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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

été grévés ni pressés de nul subside, impositions, fouages ni gabelles, ni jà ne seroient tant que défendre le pourroient, et que leurs terres et seigneuries étoient franches et exemptes de toutes débites, et à tenir en tel état le dit prince leur avoit juré. Nonobstant ce, pour eux partir amiablement de ce parlement et du dit prince, ils répondirent qu’ils en auroient avis, et mettroient ensemble, eux retournés, plusieurs prélats, évêques, abbés, barons et chevaliers, auxquels il en appartenoit bien à parler, et en auroient plus grand’délibération de conseil qu’ils n’en avoient là présentement. Le prince de Galles ni son conseil ne purent lors avoir autre chose. Ainsi se départit ce parlement de la ville de Niort, et retournèrent chacun en son lieu ; mais il leur fut commandé et ordonné de par le prince qu’ils fussent là tous revenus dedans un jour qui assigné leur fut. Or retournèrent ces barons et ces seigneurs de Gascogne en leurs pays, qui bien affirmèrent que, sur l’état dont partis étoient, devers le prince plus ne retourneroient, ni que jà, pour faire guerre au prince, ce fouage ne courroit en leurs terres. Ainsi commença le pays à rebeller contre le prince ; et vinrent en France le comte d’Armignac, le sire de Labreth, le comte de Pierregord, le comte de Comminges et plusieurs autres hauts barons, prélats et chevaliers de Gascogne ; et mirent plaintes avant en la chambre du roi de France, le roi de France présent et ses pairs, sur les griefs que le prince leur vouloit faire ; et disoient qu’ils avoient ressort au dit roi, et que à lui se devoient retraire et retourner comme à leur souverain[1]. Le roi de France, qui ne vouloit mie obvier à la paix qui se tenoit entre lui et le roi d’Angleterre, se dissimuloit de ces paroles et en répondit moult à point, et disoit à ces barons de Gascogne : « Certes, seigneurs, la juridiction de notre héritage et de la couronne de France voudrions toujours garder et augmenter ; mais nous avons juré, après notre seigneur de père, plusieurs points et articles en la paix, desquels il ne nous souvient mie de tous ; si y regarderons et visiterons, et tout ce qu’il y sera pour vous, nous le vous aiderons à garder très grandement ; et vous mettrons à accord devers notre très cher neveu le prince, qui espoir n’est mie bien conseillé, qui ne veut que vous et vos sujets demeurez en vos franchises et libertés.

De ces réponses que le roi faisoit se contentoient grandement les barons de Gascogne ; et se tenoient à Paris de-lez le roi, que point n’en partoient ni retournoient en leur pays. De quoi le prince ne se contentoit mie bien ; et toujours persévéroit et faisoit persévérer son conseil sur l’état de ce fouage. Messire Jean Chandos, qui étoit un des grands de son conseil, et vaillant et sage chevalier durement, étoit contraire à cette opinion, et bien voulsist que le prince s’en déportât ; et quand il vit que point n’en viendroit à chef, afin qu’il n’en fût demandé ni inculpé, il prit congé du prince en excusation d’aller en Normandie, en la terre de Saint-Sauveur le Vicomte, dont il étoit sire, pour aller la visiter ; car point n’y avoit été depuis trois ans. Le prince lui accorda. Donc se partit de Poitou le dit messire Jean Chandos et s’en vint en Cotentin, et séjourna que en la ville de Saint-Sauveur que là environ plus d’un an. Et toudis procédoit le prince sur ce fouage ; car son conseil, qui à ce tiroit, lui remontroit que si il pouvoit l’exploiter, il vaudroit par an douze cent mille francs, pour payer tant seulement sur chacun feu un franc, et le fort portant le foible.

Nous retournerons au roi Henry qui étoit en ce temps au royaume d’Arragon, et recorderons comment il persévéra.


CHAPITRE CCL.


Comment le roi Henry retourna en Espagne ; et comment la cité de Burgues se rendit à lui, et aussi la cité du Valdolif, où il prit le roi de Mayogres.


La plus grand’partie de l’état du prince et de son affaire savoient les rois voisins, tels que le roi Pierre d’Arragon et le roi Henry ; car ils metloient grand’eure au sçavoir, et bien avoient entendu comment les barons de Gascogne étoient allés à Paris de-lez le roi et se commençoient tous à troubler et à rebeller contre le prince. De ce n’étoient mie les dessus dits courroucés, et par espécial le roi Henry, qui tiroit à revenir au conquêt de Castille qu’il avoit perdue par la puissance du prince. Si se partit du roi d’Arragon et prit congé de lui à Valence le Grand[2], et se partirent en sa compagnie, du

  1. Les appellations et réclamations de ressort des seigneurs d’Aquitaine sont du dernier juin et du 25 octobre de cette année.
  2. On a vu dans une des remarques sur le chapitre 246