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n’ont plus ni bouche ni intestins, qu’ils n’ont plus ni bras ni jambes, que leurs membres ne leur appartiennent pas, qu’ils ont une tête de plomb, qu’ils n’ont plus de tête, etc., etc. M. Baillarger a fait remarquer, avec raison, que ce délire, vraiment spécial, coïncide presque toujours avec les périodes de dépression de la maladie, avec les moments de grand affaiblissement physique, s’accompagne souvent de refus des aliments et est fréquemment suivi d’une sorte de diathèse gangréneuse qui met pendant cette période la vie des malades en danger. Mais la seule chose que nous cherchions à noter ici, c’est que ce genre de délire alterne souvent plusieurs fois, pendant le cours de la maladie, avec le délire des grandeurs, lequel coïncide au contraire avec les périodes d’excitation et que, par conséquent, le délire des grandeurs, malgré sa fréquence, est loin d’être constant, soit chez les divers paralytiques, soit chez le même malade aux différentes périodes de son affection. D’un autre côté, s’il manque assez fréquemment dans la paralysie des aliénés, le délire ambitieux peut se rencontrer également dans d’autres formes de maladies mentales. Cette assertion paraît surtout vraie si l’on donne au mot délire d’orgueil son acception la plus large, et si l’on n’a pas le soin de déterminer les caractères spéciaux du délire ambitieux propre à la folie paralytique. J’ai essayé[1] de préciser ces caractères. Je les ai résumés en disant que, chez les paralytiques, le délire des grandeurs est multiple, mobile, absurde et contradictoire. Ce qui le caractérise surtout, en effet, c’est l’absence de coordination, qui témoigne déjà d’un commencement de démence, au milieu de l’activité apparente des facultés, et qui contraste d’une manière très remarquable avec le délire d’orgueil systématisé des autres aliénés. Tous les médecins spécialistes savent, par exemple, qu’il existe dans les asiles des rois, des reines, des princes et des princesses, des grands personnages en un mot, qui n’ont jamais été et ne seront jamais paralytiques ; mais combien leur délire orgueilleux diffère de celui des aliénés paralytiques qui croient cependant posséder les mêmes titres et les mêmes dignités ! Tandis que l’aliéné ordinaire a son roman parfaitement coordonné qu’il raconte à tout venant de la même façon, motive toutes ses prétentions, prévoit

  1. J. Falret, thèse, 1853. Voir p. 96.