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surface ; on peut s’en assurer par la vue & le tact : cette croûte est quelquefois jaune & noire. Les modernes ont regardé cet état de la langue, qu’ils ont appellée chargée, comme un des principaux signes de pourriture dans les premieres voies, & comme une indication assurée de purger ; ils ont cru que l’estomac & les intestins étoient recouverts d’une croûte semblable. Cette idée n’est pas tout-à-fait sans fondement, elle est vraie jusqu’à un certain point ; mais elle est trop généralisée, car dans presque toutes les maladies inflammatoires, dans les fievres simples, ardentes, &c. on observe toujours la langue enduite d’une croûte blanche ou jaunâtre, sans que pour cela les premieres voies soient infectées, & qu’on soit oblige de purger. Dans les indigestions, dans de petites incommodités passageres, la langue se charge ; elle indique assez sûrement de concert avec les autres signes, le mauvais état de l’estomac ; mais encore dans ces circonstances il n’est pas toujours nécessaire de purger, un peu de diete dissipe souvent tous ces symptomes ; j’ai même souvent observe dans les maladies aiguës, la croûte de la langue diminuer & disparoître peu-à-peu pendant des excrétions critiques, autres que les selles, par l’expectoration, par exemple ; j’ai vu des cas où les purgatifs donnés sous cette fausse indication, augmentoient & faisoient rembrunir cette croûte ; enfin il arrive ordinairement dans les convalescences que cette croûte subsiste pendant quelques jours, ne s’effaçant qu’insensiblement ; on agiroit très-mal pour le malade, si on prétendoit l’emporter par les purgatifs.

« Si la langue est enduite d’une humeur semblable à de la salive blânche vers la ligne qui sépare la partie gauche de la droite, c’est un signe que la fievre diminue. Si cette humeur est épaisse, on peut espérer la remission le même jour, sinon le lendemain. Le troisieme jour, la croûte qu’on observe sur l’extrémité de la langue indique la même chose, mais moins sûrement ». Hippocrate, coac. præn. cap. vij. n°. 2. Le véritable sens de ce passage me paroît être celui-ci : lorsque la croûte qui enduisoit toute la langue s’est restreinte à la ligne du milieu ou à l’extrémité, c’est une marque que la maladie va cesser.

2o. La langue est couverte d’une croûte jaunâtre, bilieuse, & imprime aux alimens un goût amer dans la jaunisse, les fievres bilieuses & ardentes, dans quelques affections de poitrine ; si la langue est jaune ou bilieuse, remarque Hipocrate, dans ses coaques au commencement des pleurésies, la crise se fait au septieme jour.

3o. La noirceur de la langue est un symptome assez ordinaire aux fievres putrides, & sur-tout aux malignes pestilentielles ; la langue dans celles-ci noire & seche, ou brûlée adusta, est un très-mauvais signe ; il n’est cependant pas toujours mortel. Quelquefois il indique une crise pour le quatorzieme jour, Hipocrare, prænot. coac. cap. vij. n°. 1. Mais, cependant, ajoûte Hipocrate dans le même article, la langue noire est très-dangereuse : & plus bas il dit, dans quelques-uns la noirceur de la langue présage une mort prochaine. n°. 5.

4o. La pâleur, la rougeur & la lividité de la langue dépendent de la lésion qui est dans son tissu même & non de quelque humeur arrêtée à sa surface ; ces caracteres de la langue sont d’autant plus mauvais, qu’ils s’éloignent de l’état naturel. La pâleur est très pernicieuse, sur-tout si elle tire sur le verd, que quelques auteurs mal instruits ont traduit par jaune. 2o. Si la langue, dit toujours Hippocrate, qui a été au commencement seche, en gardant sa couleur naturelle, devient ensuite rude & livide, & qu’elle se fende, c’est un signe mortel. coac. prænot. cap. vij. Si dans une pleurésie il se forme dès le commence-

ment une bulle livide sur la langue, semblable à du

fer teint dans l’huile, la maladie se résout difficilement, la crise ne se fait que le quatorzieme jour, & ils crachent beaucoup de sang. Hipocrate, ibid. cap. xvj. n°. 6.

