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Les sages de l’Inde ont été appellés brachmanes de Brachme fondateur de la secte, & gymnosophistes, ou sages qui marchent nuds, de leur vêtement qui laissoit à découvert la plus grande partie de leur corps.

On les divise en deux sectes, l’une des brachmanes, & l’autre des samanéens ; quelques-uns font mention d’une troisieme sous le nom de Pramnes. Nous ne sommes pas assez instruits sur les caracteres particuliers qui les distinguoient ; nous savons seulement en général qu’ils fuyoient la société des hommes ; qu’ils habitoient le fond des bois & des cavernes ; qu’ils menoient la vie la plus austere, s’abstenant de vin & de la chair des animaux, se nourissant de fruits & de légumes, & couchant sur la terre nuë ou sur des peaux ; qu’ils étoient si fort attachés à ce genre de vie, que quelques-uns appellés auprès du grand roi, répondirent qu’il pouvoit venir lui-même s’il avoit quelque chose à apprendre d’eux ou à leur commander.

Ils souffroient avec une égale constance la chaleur & le froid ; ils craignoient le commerce des femmes ; si elles sont méchantes, disoient-ils, il faut les fuir parce qu’elles sont méchantes ; si elles sont bonnes, il faut encore les fuir de peur de s’y attacher. Il ne faut pas que celui qui fait son devoir du mépris de la douleur & du plaisir, de la mort & de la vie, s’expose à devenir l’esclave d’un autre.

Il leur étoit indifférent de vivre ou de mourir, & de mourir ou par le feu, ou par l’eau, ou par le fer. Ils s’assembloient jeunes & vieux autour d’une même table ; ils s’interrogeoient réciproquement sur l’emploi de la journée, & l’on jugeoit indigne de manger celui qui n’avoit rien dit, fait ou pensé de bien.

Ceux qui avoient des femmes les renvoyoient au bout de cinq ans, si elles étoient stériles ; ne les approchoient que deux fois l’année, & se croyoient quittes envers la nature, lorsqu’ils en avoient eu deux enfans, l’un pour elles, l’autre pour eux.

Buddas, Dandanis, Calanus & Iarcha, sont les plus célebres d’entre les Gymnosophistes dont l’histoire ancienne nous a conservé les noms.

Buddas fonda la secte des Hylobiens, les plus sauvages des Gymnosophistes.

Pour juger de Dandamis, il faut l’entendre parler à Alexandre par la bouche d’Onésicrite, que ce prince dont l’activité s’étendoit à tout, envoya chez les Gymnosophistes. « Dites à votre maître que je le loue du goût qu’il a pour la sagesse, au milieu des affaires dont un autre seroit accablé ; qu’il fuie la mollesse ; qu’il ne confonde pas la peine avec le travail, & puisque ses philosophes lui tiennent le même langage, qu’il les écoute. Pour vous & vos semblables, Onésicrite, je ne desapprouve vos sentimens & votre conduite qu’en une chose, c’est que vous préfériez la loi de l’homme à celle de la nature, & qu’avec toutes vos connoissances vous ignoriez que la meilleure demeure est celle où il y a le moins de soins à prendre ».

Calanus, à qui l’envoyé d’Alexandre s’adressa, lorsque ce prince s’avança dans les Indes, débuta avec cet envoyé par ces mots. « Dépose cet habit, ces souliers, assied-toi nud sur cette pierre, & puis nous converserons ». Cet homme d’abord si fier, se laissa persuader par Taxile de suivre Alexandre, & il en fut méprisé de toute la nation, qui lui reprocha d’avoir accepté un autre maître que Dieu. A juger de ses mœurs par sa mort, il ne paroît pas qu’elles se fussent amollies. Estimant honteux d’attendre la mort, comme c’étoit le préjugé de sa secte, il se fit dresser un bucher, & y monta en se félicitant de la liberté qu’il alloit se procurer. Alexandre touché de cet héroïsme institua en son honneur des combats équestres & d’autres jeux.

