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les individus sensibles ne sont pas des dieux, c’est-à-dire pourquoi ils ne sont pas des êtres suffisamment séparés, indépendants, individuels ; car ces trois mots expriment la même notion. Il ne pouvait demander à la matière d’expliquer ce qu’il y a de positif dans l’individu : un tel mode d’explication revient en effet à traiter l’individualité comme une infirmité. Les Platoniciens d’Alexandrie, qui lui doivent tant d’ailleurs, ont été plus aristotéliciens qu’Aristote quand, éclairés, il est vrai, par la doctrine stoïcienne des raisons séminales, ils ont admis une Idée de Socrate, une Idée de chaque individu[1]. Si Aristote avait rompu sur ce point avec son maître, toute sa doctrine de l’être se serait aussitôt éclairée d’une vive lumière et développée d’un bout à l’autre dans un parfait accord avec elle-même. Elle eût été partout anti-universaliste ou individualiste, sans cesser d’être un rationalisme, puisqu’elle eût été partout formaliste. La notion de la forme, complètement rectifiée, eût été sans hésitation envisagée du point de vue de la compréhension.

Mais nous n’avons encore fait qu’esquisser le contour extérieur de l’individu suprême. Il faut pénétrer un peu plus avant dans son essence, nous demander ce qu’est au fond l’être en tant qu’être. Ce fond de l’être en tant qu’être se présente, semble-t-il, sous trois caractères : c’est la forme, la forme concrète, et enfin la forme vivante[2].

  1. Voir Plotin, Ennéade V, vii, par ex. 1 : … εἰ μὲν ἀεὶ Σωκράτης καὶ ψυχὴ Σωκράτους, ἔσται αὐτοσωκράτης, καθ’ ὅ ᾗ ψυχὴ καθέκαστα καὶ ἐκεῖ· εἰ δ’ οὐκ ἀεί, ἀλλὰ ἄλλοτε ἄλλη γίνεται ὁ πρότερον Σωκράτης, οἷον ὁ Πυθαγόρας ἤ τις ἄλλος, οὐκέτι ὁ καθέκαστα οὗτος κἀκεῖ.. Sur cette conception dans la doctrine stoïcienne des raisons séminales, cf. Némésius, Nat. hum. 38, p. 277 (Arnim, St. vet. fragm. n. 625, II, p. 190, 16).
  2. C’est la forme pure et l’acte pur, Métaph. Λ, 8, 1074 a, 35 : τὸ δὲ τί ἦν εἶναι οὐκ ἔχει ὕλην τὸ πρῶτον· ἐντελέχεια γάρ. ἓν ἄρα καὶ λόγῳ καὶ ἀριθμῷ τὸ πρῶτον κινοῦν… 7, 1072 a, 25 : … ἀίδιον καὶ οὐσία καὶ ἐνέργεια οὖσα. Cf. b, 8 ; 6, 1071 b, 19 sq., 22 et saep. C’est une forme vivante, ibid. 7, 1072 b, 26 : καὶ ζωὴ δέ γ’ ὑπάρχει· ἡ γὰρ νοῦ ἐνέργεια ζωή, ἐκεῖνος δὲ ἡ ἐνέργεια· ἐνέργεια δὲ ἡ καθ’ αὑτὴν ἐκείνου ζωὴ ἀρίστη καὶ ἀίδιος. φαμὲν δὴ [Bonitz, au lieu de δὲ] τὸν θεὸν εἶναι ζῷον ἀίδιον ἄριστον, ὥστε ζωὴ καὶ αἰὼν συνεχὴς καὶ ἀίδιος ὑπάρχει τῷ θεῷ. τοῦτο γὰρ ὁ θεός. Cf. b, 16 sq. ; De caelo II, 3, 286 a ; I, 9, 279 a, 20-22 (supra, p. précéd., note).