On a observé que la trop grande rougeur de la langue est quelquefois un mauvais signe dans l’angine inflammatoire & la péripneumonie ; cette malignité augmente & se confirme par d’autres signes. Hipocrate a vu cet état de la langue suivi de mort au cinquieme jour, dans une femme attaquée d’angine, (epidem. lib. III. sect. I), & au neuvieme jour dans le fils de Bilis (ibid. lib. vij. text. 19.). Cette rougeur est souvent accompagnée d’une augmentation considérable dans le volume de la langue ; plusieurs malades qui avoient ce symptome sont morts ; cette enflure de la langue accompagnée de sa noirceur est regardée comme un signe mortel. Tel fut le cas d’une jeune femme, dont Hippocrate donne l’histoire (epid. lib. V. text. 53.), qui mourut quatre jours après avoir pris un remede violent pour se faire avorter.

2o. Le mouvement de la langue est vitié dans les convulsions, tremblemens, paralysie, incontinence de cette partie : tous ces symptomes survenans dans les maladies aiguës, sont d’un mauvais augure ; la convulsion de la langue annonce l’aliénation d’esprit (coac. præn. cap. 11. n°. 24.). Lorsque le tremblement succede à la sechéresse de la langue, il est certainement mortel. On l’observe fréquemment dans les pleurésies qui doivent se terminer par la mort : Hippocrate semble douter s’il n’indique pas lui-même une aliénation d’esprit (ibid. cap. vij. n°. 5.). Dans quelques uns ce tremblement est suivi de quelques selles liquides. Lorsqu’il se rencontre avec une rougeur aux environs des narines sans signes (critiques) du côté du poumon, il est mauvais ; il annonce pour lors des purgations abondantes & pernicieuses (n°. 3.). Les paralysies de la langue qui surviennent dans les maladies aiguës, sont suivies d’extinction de voix : voyez Voix. Enfin les mouvemens de la langue peuvent être génés lorsqu’elle est seche, rude, âpre, aspera, lorsqu’elle est ulcérée, pleine de crevasses. La sécheresse de la langue est regardée comme un très mauvais signe, sur-tout dans l’esquinancie ; Hippocrate rapporte qu’une femme attaquée de cette maladie qui avoit la langue seche, mourut le septieme jour (epid. lib. III.). La soif est une suite ordinaire de cette sécheresse, & il est bon qu’on l’observe toujours ; car si la langue étoit seche sans qu’il y eût soif, ce seroit un signe assûré d’un délire présent ou très-prochain ; la rudesse, l’âpreté de la langue, n’est qu’un degré plus fort de sécheresse. Hippocrate surnomme phrénétiques les langues qui sont seches & rudes, faisant voir par-là que cet état de la langue est ordinaire dans la phrénésie (prorrhet. lib. I. sect. 1. n°. 3.). Il faut prendre garde de ne pas confondre la sécheresse occasionnée par bienfait immédiat de l’air, dans ceux qui dorment la bouche ouverte, avec celle qui est vraiment morbifique ; & d’ailleurs pour en déduire un prognostic fâcheux, il faut que les autres signes conspirent, car sans cela les malades avec une langue seche & ridée, échappent des maladies les plus dangereuses, comme il est arrivé à la fille de Larissa (epid. lib. I. sect. 7.). La langue qui est ulcérée, remplie de crevasses, est un symptome très-fâcheux, & très-ordinaire dans les fievres malignes. Prosper Alpin assure avoir vu fréquemment des malades guérir parfaitement malgré ce signe pernicieux. Rasis veut cependant que les malades qui ont une fievre violente, & la langue chargée de ces pustules, meurent au commencement du jour suivant. La langue ramollie sans raison & avec dégoût après une diarrhée, & avec une sueur froide, préjuge des vomissemens