Tout ce qu’on nous raconte d’Iarcha est fabuleux.

Les Gymnosophistes reconnoissoient un Dieu fabricateur & administrateur du monde, mais corporel : il avoit ordonné tout ce qui est, & veilloit à tout.

Selon eux l’origine de l’ame étoit céleste ; elle étoit émanée de Dieu, & elle y retournoit. Dieu recevoit dans son sein les ames des bons qui y séjournoient éternellement. Les ames des méchans en étoient rejettées & envoyées à différens supplices.

Outre un premier Dieu, ils en adoroient encore de subalternes.

Leur morale consistoit à aimer les hommes, à se haïr eux-mêmes, à éviter le mal, à faire le bien, & à chanter des hymnes.

Ils faisoient peu de cas des sciences & de la philosophie naturelle. Iarcha répondit à Apollonius, qui l’interrogeoit sur le monde, qu’il étoit composé de cinq élémens, de terre, d’eau, de feu, d’air & d’éther. Que les dieux en étoient émanés ; que les êtres composés d’air étoient mortels & périssables, & que les êtres composés d’éther étoient immortels & divins ; que les élémens avoient tous existé en même tems ; que le monde étoit un grand animal engendrant le reste des animaux ; qu’il étoit de nature mâle & femelle, &c.

Quant à leur philosophie morale, tout y étoit grand & élevé. Il n’y avoit, selon eux, qu’un seul bien, c’est la sagesse. Pour faire le bien, il étoit inutile que la loi l’ordonnât. La mort & la vie étoient également méprisables. Cette vie n’étoit que le commencement de notre existence. Tout ce qui arrive à l’homme n’est ni bon ni mauvais. Il étoit vil de supporter la maladie, dont on pouvoit se guérir en un moment. Il ne falloit pas passer un jour sans avoir fait quelque bonne action. La vanité étoit la derniere chose que le sage déposoit, pour se présenter devant Dieu. L’homme portoit en lui-même une multitude d’ennemis. C’est par la défaite de ces ennemis qu’on se préparoit un accès favorable auprès de Dieu.

Quelle différence entre cette philosophie & celle qu’on professe aujourd’hui dans les Indes ! Elles sont infectées de la doctrine de Xekia, j’entends de sa doctrine esotérique ; car les principes de l’exotérique sont assez conformes à la droite raison. Dans celle-ci, il admet la distinction du bien & du mal ; l’immortalité de l’ame : les peines à venir ; des dieux ; un dieu suprême qu’il appelle Amida, &c. Quant à sa doctrine ésotérique, c’est une espece de Spinosisme assez mal entendu. Le vuide est le principe & la fin de toutes choses. La cause universelle n’a ni vertu ni entendement. Le repos est l’état parfait. C’est au repos que le philosophe doit tendre, &c. Voyez les articles Philosophie en général, Egyptiens, Chinois, Japonnois, &c.

* INDIFFÉRENCE, s. f. (Gram & Philosophie morale.) état tranquille dans lequel l’ame placée vis-à-vis d’un objet, ne le desire, ni ne s’en éloigne, & n’est pas plus affectée par sa jouissance qu’elle ne le seroit par sa privation.

L’indifférence ne produit pas toûjours l’inaction. Au défaut d’intérêt & de goût, on suit des impressions étrangeres, & l’on s’occupe de choses, au succès desquelles on est de soi-même très-indifférent.

L’indifférence peut naître de trois sources, la nature, la raison & la foi ; & l’on peut la diviser en indifférence naturelle, indifférence philosophique, & indifférence religieuse.

L’indifférence naturelle est l’effet d’un tempérament froid. Avec des organes grossiers, un sang épais, une imagination lourde, on ne veille pas ; on sommeille au milieu des êtres de la nature ; on n’en reçoit que des impressions languissantes ; on reste indifférent & stupide. Cependant l’indifférence philosophique n’a peut-être pas d’autre base que l’indifférence naturelle.