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les yeux sont tournés vers le spectateur, mais il y a dans le regard et dans la mine quelque chose de mécontent, d’étrange, qu’on ne pénètre pas ; une vue ouverte sur une montagne et une vallée, un lac, une cascade, un rocher et des bouquets de bois peuvent rappeler les jardins de Wilhelmshœhe ; cependant il y a dans la composition générale un grandiose par trop sauvage, et on ne conçoit pas comment cette dame, avec sa belle toilette, a pu venir se reposer dans ce site féerique. Un personnage accessoire, fort singulier, ne s’explique pas davantage. Pourquoi cette dame pose-t-elle ses jolis petits pieds sur la tête et le bec d’une cigogne esquissée légèrement sur le tapis ?

En laissant de côté ces objections, on peut vanter l’excellente composition de ce portrait et il est parfaitement disposé pour recevoir un beau coloris [1].


ÉLISA, EX-GRANDE-DUCHESSE DE TOSCANE
ET SA FILLE NAPOLÉON ÉLISA, PRINCESSE DE PIOMBINO (PEINTES EN 1811).

Le portrait le plus riche de tous, et qui offre les occasions les plus variées d’oppositions dans le coloris.

Une dame fort belle, d’une physionomie orientale, intelligente, nous regarde avec aisance. — La tête est trés-ornée ; le diadème, le voile, les boucles de cheveux frisés, le collier, un petit châle autour du cou, donnent à cette partie une grande importance ; toute la jupe ne sert vraiment que de tapis à une charmante petite fille ; sa mère a une main posée sur son épaule droite. La gentille enfant tient par un ruban un joli petit chien, de forme élancée et bizarre, qui se blottit sous le bras gauche de la mère. Celle-ci repose commodément sur les coussins épais d’un large canapé de marbre blanc, orné de têtes et de pattes de lions, qui donne de la richesse à l’ensemble. Des coussins pour les pieds, les larges plis de la robe de la mère, un massif de fleurs et une végétation vigoureuse que l’on aperçoit dans le voisinage indiquent la variété des teintes. Au dernier plan, tenu sans doute dans un ton clair aérien, se dressent des arbres élevés et épais ; quelques colonnes brisées, un escalier rustique qui conduit dans des bosquets, mon-

  1. On a entendu Goethe, dans la conversation du 21 février 1830, dire que la beauté du coloris d’un tableau dépend de sa composition.