits. Vous mettez l’impersonnel avant le personnel. Sans contredit.

D’abord il ne faut pas creuser entre l’idée générale et l’idée d’une personne une espèce d’abîme. Le personnel ne se conçoit que par rapport à l’impersonnel. L’individu ne se distingue que dans un clan. Il est représenté comme une parcelle du sang qui coule dans tout son clan, les animaux de son totem compris. Il n’y a pas de langage ni de pensée sans une certaine part de généralisation et d’abstraction. Supposer que l’esprit humain n’ait été peuplé à ses débuts que de notions purement individuelles est une hypothèse gratuite, invraisemblable et invérifiable.

Les notions primitives dont celle de mana est le type ne sont d’ailleurs pas si abstraites qu’on le dit. Leur contenu concret est au contraire très abondant. Elles coordonnent une foule de représentations : des qualités, des objets, des sensations, des émotions, des désirs, des besoins, des volitions. Leur élaboration ne demandait pas un grand travail intellectuel. Ce sont des synthèses opérées presque spontanément par des esprits brumeux.

Mais, entendons-nous bien. Il n’y a pas eu un moment où la magie et la religion n’auraient comporté que l’idée impersonnelle de mana, et, plus tard, un autre moment où seraient nées les idées personnelles de dieu, d’esprit, de revenant, de double. Nous pensons simplement que l’idée générale, est la condition logique et chronologique des idées mythiques, de même que les temps marqués d’un rythme sont les conditions du rythme, lequel comporte des temps faibles. Dans certains cas la notion générale de mana se présente sous sa forme impersonnelle intégrale ; dans d’autres il se spécialise, mais reste quelque chose de général : puissance du vouloir, danger du mauvais œil, efficace de la voix ; dans d’autres cas enfin, pour entrer dans la pratique, il revêt immédiatement des formes concrètes et individuelles : il devient totem, astre, souffle, herbe, homme, magicien, chose, esprit. Le fond reste identique, mais la métamorphose n’en est pas moins naturelle et fatale. De la majeure qu’est le mana se déduit par une nécessité logique et psychologique la conclusion que sont l’âme et le mythe.

Entre ces trois états de la représentation l’équilibre est toujours instable. Elle oscille sans cesse de la notion d’un phénomène ou d’une chose à celle de l’agent impersonnel ou personnel qu’elle met derrière. Zeus est à la fois un homme et le ciel, sans compter divers animaux. La juxtaposition est contradictoire, mais la raison d’être d’une notion comme celle de dieu est précisément de réconcilier dans l’esprit du croyant des idées et des sentiments qui s’entrechoquent et dont il ne veut rien abandonner. Ainsi, pour nous, dès le début, les représentations collectives se développent en mythes, tout comme l’idée générale, dans l’esprit individuel, ne peut être pensée sans images concrètes.

V

PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE ET SENTIMENT RELIGIEUX

En nous appliquant à l’étude des catégories, nous avons, paraît-il, outrepassé nos droits[87] et l’on nous accuse de compromettre le bon renom de la sociologie, en l’étendant indûment jusqu’aux limites de la dialectique. Notre domaine ne va, nous dit-on, que jusqu’où l’on trouve des institutions. On nous abandonne le sacrifice, une partie de la magie ; on nous conteste l’autre et non moins catégoriquement toute une moitié de la mythologie. On a réservé tout ce qui est mental à la psychologie. Les sociologues n’auraient pour eux que les groupes et leurs pratiques traditionnelles[88]. Mais on oublie qu’il y a des façons de penser en commun aussi bien que des façons d’agir en commun.

Les calendriers sont choses sociales comme les fêtes, les signes et intersignes, aussi bien que les expiations des mauvais présages. Les uns et les autres sont des institutions. Les notions de sacré, d’âme, de temps, etc., sont également des institutions puisqu’elles n’existent, en fait, dans l’esprit de l’individu, que revêtues de formes qu’elles ont prises dans des sociétés déterminées. L’individu les reçoit, par l’éducation, dans des formules traditionnelles. Elles sont donc objet de sociologie.

