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tes et des Jésuites avaient très gravement compromis la religion. Parlementaires et théologiens avaient comme préparé à l’envi le triomphe de la philosophie ; aussi, plus que jamais, « on se mêlait de raisonner » ; on raisonnait partout et librement, « en pleine table, devant les valets, dans les promenades, les cafés publics, en plein parterre d’opéra[1] », et ces raisonnements aboutissaient à une double conclusion : d’une part, « à force de se lâcher contre le gouvernement », on était arrivé sinon à disserter tout haut, du moins à « méditer sur la Révolution et le gouvernement républicain[2] » ; et, d’autre part, dans un livre qui venait de paraître et que le public s’arrachait, Les Mœurs, de Toussaint (un ami de Diderot), on se proposait « d’établir la religion naturelle sur la ruine de tout culte extérieur » : c’était l’expression de l’avocat général d’Ormesson qui venait de déférer le livre au Parlement. Les contemporains eux-mêmes eurent parfaitement conscience du progrès qui s’était fait dans les idées au milieu même du siècle. Les premiers mots de d’Alembert, dans sa « Destruction des Jésuites », sont pour remarquer que « le milieu du siècle paraît destiné à faire époque dans l’histoire de l’esprit humain par la révolution qui semble se préparer dans les idées. » C’est à ce moment critique que paraît l’Encyclopédie. Quel que doive être son contenu, elle emprunte à l’époque troublée qui la vit naître et au nom même de son chef, Diderot, dont le public lettré connaissait les hardiesses philosophiques, une signification générale et, pour ainsi dire, avant la lettre, qui nous explique déjà les préventions du gouvernement et de l’Église à son égard. « Les gens sensés et attachés à la religion sont prévenus contre ce livre nouveau[3]. »

Voici un ouvrage, en effet, qui se propose de traiter toutes les questions et, sans nul doute, avant tout, celles qui préoccupent et agitent l’opinion publique à cette heure ; ensuite, puisque cet ouvrage est un dictionnaire, il va ras-

  1. Barbier, nov. 1748, et d’Argenson, déc. 1749.
  2. D’Argenson, 1748.
  3. Mém. de Luynes, édit. Dussieux, xi, p. 385.