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clat ; que la Poésie étaloit tous ses charmes ; que l’Histoire se faisoit lire avec avidité dans ses sources, & dans des traductions élégantes ; que l’antiquité sembloit nous dévoiler ses trésors ; qu’un examen judicieux portoit par-tout le flambeau de la critique : la Philosophie réformoit les idées, la Physique s’ouvroit de nouvelles routes pleines de lumieres, les Mathématiques s’élevoient à la perfection ; enfin les lettres & les sciences s’enrichissoient mutuellement par l’intimité de leur commerce.

Ces exemples des siecles brillans prouvent que les sciences ne sauroient subsister dans un pays que les lettres n’y soient cultivées. Sans elles une nation seroit hors d’état de goûter les sciences, & de travailler à les acquérir. Aucun particulier ne peut profiter des lumieres des autres, & s’entretenir avec les Ecrivains de tous les pays & de tous les tems, s’il n’est savant dans les lettres par lui-même, ou du moins, si des gens de lettres ne lui servent d’interprete. Faute d’un tel secours, le voile qui cache les sciences, devient impénétrable.

Disons encore que les principes des sciences seroient trop rebutans, si les lettres ne leur prétoient des charmes. Elles embellissent tous les sujets qu’elles touchent : les vérités dans leurs mains deviennent plus sensibles par les tours ingénieux, par les images riantes, & par les fictions même sous lesquelles elles les offrent à l’esprit. Elles répandent des fleurs sur les matieres les plus abstraites, & savent les rendre intéressantes. Personne n’ignore avec quels succès les sages de la Grece & de Rome employerent les ornemens de l’éloquence dans leurs écrits philosophiques.

Les scholastiques, au lieu de marcher sur les traces de ces grands maîtres, n’ont conduit personne à la science de la sagesse, ou à la connoissance de la nature. Leurs ouvrages sont un jargon également inintelligible, & méprisé de tout le monde.

Mais si les lettres servent de clé aux sciences, les sciences de leur côté concourent à la perfection des lettres. Elles ne feroient que bégayer dans une nation où les connoissances sublimes n’auroient aucun accès. Pour les rendre florissantes, il faut que l’esprit philosophique, & par conséquent les sciences qui le produisent, se rencontre dans l’homme de lettres, ou du moins dans le corps de la nation. Voyez Gens de Lettres.

La Grammaire, l’Eloquence, la Poésie, l’Histoire, la Critique, en un mot, toutes les parties de la Littérature seroient extrèmement défectueuses, si les sciences ne les reformoient & ne les perfectionnoient : elles sont sur-tout nécessaires aux ouvrages didactiques en matiere de rhétorique, de poétique & d’histoire. Pour y réussir, il faut être philosophe autant qu’Homme de lettres. Aussi, dans l’ancienne Grece, l’érudition polie & le profond savoir faisoient le partage des génies du premier ordre. Empédocle, Epicharme, Parménide, Archelaüs sont célebres parmi les Poëtes, comme parmi les Philosophes. Socrate cultivoit également la philosophie, l’éloquence & la poésie. Xénophon son disciple sut allier dans sa personne l’orateur, l’historien & le savant, avec l’homme d’état, l’homme de guerre & l’homme du monde. Au seul nom de Platon, toute l’élévation des sciences & toute l’aménité des lettres se présente à l’esprit. Aristote, ce génie universel, porta la lumiere & dans tous les genres de littérature, & dans toutes les parties des sciences. Pline, Lucien, & les autres écrivains font l’éloge d’Eratosthene, & en parlent comme d’un homme qui avoit réuni avec le plus de gloire, les lettres & les sciences.

Lucrece, parmi les Romains, employa les muses latines à chanter les matieres philosophiques. Var-

ron, le plus savant de son pays, partageoit son loisir

entre la Philosophie, l’Histoire, l’étude des antiquités, les recherches de la Grammaire & les délassemens de la Poésie. Brutus étoit philosophe, orateur, & possédoit à fond la jurisprudence. Cicéron, qui porta jusqu’au prodige l’union de l’Eloquence & de la Philosophie, déclaroit lui-même que s’il avoit un rang parmi les orateurs de son siecle, il en étoit plus redevable aux promenades de l’académie, qu’aux écoles des rhéteurs. Tant il est vrai, que la multitude des talens est nécessaire pour la perfection de chaque talent particulier, & que les lettres & les sciences ne peuvent souffrir de divorce.

Enfin si l’homme attaché aux sciences & l’homme de lettres ont des liaisons intimes par des intérêts communs & des besoins mutuels, ils se conviennent encore par la ressemblance de leurs occupations, par la supériorité des lumieres, par la noblesse des vûes, & par leur genre de vie, honnête, tranquille & retiré.

J’ose donc dire sans préjugé en faveur des lettres & des sciences, que ce sont elles qui font fleurir une nation, & qui répandent dans le cœur des hommes les regles de la droite raison, & les semences de douceur, de vertu & d’humanité si nécessaires au bonheur de la société.

Je conclus avec Raoul de Presles, dans son vieux langage du xiv. siecle, que « Ociosité, sans lettres & sans science, est sépulture d’homme vif ». Cependant le goût des lettres, je suis bien éloigné de dire la passion des lettres, tombe tous les jours davantage dans ce pays, & c’est un malheur dont nous tâcherons de dévoiler les causes au mot Littérature.

Lettre, Epitre, Missive, (Littérat.) les lettres des Grecs & des Romains avoient, comme les nôtres, leurs formules : voici celles que les Grecs mettoient au commencement de leurs missives.

Philippe, roi de Macédoine, à tout magistrat, salut, & pour indiquer le terme grec, χαίρειν. Les mots χαίρειν, εὐπράττειν, ὑγιαίνειν, dont ils se servoient, & qui signifioient joie, prospérité, santé, étoient des especes de formules affectées au style épistolaire, & particulierement à la décoration du frontispice de chaque lettre.

Ces sortes de formules ne signifioient pas plus en elles-mêmes, que signifient celles de nos lettres modernes ; c’étoient de vains complimens d’étiquettes. Lorsqu’on écrivoit à quelqu’un, on lui souhaitoit au moins en apparence la santé par ὑγιαίνειν, la prospérité par εὐπράττειν, la joie & la satisfaction par χαίρειν.

Comme on mettoit à la tête des lettres, χαίρειν, εὐπράττειν, ὑγιαίνειν, on mettoit à la fin, ἔῤῥωσο, εὐτυχεῖ ; & quand on adressoit sa lettre à plusieurs, ἔῤῥωσθε, εὐτυχεῖτε, portez-vous bien, soyez heureux, ce qui équivaloit (mais plus sensément) à notre formule, votre très-humble serviteur.

S’il s’agissoit de donner des exemples de leurs lettres, je vous citerois d’abord celle de Philippe à Aristote, au sujet de la naissance d’Alexandre.

« Vous savez que j’ai un fils ; je rends graces aux dieux, non pas tant de me l’avoir donné, que de me l’avoir donné du vivant d’Aristote. J’ai lieu de me promettre que vous formerez en lui un successeur digne de nous, & un roi digne de la Macédoine ». Aristote ne remplit pas mal les espérances de Philippe. Voici la lettre que son éleve devenu maître du monde, lui écrivit sur les débris du trône de Cyrus.

« J’apprends que tu publies tes écrits acromatiques. Quelle supériorité me reste-t-il maintenant sur les autres hommes ? Les hautes sciences que tu m’a enseignées, vont devenir communes ; & tu