Là-dessus on nous dit : vous faites de la psychologie sociale, et non de la sociologie. Peu importe l’étiquette. Nous préférons celle de sociologues et voici pourquoi. C’est que nous ne considérons jamais les idées des peuples, abstraction faite des peuples. En sociologie, les faits de la psychologie sociale et les faits de la morphologie sociale sont liés par des liens intimes et indissolubles. M. Marett[89] nous a même prêté l’idée que les faits de structure sont des faits primaires par rapport aux autres qui seraient tout entiers mentaux et il en a pris prétexte pour opposer sa psychologie sociale à notre sociologie. L’un de nous[90], sans doute, a établi que, chez les Eskimos, et nombre de peuples de l’Amérique du Nord, les variations de la masse sociale commandent celles de la religion : à leur rassemblement d’hiver et à leur dispersion d’été correspond une double forme de religion. Mais cela ne veut pas dire que tous les phénomènes religieux n’aient que des causes morphologiques, que les états mentaux des groupes humains n’aient d’autre origine que les mouvements matériels de la masse sociale. Il se passe dans toute société des phénomènes qui ont pour conditions essentielles des faits mentaux. Ainsi, si des castes se sont cantonnées dans des quartiers spéciaux, c’était au nom de principes religieux. Ce qui est vrai, c’est que tout phénomène religieux est le produit d’une certaine masse sociale douée d’un certain état d’esprit et animée de certains mouvements. Reconnaissant des relations étroites entre les faits que l’on renvoie d’ordinaire à la démographie ou à l’anthropogéographie et ceux qui relèvent de la science des religions ; voulant nous tenir aussi près que possible de la réalité, nous sommes et nous restons des sociologues[91].

Il ne nous paraît donc pas nécessaire d’aider à la renaissance de la Völkerpsychologie, de la psychologie populaire, collective, sociale. Quand nous parlons d’états psychiques collectifs, nous pensons à des sociétés définies, et non pas à la société en général, au peuple, aux masses indécises d’une humanité vague, où les idées et les sentiments se transmettraient d’individus à individus, nous ne savons comment[92]. Le peuple dont parlent les Völkerpsychologen est une chose abstraite qui est à chaque peuple comme l’arbre des scholastiques était au poirier du recteur. Le social n’est, pour nous, ni le populaire, ni le commun. Même quand il s’agit de magie et de Folklore, nous ne perdons jamais de vue que pratiques et croyances sont spéciales à certains peuples, à certaines civilisations. Elles ont toujours la couleur particulière que prend chaque phénomène dans chaque société. Si indéfinies que soient les limites de leur extension, elles correspondent à des faits de structure qui sont tout au moins des courants de civilisation. C’est pourquoi la sociologie ne peut se constituer en dehors de l’ethnographie et de l’histoire.

Ce qui existe, ce qui offre un terrain solide à la science, ce sont des phénomènes particuliers : des sacrifices, des magies, des formes de classification, etc. Mais les phénomènes particuliers ont des raisons générales. C’est à travers les particularités des institutions que nous cherchons à trouver les phénomènes généraux de la vie sociale. C’est seulement par l’étude des variations que présentent les institutions ou les notions de même espèce, suivant les sociétés, que nous définissons, soit les résidus constants que ces variations laissent, soit les fonctions équivalentes que les unes et les autres remplissent. Par là nous différons des anthropologues anglais et des psychologues allemands. Ils vont droit aux similitudes et ne cherchent partout que de l’humain, du commun, en un mot du banal. Nous nous arrêtons, au contraire, par méthode, aux différences caractéristiques des milieux spéciaux ; c’est à travers ces caractéristiques que nous espérons entrevoir des lois.

D’autres nous ont fait le reproche de n’avoir pas fait sa part à la psychologie religieuse[93], tant à la mode aujourd’hui. Ils pensent aux sentiments plutôt qu’aux idées ou aux pratiques volontaires, et, parmi les sentiments, ils songent surtout à un sentiment d’ordre spécial, surhumain, sacrosaint, le sentiment religieux dont les religions positives ne seraient que des manifestations maladroites. — Bien loin de refuser un rôle au sentiment dans la religion, nous pensons trouver dans les notions de valeurs, c’est-à-dire dans des notions sentimentales, l’origine des représentations religieuses et des rites. La connaissance des sentiments complexes qui fondent la notion de sacré et celle des sentiments qu’elle provoque, scrupules, craintes, espoirs, etc., est, pour nous, le but dernier de la science des religions. — Ce que nous nions, c’est qu’il y ait dans ces sentiments quoi que ce soit de sui generis. Il n’y entre pas autre chose que ce que la psychologie ordinaire appelle simplement, amour et haine, peur et confiance, joie et tristesse, inquiétude, audace, etc. Il n’y a pas de sentiments religieux, mais des sentiments normaux dont la religion, choses, rites, représentations comprises, est produit et objet[94]. On n’a pas plus à parler de sentiments religieux, que de sentiments économiques, ou de sentiments techniques. À chaque activité sociale correspondent des passions et des sentiments normaux[95]. Il est donc inutile d’adapter à chaque chapitre de sociologie un chapitre de psychologie qui consisterait en variations sur le même thème.

