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le salut de l’humanité ; Simon en a trouvé un qui le présente comme un suppôt de satan, sincerement converti, & qui vouloit par l’acquisition d’un pouvoir divin, rompre un pacte qu’il avoit avec le diable, & s’attacher à détruire autant son empire qu’il avoit travaillé à l’établir par ses sortiléges ; mais S. Pierre n’a pas fourni les matériaux de cette apologie ; & le négoce du magicien Simon est si fort décrié dans l’église, qu’il faudroit une éloquence plus que magique pour rétablir aujourd’hui sa réputation des plus délabrée ; l’auteur des actes des Apôtres ne s’explique point sur les choses curieuses que renfermoient les livres que brûlerent dévotement les Ephésiens, nouveaux convertis à la foi chrétienne, il se contente de dire que le prix de ces livres supputés fut trouvé monter à cinquante mille pieces d’argent ; si ces choses curieuses étoient de la magie, comme il y a tout lieu de le croire, assurément les adorateurs de la grande Diane étoient de très-petits philosophes, qui avoient de l’argent de reste & payoient cherement de mauvaises drogues.

Je reviens aux magiciens de Pharaon : on agite une grande question au sujet des miracles qu’ils ont opérés & que rapporte Moise ; bien des interpretes veulent que ces prestiges n’ayent été qu’apparens, qu’ils sont dûs uniquement à leur industrie, à la souplesse de leurs doigts ; ensorte que s’ils en imposerent à leurs spectateurs, cela ne vint que de la précipitation du jugement de ceux ci, & non de l’évidence du miracle, à laquelle seule ils auroient dû donner leur consentement.

D’autres veulent que ces miracles ayent été bien réels, & les attribuent aux secrets de l’art magique & à l’action du démon ; lequel de ces deux partis est le plus conforme à la raison & à l’analogie de la foi, c’est ce qu’il est également difficile & dangereux de décider, & il faudroit être bien hardi pour s’ériger en juge dans un procès si célebre.

L’illusion des tours de passe-passe, l’habilité des joueurs de gobelets, tout ce que la méchanique peut avoir de plus étonnant & de plus propre à surprendre, & à faire tomber dans l’erreur ; les admirables secrets de la chimie, les prodiges sans nombre qu’ont opéré l’étude de la nature, & les belles expériences qui l’ont dévoilée jusques dans les plus secrettes opérations, tout cela nous est connu aujourd’hui jusqu’à un certain point ; mais il faut en convenir, nous ne connoissons que peu ou point du tout le démon, & les puissances infernales qui dépendent de lui ; il semble même que grace au goût de la Philosophie, qui gagne & prend insensiblement le dessus, l’empire du démon va tous les jours en déclinant.

Quoi qu’il en soit, Moïse nous dit que les magiciens de Pharaon ont opéré des miracles, vrais ou faux, & que lui-même soutenu du pouvoir divin, en a fait de beaucoup plus considérables, & a griévement affligé l’Egypte, parce que le cœur de son roi étoit endurci ; nous devons le croire religieusement, & nous applaudir de n’en avoir pas été les spectateurs.

Nous renvoyons ce qu’il nous reste à dire sur cette matiere à l’article Magie.

MAGIE, science ou art occulte qui apprend à faire des choses qui paroissent au-dessus du pouvoir humain.

La magie, considérée comme la science des premiers mages, ne fut autre chose que l’étude de la sagesse : pour lors elle se prenoit en bonne part, mais il est rare que l’homme se renferme dans les bornes du vrai, il est trop simple pour lui. Il est presqu’impossible qu’un petit nombre de gens instruits, dans un siecle & dans un pays en proie à une crasse ignorance, ne succombent bien-tôt à la tentation de passer pour extraordinaires & plus

qu’humains : ainsi les mages de Chaldée & de tout l’orient, ou plutôt leurs disciples (car c’est de ceux-ci que vient d’ordinaire la dépravation dans les idées), les mages, dis-je, s’attacherent à l’astrologie, aux divinations, aux enchantemens, aux maléfices ; & bientôt le terme de magie devint odieux, & ne servit plus dans la suite qu’à désigner une science également illusoire & méprisable : fille de l’ignorance & de l’orgueil, cette science a dû être des plus anciennes ; il seroit difficile de déterminer le tems de son origine, ayant pour objet d’alleger les peines de l’humanité, elle a pris naissance avec nos miseres. Comme c’est une science ténébreuse, elle est sur son trône dans les pays où regnent la barbarie & la grossiereté. Les Lapons, & en général les peuples sauvages cultivent la magie, & en font grand cas.

Pour faire un traité complet de magie, à la considérer dans le sens le plus étendu, c’est-à-dire dans tout ce qu’elle peut avoir de bon & de mauvais, on devroit la distinguer en magie divine, magie naturelle & magie surnaturelle.

1°. La magie divine n’est autre chose que cette connoissance particuliere des plans, des vûes de la souveraine sagesse, que Dieu dans sa grace revele aux saints hommes animés de son esprit, ce pouvoir surnaturel qu’il leur accorde de prédire l’avenir, de faire des miracles, & de lire, pour ainsi dire, dans le cœur de ceux à qui ils ont à faire. Il fut de tels dons, nous devons le croire ; si même la Philosophie ne s’en fait aucune idée juste, éclairée par la foi, elle les revere dans le silence. Mais en est-il encore ? je ne sai, & je croi qu’il est permis d’en douter. Il ne dépend pas de nous d’acquérir cette desirable magie ; elle ne vient ni du courant ni du voulant ; c’est un don de Dieu.

2°. Par la magie naturelle, on entend l’étude un peu approfondie de la nature, les admirables secrets qu’on y découvre ; les avantages inestimables que cette étude a apportés à l’humanité dans presque tous les arts & toutes les sciences ; Physique, Astronomie, Médecine, Agriculture, Navigation, Méchanique, je dirai même Éloquence ; car c’est à la connoissance de la nature & de l’esprit humain en particulier & des ressorts qui le remuent, que les grands maîtres sont redevables de l’impression qu’ils font sur leurs auditeurs, des passions qu’ils excitent chez eux, des larmes qu’ils leur arrachent, &c. &c. &c.

Cette magie très-louable en elle-même, fut poussée assez loin dans l’antiquité : il paroît même par le feu grégeois, & quelques autres découvertes dont les auteurs nous parlent, qu’à divers égards les anciens nous ont surpassés dans cette espece de magie ; mais les invasions des peuples du Nord lui firent éprouver les plus funestes révolutions, & la replongerent dans cet affreux cahos dont les sciences & les beaux arts avoient eu tant de peine à sortir dans notre Europe.

Ainsi, bien des siecles après la sphere de verre d’Archimede, la colombe de bois volante d’Architras, les oiseaux d’or de l’empereur Léon qui chantoient, les oiseaux d’airain de Boëce qui chantoient & qui voloient, les serpens de même matiere qui siffloient, &c. il fut un pays en Europe (mais ce n’étoit ni le siecle ni la patrie de Vaucanson) il fut, dis-je, un pays dans lequel on fut sur le point de bruler Brioché & ses marionnettes. Un cavalier françois qui promenoit & faisoit voir dans les foires une jument qu’il avoit eu l’habileté de dresser à répondre exactement à ses signes, comme nous en avons tant vûs dans la suite, eut la douleur en Espagne de voir mettre à l’inquisition un animal qui faisoit toute sa ressource, & eut assez de peine à se tirer