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sur le grand autel de marbre. Cette chapelle existe encore ; nous pouvons nous imaginer l’impression qu’y produisait la merveilleuse peinture offerte par Messire Nicolas, nous pouvons deviner, en contemplant le Retable de maître Roger dans le petit musée de l’hôpital de Beaune, « quelle vision à la fois d’espoir et d’épouvante se levait aux yeux des malades » quand s’allumaient, « tous les feux de la chapelle, quand l’amas scintillant des cierges, l’incandescence des métaux, l’éclair des pierres précieuses, le flamboiement des orfèvreries aiguës, la pourpre et l’azur translucides des vitraux encadraient de mystiques splendeurs le drame final de la Chrétienté ! »[1]

Tandis que le peintre de Bruxelles travaillait au Jugement dernier, sa gloire rayonnait au loin. Les mécènes italiens s’étaient épris de ses œuvres comme de celles de Jean van Eyck ; Cyriaque d’Ancône vit de lui à Ferrare — à la date du 8 juillet 1449 — un triptyque avec la Descente de croix au centre ; des artistes italiens (Angelo Parrasio de Sienne, entre autres) s’ingéniaient à imiter sa manière, et sûrement Roger était populaire dans les ateliers d’Italie quand il se rendit à Rome pour assister au jubilé solennel de 1430. Le grand peintre interrompit son polyptyque de Beaune — il avait terminé le Jugement avant son départ — et ne peignit l’extérieur des volets, où la collaboration des élèves est d’ailleurs sensible, qu’après son retour. C’est le De Viris illustribus de Facius qui nous fait connaître ce voyage d’Italie ;[2] « Rogerius Gallicus, insignis pictor », pour parler comme Facius, visita la basilique de Saint-Jean-de-Latran et y admira des œuvres, aujourd’hui perdues, du délicieux ombrien Gentile Fabriano, que l’artiste flamand proclama le premier des peintres d’Italie ; et peut-être, dans certaines œuvres capitales de Roger, sentirons-nous vibrer plus tard un écho de cette vive admiration. On suppose que pendant son séjour en Italie le peintre de Bruxelles exécuta la délicieuse Madone avec quatre Saints conservée à l’institut Staedel de Francfort. Le panneau porte dans le bas les armes de Florence et deux des saints, les saints Cosme et Damien, étaient patrons des Médicis ; on a même voulu reconnaître en eux les portraits de Jean et Pierre de Médicis, fils de Cosme l’ancien, hypothèse à laquelle on a renoncé, les deux têtes se retrouvant dans d’autres tableaux de Roger.

Le Musée des Offices possède un Christ au tombeau que l’on identifiait naguère avec la Descente de croix signalée par Cyriaque d’Ancône (et avant lui par Facius) dans la collection de Lionel d’Esté à Ferrare. L’œuvre se rapproche étroitement de

  1. Albert Vandal. La Fête-Dieu à Beaune. Revue des Deux-Monde, septembre 1898.
  2. Pour le voyage en Italie, la Descente de Croix des Office et le triptyque des Sforza, cf. Alph. Wauters, op. cit., pp. 36 et 37 ; Malaouzzi Valeri, Pittori lombardi del quattrocento, Milan, 1902 ; Rogier de Tournai et Zanetto Bugatto, S. Reinach, Chronique des arts, 1904 ; La Crucifixion de Bruxelles ; P. Durrieu, Chronique des arts, 1904.