Ces lignes ne s’adressent point aux psychologues qui font ce que l’on appelle couramment de la psychologie religieuse. Ils ont commencé avec succès ce travail de classement des idées, des sentiments, des faits de formation et de transformation du caractère, des états psychologiques normaux et anormaux qui se présentent dans la religion. L’intérêt de ces travaux est réel, mais ils éclairent plutôt les façons dont agissent, dans l’individu, et par rapport à son caractère, les traditions religieuses. Ces auteurs ont apporté plus à la psychologie qu’à nos études. Aussi nous nous demandons pourquoi ils choisissent quelquefois cette rubrique de psychologie religieuse[96].

Pour ce qui est des théologiens ou de philosophes imprégnés de théologie comme M. W. James, nous ne nous étonnons pas qu’ils nous parlent des sentiments religieux comme d’une chose spécifique. Le sentiment religieux, disent-ils, c’est l’expérience religieuse, l’expérience de Dieu. Et celle-ci correspond à un sens spécial, un sixième sens, celui de la présence divine[97]. Nous ne discuterons pas. Ici il ne s’agit plus de fait, mais de foi.


  1. H. Hubert et M. Mauss, Essai sur la nature et la fonction sociale du sacrifice, Année sociologique, t. II, 1899, p. 29-138.
  2. M. Mauss, L’origine des pouvoirs magiques dans les sociétés australiennes, étude analytique et critique de documents ethnographiques, École pratique des Hautes Études, Section des Sciences religieuses, Paris, 1904, p. 1-55. — H. Hubert, Étude sommaire de la représentation du temps dans la religion et dans la magie, École pratique des Hautes Études, Section des Sciences religieuses, Paris, 1905, p. 1-39.
  3. Robertson Smith, Religion of Semites, Burnett Lectures, 1re  édition 1890, 2e  édition 1894.
  4. G. Frazer, Golden Bough, 1re  édition, 1890 (seule citée dans le mémoire sur le Sacrifice, publié plus loin) ; 2e  édition, 1900, seule citée dans les autres mémoires et dans cette préface.
  5. Nous donnons plus loin (Sacrifice, p. 46, n. 1) quelques références qui renseignent sur le rattachement des psaumes rituels au culte du temple.
  6. Sur les Vedas, considérés comme recueils des hymnes et formules du sacrifice, voy. plus loin p. 8, n. 1. Cf. Weber, Vorlesungen über Indische Literaturgeschichte, p. 9 : c’est à la suite de ce savant qu’on a progressivement cessé de considérer les Védas, le Ṛg Veda en particulier, comme des recueils de mythes mis en vers.
  7. Rob. Smith, Religion of Semites, p. 281 sq., 338 sq.
  8. J. Toutain, L’Histoire des religions et le Totémisme, à propos d’un livre récent, Revue de l’Histoire des Religions, 1908, t. LVII, p. 331. Le livre récent est celui de M. Renel, Cultes militaires de Rome : les Enseignes, 1903. M. Toutain le rajeunit en l’appariant aux volumes de mélanges, publiés par M. S. Reinach, sous le titre de Cultes, Mythes et Religions, à partir de 1905. M. Toutain (p. 350) fait son profit, sinon des réserves dont nous parlons ici, du moins de celles que l’un de nous a faites ailleurs dans l’Année sociologique (t. IV, p. 164). Nous les avons plusieurs fois répétées (Année sociologique, t. VIII, p. 234 ; t. IX, p. 248, Note sur la nomenclature des phénomènes religieux). Il semble cependant vouloir nous opposer à nous-même, ou plus exactement à notre maître, M. Durkheim.
  9. Nous conservons ce mot, bien que sa signification ne soit encore rien moins que certaine. Cf. Strehlow, Die Aranda- und Loritja Stämme. I. Mythen und Legenden, (Veröfftl. Völkermuseum, Francfort, t. I), p. 4, n. 5.
