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veines se distendent, il s’y forme des varices depuis le genou jusqu’à l’extrémité des orteils, la peau devient dure, inégale, raboteuse, se couvre d’écailles qui ne se dessechent point, mais qui s’augmentent de façon à grossir prodigieusement la jambe ; dans cet état toutes les fonctions se font à l’ordinaire comme en santé, & le malade est propre à tous les ouvrages qui ne demandent point d’exercice. Quels que soient les rapports de cette maladie avec la lepre, il est certain qu’elle en differe essentiellement, de même que quelques maladies cutanées dont on voit de tems en tems des exemples, & qui n’ont que quelque ressemblance extérieure avec la lepre sans en avoir la contagion, le caractere distinctif & spécial. Le tems auquel on a cessé d’observer la lepre, est à peu près l’époque de la premiere invasion de la vérole dans notre monde. Il y a, comme on voit, une espece de compensation, de façon que nous gagnons d’un côté ce que nous perdons de l’autre. On pourroit assurer qu’il y a à peu près toujours la même somme de maladie, lorsque quelqu’une cesse de paroître, nous lui en voyons ordinairement succéder une autre qu’on croit inobservée par les anciens : souvent ce n’est qu’un changement de forme ; cette vicissitude & cette succession de maladies a trop peu frappé les médecins observateurs. Les Arabes sont presque les derniers auteurs qui en parlent comme témoins oculaires, & d’après leur propre observation. Les symptomes par lesquels la vérole se manifesta dans les commencemens, avoit beaucoup de rapport à ceux de la lepre. Voyez Vérole. Et c’est sur ce fondement que pluseurs auteurs ont établi L’antiquité de la vérole, prétendant qu’elle n’étoit autre chose que la lepre des anciens : d’autres tombant aussi vraissemblablement dans l’excès, ont pris le parti absolument contraire, & ont soutenu que la lepre & la vérole étoient deux maladies totalement différentes ; il y a tout lieu de penser que les uns & les autres ont trop généralisé leurs prétentions : les premiers n’ont pas assez pesé les différences qu’il y a dans les symptomes, les causes, la curation & la maniere dont la contagion se propage ; les seconds ont trop appuyé sur ces différences & sur d’autres encore plus frivoles ; ils n’ont pas fait attention que la lepre se communique de même que la vérole par le coït, qu’elle n’affecte point les ages qui n’y sont pas propres ; que lorsqu’elle se communique par cette voie, il survient aux parties génitales des accidens particuliers, tels que flux involontaire de semence, ardeur d’urine, pustules, ulceres à la verge, &c. comme Jean Gadderden & Avicenne l’ont exactement remarqué. On pourroit aussi leur faire observer que les maladies de cette espece qui ont une cause particuliere, spécifique, ne paroîtront pas toujours avec les mêmes symptomes ; qu’après qu’elles ont duré un certain tems, elles sont plus douces, plus modérées ; elles semblent affoiblies & comme usées par la propagation. On pourroit presque comparer ce qui arrive à ces maladies à ce qu’on observe sur un fil d’argent qu’on dore ; à mesure qu’on étend ce fil, on l’émincit & on diminue à proportion la quantité d’or qui se trouve dans chaque partie ; d’ailleurs il peut arriver dans ce virus diverses combinaisons ; il est susceptible de modification, de changement, &c. & ce ne seroit surement pas une opinion dénuée de vraissemblance, que de présumer que le virus vérolique n’est qu’une combinaison particuliere du virus lépreux, & que la vérole n’est qu’une lepre dégenérée, altérée, &c. Voyez Vérole.

La lepre est une maladie particuliere de l’espece de celles qui sont entretenues par un vice spécial du sang ou de quelqu’humeur qu’on appelle virus ; elle ne dépend point, ou que très-peu, de l’action des causes ordinaires. Les anciens avoient fait consister

le virus dans une surabondance particuliere d’humeur mélancholique ou de bile noire, différente de celle qui excitoit l’hyppocondriacité, la maladie noire, les fievres quartes, &c. pour nous nous ignorons absolument sa nature, sa maniere d’agir ; le méchanisme de l’éruption, qui en est la suite, n’est pas différent de celui des autres maladies éruptives. Voyez au mot petite Vérole, Gale, &c. Tout ce que nous savons de certain, c’est que la lepre est une maladie contagieuse, & que les miasmes qui propagent la contagion, ne sont pas aussi fixes que ceux de la vérole. Avicenne prétend qu’ils sont assez volatils pour infecter l’air, & qu’ainsi la lepre se communique par la simple fréquentation ou voisinage des personnes infectées ; cette idée étoit universellement reçue, puisqu’on étoit obligé de séparer de la société & de renfermer ceux qui en étoient attaqués ; Moise fit des lois pour ordonner cette séparation, & régler la maniere dont elle devoit se faire, & nous lisons dans les livres sacrés, que sa sœur étant attaquée de cette maladie, fut mise hors du camp pour prévenir les suites funestes de la contagion ; on a bâti dans plusieurs pays des hôpitaux, appellés de S. Lazare, dont la fondation étoit de donner à ces malheureux des secours qui leur étoient refusés par des parens ou domestiques justement allarmés pour leur propre santé. Cette maladie ou la disposition à cette maladie se transmet héréditairement des parens aux enfans ; elle se communique par le coït, & par le simple coucher ; Scultetus raconte que plusieurs personnes ont contracté cette maladie pour avoir mangé de la chair de lépreux. Le même auteur assure que l’usage de la chair humaine même saine, produit le même effet. Porta. mam. chirurg. observ. 100. L’on craignoit aussi beaucoup autrefois, pour la même raison, la viande de cochon, & l’usage immodéré du poisson ; & c’est dans le dessein de prévenir les ravages que fait cette affreuse maladie, que le prudent législateur des Juifs leur défendit ces mets. Ces lois s’exécutent, sur tout à l’égard du cochon, encore aujourd’hui très-rigoureusement chez les malheureux restes de cette nation. Quelques auteurs assurent que des excès fréquens en liqueurs ardentes, aromatiques, en vins sur-tout aigres, en viandes épicées, endurcies par le sel & la fumée, sur tout dans les pays chauds, disposoient beaucoup à cette maladie ; c’est à un pareil régime que Willis attribue la lepre commune aux Cornouailliens ; mais ces causes ne sont pas constatées, & même si l’on veut parcourir les nations chez lesquelles la lepre étoit comme endémique, il sera facile d’y observer que ce genre de vie, qu’on regarde comme cause de la lepre, n’y étoit point suivi, ou moins que chez d’autres peuples qui en étoient exempts ; il y en a qui ont avancé que le coït avec une femme dans le tems qu’elle a ses régles, étoit une des causes les plus ordinaires de la lepre ; il n’est personne qui ne sente le ridicule & le faux de cette assertion. On a aussi quelquefois, comme il arrive dans les choses fort obscures, eu recours pour trouver les causes de cette maladie, aux conjonctions particulieres des astres, & à la vengeance immédiate des dieux, à l’ignorance : la superstition, ou même la politique peuvent faire recourir à de semblables causes.

Dans les tems & les pays où la lepre étoit très commune, il n’étoit pas possible de s’y méprendre, l’habitude suffisoit pour la faire distinguer des autres maladies cutanées avec lesquelles elle pouvoit avoir quelque ressemblance ; si elle paroissoit de nos jours, quelqu’inaccoutumés que nous soyons à la voir, les descriptions détaillées que nous en avons, mais plus que tout un génie contagieux épidémique, pourroient aisément nous la faire reconnoître ; d’ailleurs il n’y au-