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Ascagne, par laquelle mon pere avoit coutume de jurer.

Per caput hoc juro, per quod pater ante solebat.

Dans la célebre ambassade que les Troïens envoient au roi Latinus, Ilionée qui porte la parole, emploie ce noble & grand serment : j’en jure par les destins d’Enée, & par sa droite aussi fidele dans les traités, que redoutable dans les combats.

Fata per Æneæ juro, dextramque potentem
Sive fide, seu quis bello est expertus, & armis.

Æneid. VII. v. 234.

On ne doit pas être surpris que les amans préférassent à tout autre usage celui de jurer par les charmes, par les beaux y eux de leurs maitresses : c’étoient-là des sermens dictés naturellement par l’amour, attestor oculos, sydera nostra, tuos : je me souviens, dit Ovide, que cette ingrate me juroit fidélité par ses yeux, par les miens ; & les miens eurent un pressentiment de la perfidie qu’elle me préparoit.

Perque suos nuper jurasse recordor,
Perque meos oculos, & doluere mei.

Amor. lib. III. Eleg. 3.

Mais on est indigné de voir les Romains jurer par le génie, par le salut, par la fortune, par la majesté, par l’éternité de l’empereur.

Il semble que les dieux n’auroient jamais dû employer de juremens ; cependant la fable a voulu leur donner une garantie étrangere, pour justifier aux hommes la sainteté de la parole. Ainsi la Mythologie déclare, que les divinités de l’Olympe juroient elles-mêmes par le Styx, ce fleuve que nous concevons sous l’idée d’un dieu, & que les Grecs concevoient sous l’idée d’une déesse. Hésiode conte fort au long, tout ce qui regarde cette divinité redoutable.

Dii cujus jurare timent, & fallere numen.

Elle étoit, dit-il, fille de l’Océan, & épousa le dieu Pallas. De ce mariage naquirent un fils & trois filles, le Zele, la Victoire, la Force, & la Puissance. Tous quatre prirent les intérêts de Jupiter dans la guerre qu’il eut à soutenir contre les Titans : le maître du monde pour marquer sa reconnoissance, ordonna qu’à l’avenir tous les dieux jureroient par le Styx, & en même tems il établit des peines séveres contre quiconque d’entre les dieux oseroit se parjurer. Il devoit subir une pénitence de neuf années célestes, garder le lit la premiere année, c’est-à-dire demeurer tout ce tems-là sans voix & sans respiration, être ensuite chassé du ciel, exclus du conseil & des repas des dieux, mener cette triste vie pendant huit ans, & ne pouvoir reprendre sa place qu’à la dixieme année.

C’est par ces fictions qu’on tâchoit de rappeller l’homme à lui-même, & le contenir dans le devoir. Les sages disoient simplement que la déesse Fidélité étoit respectable à Jupiter même. Voyez Styx, Fidélité, Fidius, & Serment. (D. J.)

Jurement, (Théologie.) Dieu défend le faux serment, & les sermens inutiles ; mais il veut que quand la nécessité & l’importance de la matiere demandent que l’on jure, on le fasse en son nom, & non pas au nom des dieux étrangers, ou au nom des choses inanimées & terrestres, ou même par le ciel & par les astres, ou par la vie de quelque homme que ce soit. Notre Sauveur qui étoit venu, non pour détruire la Loi, mais pour la perfectionner, défend aussi les juremens ; & les premiers chrétiens observoient cela à la lettre, comme on le voit dans Tertullien, dans Eusebe, dans saint Chrisostome, dans saint Basile, dans saint Jérome, &c. Mais ni J. C. ni les Apôtres, ni les Peres, universellement n’ont pas condamné le jurement, ni même les ser-

mens pour toutes occasions & pour toutes sortes de

sujets. Il est des circonstances où l’on ne peut moralement s’en dispenser ; mais il ne faut jamais jurer sans une très grande nécessité ou utilité. Nous devons vivre avec tant de bonne-foi & de droiture, que notre parole vaille un serment, & ne jurer jamais que selon la justice & la vérité. Voyez saint Augustin, ép. 157. n. 40. & les Commentateurs sur saint Matthieu, v. 33. 34. Calmet, Dictionnaire de la Bible.

Jurement, (Jurisprud.) se prend quelquefois pour serment ou affirmation que l’on fait d’une chose en justice. Voyez Affirmation & Serment.

Mais le terme de jurement, se prend plus souvent pour certains termes d’emportement & d’exécration que l’on prononce dans la colere & dans les passions. Saint Louis fit des réglemens séveres contre les juremens & les blasphèmes ; les ordonnances postérieures ont aussi établi des peines contre ceux qui proferent des juremens en vain. L article 86. de l’ordonnance de Moulins défend tous blasphêmes & juremens du nom de Dieu, sous peine d’amende & même de punition corporelle, s’il y échet. Voyez Blasphême. (A)

JUREUR, s. m. jurator, (Droit des Barbares.) on nommoit ainsi celui qui parmi les Francs, se purgeoit par serment d’une accusation ou d’une demande faite contre lui.

Il faut savoir que la loi des Francs ripuaires, différente de la loi salique, se contentoit pour la décision des affaires, des seules preuves négatives. Ainsi, celui contre qui on formoit une demande ou une accusation, pouvoit dans la plûpart des cas, se justifier en jurant avec un certain nombre de témoins qu’il n’avoit point fait ce qu’on lui imputoit ; & par ce moyen il étoit absous de l’accusation.

Le nombre des témoins qui devoient jurer, augmentoit selon l’importance de la chose ; il alloit quelquefois à soixante & douze, & on les appelloit jureurs, juratores.

La loi des Allemands porte que jusqu’à la demande de six sols, on s’en purgera par son serment, & celui de deux jureurs réunis. La loi des Frisons exigeoit sept jureurs pour établir son innocence dans le cas d’accusation d’homicide. On voit par notre ancienne histoire que l’on requéroit dans quelques occasions, outre le serment de la personne, celui de dix ou de douze jureurs, pour pouvoir obtenir sa décharge ; ce qu’on exprimoit par ces mots, cum sextâ, septimâ, octavâ, decimâ, &c. manu, jurare.

Mais personne n’a su tirer un parti plus heureux de la loi des jureurs que Frédégonde. Après la mort de Chilpéric, les grands du royaume & le reste de la nation, ne vouloient point reconnoître Clotaire âgé de 4 mois pour légitime héritier de la couronne ; la conduite peu réguliere de la mere faisoit douter que son fils ne fût point du sang de Clovis. Je crains bien, disoit Gontran son propre oncle, que mon neveu ne soit le fils de quelque seigneur de la cour ; c’étoit même bien honnête à lui de ne pas craindre quelque chose de pis : cependant trois cens personnes considérables de la nation ayant été promptement gagnées par la reine, vinrent jurer avec elle, que Clotaire étoit véritablement fils de Chilpéric. A l’ouie de ce serment, & à la vûe d’un si grand nombre de jureurs, les craintes & les scrupules s’évanouirent ; Clotaire fut reconnu de tout le monde, & de plus fut surnommé dans la suite Clotaire le Grand, titre qu’il ne méritoit à aucun égard. (D. J.)

JURIDIQUE, adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est régulier & conforme au droit d’un jugement qui n’est pas juridique, & de celui qui est contraire aux regles du droit ou de l’équité.

On dit aussi d’une procédure qu’elle n’est pas ju-