  10. Spencer et Gillen, Native Tribes of Central Australia, 1898. id., Northern Tribes of Central Australia, 1904. Cf. Année sociologique, t. II, p. 208, 215 ; t. VIII, p. 248.
  11. À moins qu’on ne considère comme en tenant lieu la présentation de l’animal tué, de la graine concassée, etc., faite par les autres clans au clan dont c’est le totem et qui donne expressément la permission d’en consommer. Les premiers joueraient le rôle de sacrifiants, les autres celui de dieux. Mais, dans cette sorte de culte rendu par l’homme à l’homme, à quelle distance sommes-nous du sacrifice !
  12. J.-G. Frazer, Gold. Bough, II, 2e  édition, p. 374. M. Frazer en donnait quatre dans la première édition.
  13. M. Frazer avait reproduit un récit de Cushing, My Adventures in Zuñi, The Century Illustrated Magazine, 1883, p. 45 sq. Celui-ci n’avait assisté qu’aux cérémonies pratiquées envers la tortue lorsque, à la fin de la fête, on la ramène à la maison.
  14. La description qui suit est résumée de Mrs Stevenson, The Zuñi Indians, 23d Annal Report of the Bureau of American Ethnology, p. 156 sq.
  15. Stevenson, loc. cit., p. 157.
  16. Ibid., p. 159.
  17. C’est à ce moment que se place le récit si vivant de Cushing, cité par M. Frazer, p. 150.
  18. Stevenson, loc. cit., p. 160, 161, n. a.
  19. Quoi qu’en ait écrit Bourke à M. Frazer, Golden Bough, 2e  édition, t. II, p. 375, n. 2.
  20. Sur l’histoire des clans Zuñi, deux clans primaires, devenus deux phratries, puis quatre clans, puis six, puis dix-huit (dix-neuf avec le clan du milieu), voy. Durkheim et Mauss, Essai sur quelques formes primitives de classification, p. 40, sq. Les documents récents de Mrs Stevenson confirment, au delà de nos espérances, toutes nos hypothèses.
  21. Stevenson, Z. I., p. 439, sq.
  22. Cushing, Zuñi Creation Myths, 15th Ann. Rep. Bur. Amer. Ethno., p. 387, 388, p. 370 : Stevenson, Z. I., p. 408, 409.
  23. Cushing, Z. C. M., p. 371. Le rôle qu’y joue le clan du coyote, lequel semble d’ailleurs y faire bande à part (Stevenson, Z. I., p. 440, p. 409), n’a rien d’étonnant, car ce clan qui ne fait plus partie du groupe de l’Ouest, a dû changer de place, voy. Durkheim et Mauss, Classifications, p. 38.
  24. Cushing, o. l., p. 387.
  25. Stevenson, o. l., p. 440, 441.
  26. Mrs Stevenson, o. l., p. 441. Nous ne savons pas si, en temps ordinaire, il est défendu aux membres du clan de manger de leur totem.
  27. La confrérie accomplit une autre chasse sacrificielle, celle des lapins ; mais celle-ci ne se rattache pas aux cultes totémiques, Mrs Stevenson, o. l., p. 92, 442.
  28. Awonawilona est une sorte d’âme universelle, identifiée à l’espace et au vent, Mrs Stevenson, o. l., p. 22 sq.
  29. Nous disons culte ordinaire, parce que les expressions de Mrs Stevenson dans cette partie de sa description font allusion aussi bien à la chasse de tous les jours (p. 440, fortunate huntsman) qu’à cette chasse sacrificielle.
  30. Stevenson, loc. cit., p. 441. Le rite auquel il est fait allusion est probablement celui de la danse des Kianakwe, au solstice d’hiver, où il y a, en effet, une offrande des daims aux Ashiwanni représentants des dieux de la pluie, ibid., p. 224.
  31. Cushing, Zuñi Fetishes, IId Ann. Rep. Bur. Amer. Ethno. Cf. Durkheim et Mauss, De quelques formes primitives de classification, Année Sociologique, t. VI, 1903, p. 41, sq.
  32. La bonté du cœur, la pureté religieuse, celle même des intentions, est un trait important du rituel Zuñi, cf. pour la même confrérie, Stevenson, Z. I., p. 439, en général, p. 15.
  33. Stevenson, Z. I, p. 441, n. a.
  34. Il ne nous est pas dit que ces deux chasseurs déguisés soient obligatoirement du clan du daim.
