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LES PRIMITIFS FLAMANDS

sans doute a souvent écouté ce chant maudit… Le sens de la réalité n’abandonne point l’artiste dans la création de son bestiaire diabolique. On a dit que les êtres infernaux de Bosch — hommes zoomorphes ou animaux anthropomorphes — étaient des inventions équilibrées, scientifiques et qu’il ne fallait point les assimiler aux inventions déréglées des « faiseurs de dyables » qui suivirent le maître de Bois-le-Duc. Enfin, pour ce qui est du symbolisme de Bosch dans ses Tentations, de sa fougue prodigieuse de prédicateur populaire, de la merveilleuse puissance avec laquelle il ressuscite et résume les plus impressionnantes traditions du moyen âge, on en peut juger très suffisamment d’après cette copie du Musée de Bruxelles, peinte avec une très grande finesse et, en certains endroits, une subtilité de matière qui ferait croire à l’intervention personnelle du grand visionnaire.

On a conservé un petit nombre de dessins de Bosch tandis que de très nombreuses gravures portent sa signature. Mais la critique moderne est bien près d’affirmer qu’il n’a jamais manié le burin et qu’il n’a gravé aucune des planches signées de son nom. De grands artistes traduisirent ses conceptions en gravures : Alart du Hameel, Bruegel le Vieux, — et c’est en burinant des proverbes « boschiens » pour la boutique des Quatre Vents à Anvers que Bruegel devint le premier dessinateur de son temps.

Jérôme Bosch mourut en 1516. Son siècle et la postérité lui rendirent justice. Les jugements sur son œuvre sont toujours restés admiratifs. Il connut des imitateurs serviles ; mais son exemple fut infiniment fécond et on peut le tenir pour un précurseur de la peinture moderne. Il fait comprendre le vieux Bruegel et l’on a dit avec raison qu’il compte Goya et Rops parmi ses descendants. Dans le domaine technique, et tout en usant familièrement des procédés d’école, Bosch est un novateur hardi. Traducteur des hallucinations du mysticisme populaire, peintre très médiéval, il a pourtant l’audace de renoncer aux séculaires cassures des draperies[1]. C’est un coloriste infiniment varié qui ne peut se contenter du bagage scolastique tant sa sensibilité est vive. Van Mander, dans un passage bref mais excellent, a rendu justice à ses hauts

  1. Cf. Van Mander. Le Livre des Peintres, traduction Hymans, t. I, p. 170.