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nale avec la côte orientale. Tous les auteurs grecs & latins en parlent comme d’un cap où la mer est fort orageuse ; c’est ce qui fait dire à Malherbe :

Il faut dans la plaine salée
Avoir lutté contre Malée,
Et près du naufrage dernier,
S’être vû dessous les Pleyades
Eloigné des ports & des rades,
Pour être cru bon marinier.

Son nom moderne est Cabo Malio, & quelquefois par les matelots françois, les aîles de S. Michel : le golfe de Malée, Maleus sinus, étoit sans doute près du cap Malée. (D. J.)

MALÉDICTION, (Gram.) imprécation qu’on prononce contre quelque objet mal-faisant. Un pere irrité maudit son enfant ; un homme violent maudit la pierre qui l’a blessé ; le peuple maudit le souverain qui le vexe ; le philosophe qui admet la nécessité dans les évenemens, s’y soumet & ne maudit personne ; Dieu a maudit le méchant de toute éternité. On croit que la malédiction assise sur un être est une espece de caractere ; un ouvrier croit que la matiere qui ne se prête pas à ses vûes est maudite ; un joueur que l’argent qui ne lui profite pas est maudit ; ce penchant à rapporter à des causes inconnues & surnaturelles les effets dont la raison nous échappe, est la source premiere des préjugés les plus généraux.

Malédiction, (Jurisprudence.) ce terme signifie les imprécations qu’on inséroit autrefois, & qu’on insere encore en quelques endroits dans les actes de donation en faveur des églises ou des maisons religieuses, contre quiconque en empêche l’effet : cet usage de faire des imprécations n’est point du style de nos notaires de France.

MALÉFICE, s. m. (Divinat.) sorte de magie ou sorcellerie. Voyez Magie & Sorcellerie.

Ce qu’on appelle maléfice ou fascination n’est pas sans fondement. Il y a sur cette matiere une infinité d’exemples & d’histoires qu’on ne doit pas rejetter précisément, parce qu’elles ne s’accordent pas avec notre philosophie ; il semble même qu’on pourroit trouver dans la Philosophie de quoi les appuyer. Voyez Fascination.

Tous les êtres vivans que nous connoissons, envoient des écoulemens, soit par la respiration, soit par les pores de la peau. Ainsi tous les corps qui se trouvent dans la sphere de ces écoulemens, peuvent en être affectés, & cela d’une maniere ou d’une autre suivant la qualité de la matiere qui s’exhale, & à tel ou tel degré suivant la disposition des parties qui envoient les écoulemens, & de celles qui les reçoivent. Voyez Écoulement.

Cela est incontestable ; & il n’est pas besoin pour le prouver, d’alleguer ici des exemples d’animaux qui exhalent de bonnes ou de mauvaises odeurs, ou des exemples de maladies contagieuses communiquées par ces sortes d’écoulemens, &c. Or de toutes les parties d’un corps animal, l’œil paroît être celle qui a le plus de vivacité. Il se meut en effet avec la plus grande légereté & en toutes sortes de directions. D’ailleurs ses membranes & ses humeurs sont aussi perméables qu’aucune autre partie du corps, témoin les rayons du soleil qu’il reçoit en si grande abondance. Ainsi il ne faut pas douter que l’œil n’envoie des écoulemens de même que les autres parties. Les humeurs subtilisées de cet organe doivent s’en exhaler continuellement ; la chaleur des rayons qui les pénetrent, les atténue & les rarefie ; ce qui étant joint au liquide subtil ou aux esprits du nerf optique voisin, que la proximité du cerveau fournit abondamment, doit faire un fonds de matiere volatile que l’œil distribuera, & pour ainsi dire déterminera. Nous avons

donc ici le trait à la main pour le lancer ; ce trait a toute la force & la violence, & la main toute la vîtesse & l’activité nécessaires : il n’est donc pas étonnant si leurs effets sont promts & grands.

Concevons l’œil comme une fronde capable des mouvemens & des vibrations les plus promtes & les plus rapides, & outre cela comme ayant communication avec la source d’une matiere telle que le suc nerveux qui se travaille dans le cerveau ; matiere si subtile & si pénétrante, qu’on croit qu’elle coule en un instant à-travers les filets solides des nerfs, & en même tems si active & si puissante, qu’elle distend spasmodiquement les nerfs, fait tordre les membres, & altere toute l’habitude du corps, en donnant du mouvement & de l’action à une masse de matiere naturellement lourde & sans activité.

Un trait de cette espece lancé par une machine telle que l’œil, doit avoir son effet par-tout où il frappe ; & l’effet sera plus ou moins grand suivant la distance, l’impétuosité de l’œil, la qualité, la subtilité, l’acrimonie des sens, la délicatesse ou la grossiereté de l’objet qui est frappé.

Par cette théorie on peut, à mon avis, rendre raison de quelques-uns des phénomenes du maléfice, & particulierement de celui qu’on nomme fascination. Il est certain que l’œil a toujours été regardé comme le siége principal ou plutôt l’organe du maléfice, quoique la plupart de ceux qui en ont écrit ou parlé, ne sussent pas pourquoi. On attribuoit le maléfice à l’œil, mais on n’imaginoit pas comment il opéroit cet effet. Ainsi selon quelques-uns, avoir mauvais œil, est la même chose qu’être adonné aux maléfices : de-là cette expression d’un berger dans Virgile :

Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.

De plus, les personnes âgées & bilieuses sont celles que l’on croit ordinairement avoir la vertu du maléfice, parce que le suc nerveux est dépravé dans ces personnes par le vice des humeurs qui en l’irritant, le rendent plus pénétrant & d’une nature maligne. C’est pourquoi les jeunes gens & sur-tout les enfans en sont plutôt affectés, par la raison que leurs pores sont plus ouverts, leurs sucs sans cohérence, leurs fibres délicates & très-sensibles : aussi le maléfice dont parle Virgile n’a d’effet que sur les tendres agneaux.

Enfin le maléfice ne s’envoie que par une personne fâchée, provoquée, irritée, &c. car il faut un effort extraordinaire & une vive émotion d’esprit pour lancer une suffisante quantité d’écoulemens, avec une impétuosité capable de produire son effet à une certaine distance. C’est une chose incontestable que les yeux ont un pouvoir extraordinaire. Les anciens Naturalistes assurent que le basilic & l’opoblepa tuent les autres animaux par leur seul regard. On en croira ce qu’on voudra ; mais un auteur moderne assure avoir vu une souris qui tournoit autour d’un gros crapaud lequel étoit occupé à la regarder attentivement la gueule béante ; la souris faisoit toujours des cercles de plus petits en plus petits autour du crapaud, & crioit pendant ce tems-là comme si elle eût été poussée de force à s’approcher de plus en plus du côté du reptile. Enfin nonobstant la grande résistance qu’elle paroissoit faire, elle entra dans la gueule béante du crapaud & fut aussitôt avalée. Telle est encore l’action de la couleuvre à l’égard du crapaud qu’elle attend la gueule béante, & le crapaud va de lui-même s’y précipiter. On peut rapporter à la même cause ce que raconte un physicien. Il avoit mis sous un récipient un gros crapaud, pour voir combien il y vivroit sans aucune nourriture, & il l’observoit tous les jours : un jour entr’autres, qu’il avoit les