  35. Les membres de cette confrérie n’ont pas d’ « ordre de médecine », c’est-à-dire ne forment pas, comme la plupart des autres confréries, une société de shamanes (Stevenson, Z. I, p. 417). Il est possible que cette communion avec le daim suffise pour douer de médecine, de mana, d’onayanakia, comme dit la prière, les objets magiques et les membres du clan.
  36. M. Toutain, dans l’article signalé plus haut (p. iv), se plaît à joindre le nom de M. Durkheim à celui de M. S. Reinach et à les confondre dans la même réprobation. Ces deux savants, dont nous connaissons fort bien la pensée, n’ont rien de commun l’un avec l’autre. En matière de totémisme, M. Durkheim, comme nous, est en désaccord complet avec M. Reinach. Nous n’avons pas d’ailleurs attendu pour contredire, très amicalement à vrai dire, les explications totémistiques des mythes grecs, dont M. Reinach a le secret.
  37. S. Reinach, Cultes, Mythes et Religions, 3 vol., Paris, 1905, 1908 ; t. I, p. 30. Les survivances du totémisme chez les anciens Celtes ; t. II, p. 58, Zagreus ; p. 85, La mort d’Orphée ; t. III, p. 24, Actéon ; p. 54, Hippolyte.
  38. M. S. Reinach nous signale bien lui-même l’existence à Rome d’un véritable clan, la gens Fabia, clan de la fève (o. l., t. I, p. 47). Mais le fait que, dans ce cas, le clan totémique ait pu subsister jusqu’aux temps historiques nous donnerait le droit d’être fort exigeants en ce qui concerne les autres exemples allégués. À vrai dire, le clan des Fabii, n’est pas pourvu d’un culte de la fève.
  39. A. Moret, Du Sacrifice en Égypte, Revue de l’Histoire des Religions, 1908, t. LVII, p. 81 sqq. Cf. A. Moret, Le Rituel du Culte divin journalier en Égypte, d’après les papyrus de Berlin et les textes du temple de Séti Ier à Abydos. Paris, Leroux, 1902.
  40. W. Caland et V. Henry, L’Agniṣṭoma, 1906 (ce livre n’expose que le rituel opératoire et oral).
  41. Lumholtz, Unknown Mexiko, II, p. 126 sqq. ; I, p. 209. Le culte de cette dernière plante s’est étendu très loin, et du côté des Prairies, où il est pratiqué par les Cheyennes, et vers le Sud. Cf. K. Th. Preuss, Die religiösen Gesänge und Mythen einiger Stämme der Mexikanischen Sierra Madre, Archiv für Religions-wissenschaft, XI, 1908, p. 383 sqq.
  42. Le culte du hako, le grand fétiche tribal de l’une des sections des Pawnee, est un excellent exemple du culte d’un dieu qu’une consécration, sacrificielle seulement par partie, fait descendre dans un objet. A. Fletcher, The Hako, a Pawnee Ceremony, XXIId. Ann. Report of the Bureau of Amer. Ethnol. Le mécanisme de la consécration peut déjà, par lui-même, incarner régulièrement le dieu.
  43. H. Hubert, Introduction à la traduction française du Manuel d’Histoire des Religions, de Chantepie de la Saussaye, 1904, p. xlv.
  44. Cf. Hubert et Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la Magie, Année sociologique, t. VII, 1904, p. 56.
  45. J.-G. Frazer, Golden Bough, 2e  édit., t. III, p. 460 ; II, p. 370, etc.
  46. Jevons, Introduction to the History of Religion, p. 35, 297, 411.
  47. Voir chap. iii. Nous ne réimprimons pas ici ce travail que nous nous proposons d’achever et de rééditer.
  48. Cf. H. Berr, Les Progrès de la Sociologie religieuse, Revue de synthèse historique, t. XII, 1906, p. 34.
  49. Codrington, The Melanesians, 1890.
  50. F.-B. Jevons, The Definition of Magic, extrait de Sociological Review, avril 1908, p. 6 sqq. Cf. Rev. de Mét. et de Morale, 1908, C. R. d’Année Soc. VIII.
  51. Cf. Année sociologique, t. X, p. 308 sqq.
  52. Spieth, Die Éwhe Stamme, p. 69 ; Westermann Ewhe-deutsckes Wörterbuch, s. v. et dérivés, p. 83, p. 86, sq.
