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« Les Chinois pratiquent des trous dans la terre, à de très-grandes profondeurs, à l’aide d’une corde armée d’une main de fer, laquelle rapporte au jour les détritus du fond. »

Les Lettres édifiantes renferment une lettre de l’évêque de Tabrasca, missionnaire en Chine, dans laquelle on remarque ce passage, qui s’applique aux puits forés de Ou-Tong-Kiao :

« Ces puits sont percés à plusieurs centaines de pieds de profondeur, très-étroits et polis comme une glace ; mais je ne vous dirai pas par quel art ils ont été creusés ; ils servent pour l’exploitation des eaux salés. »

Cette lettre, datée du 11 octobre 1704, ne donne aucun renseignement sur l’époque à laquelle on a commencé à creuser les puits chinois ; elle ne résout donc en aucune façon la question d’ancienneté.

Une relation beaucoup plus détaillée de la méthode chinoise, fut donnée en 1827, par un autre missionnaire, l’abbé Imbert. Voici cette description :

« Il y a quelques dizaines de mille de ces puits salants dans un espace d’environ 10 lieues de long sur 4 ou 5 de large. Chaque particulier un peu riche se cherche quelque associé et creuse un ou plusieurs puits. C’est une dépense de 7 à 8 000 francs. Leur manière de creuser ces puits n’est pas la nôtre. Ce peuple vient à bout de ses desseins avec le temps et la patience, et avec bien moins de dépense que nous. Il n’a pas l’art d’ouvrir les rochers par la mine, et tous les puits sont dans le rocher. Ces puits ont ordinairement de 1 500 à 1 800 pieds de profondeur, et n’ont que 5 ou au plus 6 pouces de largeur. Voici leur procédé : on plante en terre un tube de bois creux, surmonté d’une pierre de taille qui a l’orifice désiré de 5 ou 6 pouces ; ensuite on fait jouer dans ce tube un mouton ou tête d’acier, pesant de 300 à 400 livres. Cette tête d’acier est crénelée en couronne, un peu concave par-dessus et ronde par-dessous. Un homme fort, habillé à la légère, monte sur un échafaudage, et danse toute la matinée sur une bascule qui soulève cet éperon à 2 pieds de haut, et le laisse tomber de son poids ; on jette de temps en temps quelques seaux d’eau dans le trou pour pétrir les matières du rocher et les réduire en bouillie. L’éperon ou tête d’acier est suspendu par une bonne corde de rotin, petite comme le doigt, mais forte comme nos cordes de boyau. Cette corde est fixée à la bascule ; on y attache un bois en triangle, et un autre homme est assis à côté de la corde. À mesure que la bascule s’élève, il prend le triangle et lui fait faire un demi-tour, afin que l’éperon tombe dans un sens contraire. À midi, il monte sur l’échafaudage, pour relever son camarade jusqu’au soir. La nuit, deux autres hommes les remplacent. Quand ils ont creusé 3 pouces, on tire cet éperon avec toutes les matières dont il est surchargé (car je vous ai dit qu’il était concave par-dessus), par le moyen d’un grand cylindre qui sert à rouler la corde. De cette façon, ces petits puits ou tubes sont très-perpendiculaires et polis comme une glace. Quelquefois tout n’est pas roche jusqu’à la fin, mais il se rencontre des lits de terre, de charbon, etc. ; alors l’opération devient des plus difficiles, et quelquefois infructueuse ; car, ces matières n’offrant pas une résistance égale, il arrive que le puits perd sa perpendiculaire ; mais ces cas sont rares. Quelquefois le gros anneau de fer, qui suspend le mouton, vient à casser ; alors il faut cinq ou six mois pour pouvoir, avec l’autre mouton, broyer le premier et le réduire en bouillie. Quand la roche est assez bonne, on avance jusqu’à deux pieds dans les vingt-quatre heures. On reste au moins trois ans pour creuser un puits. Pour tirer l’eau, on descend dans le puits un tube de bambou, long de 24 pieds, au fond duquel il y a une soupape ; lorsqu’il est arrivé au fond du puits, un homme fort s’assied sur la corde et donne des secousses, chaque secousse fait ouvrir la soupape et monter l’eau, le tube étant plein, un grand cylindre, en forme de dévidoir, de 50 pieds de circonférence, sur lequel se roule la corde, est tourné par deux, trois ou quatre buffles ou bœufs, et le tube monte ; cette corde est aussi de rotin. L’eau est très-saumâtre ; elle donne à l’évaporation un cinquième et plus, et quelquefois un quart de sel. Ce sel est très-âcre et contient beaucoup de nitre. »

L’abbé Imbert ajoutait que la plupart de ces puits dégagent de l’air inflammable, c’est-à-dire de l’hydrogène carboné, ou du grisou, provenant de gisements de houille traversés par le conduit. Quelques-uns de ces puits, appelés puits de feu par les Chinois, qui descendaient jusqu’à une profondeur de 3 000 pieds, ne fournissaient même que du gaz inflammable. Le gaz était employé à faire évaporer dans des chaudières de fer les eaux contenant le sel. Nous avons déjà rappelé ce dernier fait dans la Notice sur l’éclairage qui fait partie de ce volume.

La relation du missionnaire Imbert fut fort