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mes mémoires

En outre, à la même époque, j’entre en relations suivies avec deux sœurs d’Henri Bourassa, Mlles Augustine et Adine : deux demoiselles d’âge avancé, fort originales, et comme il va de soi, d’opinions fort opposées. Mlle Adine a le culte de son père : Napoléon Bourassa, dont elle publiera un volume de lettres. Mlle Augustine professe, quant à elle ai-je déjà dit, une dévotion sans mesure pour le grand-père maternel[NdÉ 1]. Elle n’admet pas facilement l’incrédulité de Louis-Joseph Papineau. À l’en croire, c’était l’homme le plus religieux du monde — ce qui était un peu vrai — et Papineau se serait converti à la foi de son enfance, si Mme Papineau, une bigote, ne l’avait ennuyé, achalé, comme elle dit, sur l’article de la religion. Les deux demoiselles Bourassa me visitent régulièrement, en se cachant toutefois l’une de l’autre. Mes recherches et mes travaux sur Papineau les intéressent. Elles sont à l’affût de tout renseignement sur leur famille.

Ceci dit, je reviens à mon sujet. Dans le bureau de M. Héroux, en ce jour de janvier 1929, un jet de lumière, ai-je dit, me traverse l’esprit. Dans la famille Papineau-Bourassa, j’aperçois ce qui me paraît bien, non point, sans doute, une tare mentale, mais une singulière diathèse : la grand-maman Papineau réputée bigote, femme, en tout cas, d’une excessive émotivité, facilement désemparée devant les épreuves familiales, même capable de « rêves lugubres » ; puis sa fille, Azélie Papineau, mère de Bourassa, sujette à des accès de scrupules religieux ; une fille d’Azélie, Mlle Adine, scrupuleuse dûment classée et qui elle-même ne fait pas mystère de son mal. Mais surtout, un autre cas me vient à l’esprit, cas tragique celui-là : celui de Lactance Papineau, frère d’Azélie. Louis-Joseph Papineau, comme l’on sait, avait trois fils : Amédée, Lactance, Gustave. L’aîné, intelligent, mais déséquilibré. « Fils de la liberté », il a laissé un journal des événements de 1837. Plus tard, il apostasiera, par acte officiel, pour ne pas payer

  1. Voir page 74 de ce tome.