  53. Cf. Boas, The social Organization and the secret Societies of the Kwakiutl Indiens, Rep. U. S. Nat. Mus. 1895 (1897), p. 695, l. 4 et 5, 694, l. 9, l. 11, etc. ; cf. Kwakiutl Texts (Boas et Hunt) Jesup Pac. Exped. Mem. Amer. Mus. Nat. Hist. vol. III, p. 100, l. 5, l. 26 ; p. 63, l. 39 ; p. 64, l. 1 ; p. 215, l. 35, l. 39, l. 45, etc. Il existe encore chez les Kwakiutl, une autre notion, plus prochaine de celle de talisman et de surnaturel à la fois, celle de : Lokoa, dans la seconde transcription, de Lógwa. Cf. les trois vers Kw. Texts, p. 355, l. 10-18, Soc. Orga., p. 373.
  54. Strauss, Brahmanaspati, Kiel, 1906.
  55. Van Gennep, Revue des Traditions populaires, 1904, 118-119 ; id., Mythes et Légendes d’Australie, p. lxxxiv sq. Nous n’admettons pas comme le fait M. Van Gennep que la Barakâ marocaine et arabe, c’est-à-dire le mana de la bénédiction, soit tout le mana ; le churinga des Arunta, n’est que le mana de certaines choses et rites sacrés. Ce sont des mana spécialisés.
  56. Folk-Lore, t. XV, 1904, p. 353. Compte rendu de Année Sociolugique, t. VII, 1904, cf. Pres. addr. Bristish Ass. of Sc., 1906, York.
  57. Lectures on the Early History of Kingship, 1906, p. 7 sq. M. Frazer ne paraît pas avoir apprécié l’importance de la notion de mana avant la lecture de notre travail.
  58. From Spell to Prayer, Folk-Lore, t. XV, 1904, p. 132 sqq. M. Marrett avait, avant nous, indiqué que l’animisme avait des conditions « préanimistes ». Pre-animistic Religion, Folk-Lore, t. XI, 1900, p. 108 sq.
  59. Ursprung der Religion und der Kunst, Globus, 1904-1905.
  60. Die Anfänge der Religion und der Zauberei, Globus, 1901, vol. 92, p. 62. Cf. Beck, in Zeitschrift für Philosophie u. phil. Krit., vol. 123, p. 180.
  61. J.-G. Frazer, Lectures on the Early History of Kingship, p. 26.
  62. N.-W. Thomas, Man, 1906, no 37. Cf. lettre de M. Frazer, ib.
  63. Marrett, Is Taboo a negative Magic, Anthropological Essays…, E. B. Tylor, 1907, p. 220, sq.
  64. P. Huvelin, Magie et droit individuel, Année sociologique, t. X, 1907, p. 1-47.
  65. id., Les tablettes magiques et le droit romain, extrait des Annales internationales d’histoire du droit, Mâcon, 1901. — id., La notion de l’injuria dans le très ancien droit romain, Annales de l’Université de Lyon, 1903.
  66. Nous connaissons certainement fort bien l’existence de la magie judiciaire. Nous pouvons même signaler à M. Huvelin que la magie des Ewé du Togo se divise en magie de l’envoûtement, magie de la divination et magie du droit. Spieth, Ewhe Stamme, p. 69*, p. 534, sq. Cf. Westermann, Ewe-Deut. Wörterb. s. v. Dzodudu, p. 89.
  67. P. Huvelin, o. l., p. 22.
  68. id., o. l., p. 46.
  69. Howitt, Native Tribes of South East Australia, 1904, chap. ix, passim.
  70. J.-G. Frazer, Kingship.
  71. H. Hubert et M. Mauss, La Magie, l. l., p. 143.
  72. H. Berr, Les Progrès de la sociologie religieuse, l. l., p. 35.
  73. La critique que nous avons faite à cet égard de la théorie courante a été, croyons-nous, décisive. C’est ainsi que M. Wundt l’a reproduite, sans le savoir. Völkerpsychologie, IIMythus und Religion, II, p. 177 sq.
  74. Nous sommes naturellement loin de penser que ceux qu’ils ont aperçus, ceux que M. Ribot a signalés dans sa Logique des Sentiments, n’existent pas.
  75. M. R. Meyer qui s’est moqué de nos expressions, Mythologische Fragen, Archiv für Religionswissenschaft, 1907, p. 423, aurait bien dû nous dire si les catégories existent autrement que la notion de mana.
  76. É. Durkheirm et M. Mauss, Essai sur quelques formes primitives de classification, Année sociologique, t. VI, p. 1-78. Cf. Année sociologique, t. X. p. 306 sqq.
