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* INCORRECTION, s. f. (Gram. Littér. Dessein.) Si le style s’écarte souvent des lois de la Grammaire, on dit qu’il est incorrect, qu’il est plein d’incorrection. Si une figure dessinée peche contre les proportions reçues, on dit qu’elle est incorrecte. Le reproche d’incorrection suppose un modele connu, auquel on compare l’imitation. Voyez Correction.

INCORRIGIBLE, adj. (Gram.) qui ne peut être corrigé. L’imbécillité, l’opiniâtreté & les passions rendent les hommes incorrigibles. Ou ils ne conçoivent pas la vérité des conseils qu’on leur donne, ou ils en conviennent, & n’ont pas la force de les suivre. Je ne sais pas comment on corrige les enfans mal-nés ; il y a des vices de l’esprit qui sont incorrigibles. On ne donne pas de la sensibilité à ceux qui n’en ont point : je doute qu’on rectifie le jugement. Si un enfant pêche par défaut de sensibilité, il faut lui imprimer profondement des idées d’ordre & de justice : heureux s’il peut les recevoir & les conserver ! Quand on trouve trop de difficultés à affoiblir une passion, il faut en fortifier une autre, & n’abandonner un enfant à son sort, qu’après avoir tout tenté pour le corriger.

INCORRUPTIBLE, adj. (Gram.) qui n’est point sujet à corruption. Voyez Corruption. Il n’y a rien dans la nature d’incorruptible. Cependant la corruption ne se dit guere que des substances animales & végétales. On regarde les sels, les pierres, les métaux, &c comme incorruptibles. Les sels se dissolvent, se décomposent, les pierres tombent en poudre, les métaux se réduisent en chaux, encore faut-il en excepter l’or.

Incorruptible se dit au figuré. Un juge incorruptible. Il y a peu de gens dont la probité soit incorruptible.

Incorruptibles, s. m. pl. (Théol.) nom de sectes.

Les incorruptibles étoient un rejetton des Eutychiens.

Ils disoient que le corps de J. C. étoit incorruptible ; par-là ils entendoient que dès qu’il fut formé dans le sein de sa mere, il n’étoit susceptible d’aucun changement, ni d’aucune altération, pas même des passions naturelles & innocentes, comme la faim & la soif ; en sorte qu’avant sa mort il mangeoit sans besoin, comme après sa résurrection. On voit par là d’où leur venoit ce nom : on les appelloit aussi incorrupticoles. Dict. de Trévoux.

INCRASSANT, ou EPAISSISSANT, (Médecine thérapeutique) Les Medecins appellent incrassation, ou épaississement procuré aux humeurs par des remedes, le changement de ces humeurs trop fluides, trop subtiles, en une consistance plus dense, plus tenace, plus grossiere.

La plus grande fluidité, qu’on a aussi appellé la dissolution des humeurs, a été un vice très-anciennement observé ; & la vûe de la corriger par des remedes, est comptée parmi les indications médecinales dès le commencement de la Médecine rationnelle. Mais les anciens, les Galenistes sur-tout n’ont considéré ce vice que dans les humeurs excrémenticielles, & principalement dans la bile. Ils le regardoient comme un obstacle à l’évacuation suffisante & utile de ces humeurs, comme les empêchant de céder à l’action de la force expultrice, ou comme propre à une humeur particuliere, qui étant mêlée à la masse du sang, l’agitoit, le rarefioit, produisoit l’orgasme. Voyez Orgasme. Wedel & Juncker auteurs modernes, qui sont mis avec raison au premier rang pour la théorie de l’action des médicamens, ne donnent point d’autre idée de l’état des humeurs qui indique l’incrassation.

C’est une invention, & vraisemblablement un préjugé de notre siecle, que l’opinion d’une dissolution de la masse entiere des humeurs, du sang pro-

prement dit, de la lymphe, &c. & que le projet de

les épaissir par les secours de l’art.

La Medecine moderne emploie à produire l’incrassation, entendue en ce dernier sens, des remedes de différentes vertus. Les évacuans de toutes les especes, par le moyen desquels on chasse du corps la partie la plus liquide de la masse du sang ; l’exercice pour fortifier les organes qui sont mis par-là en état de condenser les humeurs ; les remedes toniques acides, acerbes, austeres dans la même vûe ; les astringens styptiques vulgaires, qu’on croit altérer directement & immédiatement la consistance des humeurs ; les anodins, & antispasmodiques, antorgasmiques, qui sont censés agir en calmant leur fougue ; & enfin les incrassans, proprement dits, qui font le sujet propre de cet article. Voyez sur l’action des autres remedes que nous venons d’indiquer leurs articles particuliers : Evacuant, Exercice, Styptique, &c.

Les remedes appellés incrassans par excellence sont des substances fournies par le regne végétal, & par le regne animal, fades, inodores, collantes, solubles dans les liqueurs aqueuses, qu’elles épassissent & qu’elles rendent gluantes sensiblement ; & qui étant digérées & portées dans la masse du sang, sont censées y produire le même effet par une vraie mixtion, interposition, introsusception de leur substance entiere & inaltérée, immediatâ & substantiali sui miscelâ, interpositione, introsusceptione, solutione.

Les médicamens auxquels on accorde éminemment cette propriété, sont la plûpart des substances muqueuses, végétales, & animales, & principalement les émulsions ordinaires sucrées, le suc & les décoctions de réglisse ; les décoctions ou tisannes de citrouille, de carouge, de racine de guimauve, de grande consoude, qui est bien plus mucilagineuse que styptique, &c. l’orge, le riz, l’avoine, le sagou, & presque tous les farineux, Voyez Farineux, soit en décoction, soit préparés en crême, ou en potage avec l’eau, le lait ; les émulsions végétales, comme le lait d’amande, &c. ou le bouillon ; les décoctions, & le syrop de chou rouge, & de navet ; les châtaignes, le chocolat appellé de santé, les sucs gélatineux animaux, tels que la gelée de corne de cerf, les bouillons de limaçons, de grenouilles, & ceux de jeunes animaux ; comme poulets & veaux, les brouets, ou bouillons légers de ces dernieres viandes appellés communément eau de poulet, eau de veau, les bouillons de veau au bain-marie fort usités à Montpellier, les œufs, le lait & les laitages, &c.

Pour évaluer exactement les vertus réelles de ces substances, il faut observer,

Premierement, que ce sont ici des véritables alimens, des alimens purs & proprement dits exquisita, des alimens qui ne sont point du tout médicamenteux. Voyez Nourrissant & Médicament.

Secondement, que toutes ces substances, & en général toutes les substances propres à nourrir les animaux, sont sujets à un changement spontané, appellé fermentation (Voyez Fermentation.), & que le premier effet de ce changement est de détruire la viscosité de ces substances, qui ne leur est ensuite jamais rendue par aucune altération ultérieure.

Troisiemement, que ces substances éprouvent dans l’estomac & dans les intestins une altération qui détruit encore plus puissamment leur consistance, leur viscosité, & qu’elles ne fournissent constamment au sang qu’une liqueur toujours très-fluide & très-ténue, savoir, le chyle, lequel recevant des élaborations ultérieures dans les organes de la sanguification, est absolument différent, dégénéré de la matiere qui l’a fourni, avant d’être véritablement incorporé, assimilé avec le sang.

Quatriemement, qu’il n’en est pas moins vrai que lorsqu’on mange des corps farineux & des doux non