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écrites, à la vigilance du gouvernement, ils n’ont jamais demandé qu’on supprimât la censure, mais seulement qu’on leur permît de choisir des censeurs favorables à leur cause et sévères à leurs ennemis. « Personne, s’écrie Diderot, ne respecte plus que moi l’autorité des lois publiées contre les auteurs dangereux » ; et ce n’est pas une précaution oratoire puisqu’il s’agit, selon ses propres termes, du « scandale » causé par les Provinciales de Pascal, lequel est ici, pour Diderot, l’auteur dangereux : son crime, c’est d’avoir vulgarisé les livres des casuistes qui dormaient inoffensifs dans les ténèbres des bibliothèques. Ce n’est pas là non plus une de ces boutades sans conséquence, comme il en échappait en foule à Diderot ; c’est l’application d’une théorie qui lui était chère et d’après laquelle toute vérité n’est pas bonne à dire au peuple. Il voudrait qu’on laissât publier indistinctement « tous les écrits en langue savante, sauf à en poursuivre les traducteurs ; mais il faut défendre tout écrit dangereux en langue vulgaire[1] ».

Les Encyclopédistes veulent si peu supprimer la censure qu’ils sont très flattés d’être choisis eux-mêmes comme censeurs par leur ami, le lieutenant de police, Sartine. Diderot accepte d’examiner à ce titre la comédie de Palissot, le Satirique, et voici ses conclusions : « Il ne m’appartient pas, monsieur, de vous donner des conseils ; mais si vous pouvez faire en sorte qu’il ne soit pas dit qu’on ait deux fois avec votre permission (la première fois, avec les Philosophes, de Palissot), insulté en public ceux de vos concitoyens qu’on honore dans toutes les parties de l’Europe, je crois que vous ferez sagement. Il ne faut pas que des polissons fassent une tache à la plus belle magistrature, ni que la postérité reverse sur vous une petite portion du blâme qui devrait résider tout entier sur eux. Pourquoi leur serait-il permis de vous associer à leurs forfaits[2] ? »

  1. Article Casuiste ; voir la suite de l’article. Et ailleurs : « Il n’y a peut-être aucune doctrine, aucun principe, aucune maxime, dont il convienne également d’autoriser en tout temps la publicité. » (Lettre sur le commerce de la Librairie.)
  2. Diderot, XX, 13.