  77. Ce que l’un de nous a fait explicitement pour l’idée de temps avait été indiqué pour l’idée d’espace, à propos de la classification des choses suivant les régions. — Voir Durkheim et Mauss, Classifications primitives, p. 63.
  78. On trouvera sur ce sujet une assez bonne bibliographie dans Ribot, Logique des sentiments, p. 34, n. 1. Sur le développement et la portée générale du système de Ritschl, voir Boutroux, Science et Religion, p. 210 sq. L’origine piétiste de ces théories est, pour nous, certaine. Elles viennent de Kierkegaard. Cf. H. Höffding, Philosophie de la religion, trad. fr., 1908, p. iii.
  79. H. Höffding, o. l., p. 99 ; les valeurs primaires sont celles qui se rapportent aux besoins individuels, les valeurs sociales sont secondaires. Plus loin, p. 100, M. Höffding admet que les valeurs sociales peuvent être contemporaines des premières.
  80. Le P. Schmidt nous reproche notre « magicisme impersonnel ». R. P. Schmidt, L’Origine de l’Idée de Dieu, Anthropos, 1908, p. 604, n. 4.
  81. Wundt, Völkerpsychologie, IIReligion und Mythus, II, p. 1-140. Cf. M. Mauss, L’Art et le Mythe d’après M. Wundt, Revue philosophique, juillet 1908. Jevons, The Definition of Magic, extrait de Sociological Review, avril 1908.
  82. Wundt, o. l., I, p. 185 sq.
  83. L. l. plus haut, p. xii, n. 1.
  84. H. Hubert, Introduction à la traduction française de l’Histoire des Religions, de Chantepie de la Saussaye, p. xxxiii-xxxv.
  85. Cf. Jevons, The definition of Magic, l. l., p. 15.
  86. H. Höffding, o. l., p. 172 sqq. Le concept de Dieu, la catégorie de religion, sont soumis à la même règle que les autres concepts et catégories ; ils doivent servir de prédicat avant de figurer comme sujet.
  87. H. Berr, o. l. l. l., p. 16, 29 sqq., 36 sqq.
  88. H. Berr, o. l., p. 42.
  89. Social Psychology, Sociological Review, I, no 1.
  90. Essai sur les variations saisonnières des sociétés Eskimos, étude du morphologie sociale, Année sociologique, t. IX.
  91. On reconnaîtra là un nouvel exposé des principes posés par M. Durkheim et son école. Cf. Art. Sociologie, Grande Encyclopédie. Mais la confusion est lente à dissiper.
  92. Cf. Mauss, L’Art et le Mythe, etc. Revue philosophique, 1908, p. 33 sqq.
  93. G. Michelet, Pour la Psychologie religieuse, Revue du Clergé français, 1905, XLI, p. 359 sqq. ; XLII, p. 22 sqq.id., Une récente théorie française sur la religion, Revue pratique d’apologétique, 1908, t. VI, p. 268sqq., 515 sqq. Cf. O. Mabert, La méthode sociologique et l’histoire des religions, Ann. de philos. chrét., 1908.
  94. Ribot, Psychologie des sentiments.
  95. Ribot, Essai sur les Passions, 1908. L’analyse de M. Ribot a précisément, à notre avis, pour principal résultat de démontrer que la cause des passions est dans une relation entre le caractère de l’individu et certains buts que la société lui propose.
  96. Nous faisons allusion aux meilleurs travaux de ce genre, ceux de MM. Coe, Starbuck, Leuba en Amérique, Delacroix en France. Les principaux résultats acquis éclairent les phénomènes de la conversion, des émotions et de leur effet, du mysticisme.
  97. W. James, Les variétés de l’expérience religieuse, traduction française. Nous nous flattons d’avoir exprimé de sévères critiques sur le compte de ce livre, Année sociologique, t. VII, p. 204 sqq. M. Coe, The sources of mystical Revelation, Hibbert Journal, IV, 4907, p. 350-372, vient de donner une excellente réfutation psychologique des théories de M. James. Ses conclusions sont même tout à fait sociologiques.