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derai que la multiplicité des organes & des agens extérieurs soit un instrument nécessaire de la variété presque infinie des changemens du corps humain ; mais cette variété pourra-t-elle avoir la justesse dont on a besoin ici ? ne troublera-t-elle jamais la correspondance de ces changemens & de ceux de l’ame ? C’est ce qui paroît impossible.

Comparons maintenant l’ame de César, avec un atome d’Epicure ; j’entends un atome entouré de vuide de toutes parts, & qui ne rencontreroit jamais aucun autre atome. La comparaison est très-juste ; car d’un côté cet atome a une vertu naturelle de se mouvoir, & il l’exécute sans être aidé de quoique ce soit, & sans être traversé par aucune chose ; & de l’autre côté l’ame de César est un esprit qui a reçû une faculté de se donner des pensées, & qui l’exécute sans l’influence d’aucun autre esprit, ni d’aucun corps ; rien ne l’assiste, rien ne la traverse. Si vous consultez les notions communes & les idées de l’ordre, vous trouverez que cet atome ne doit jamais s’arrêter, & que s’étant mû dans le moment précédent, il doit se mouvoir dans ce moment-ci, & dans tous ceux qui suivront, & que la maniere de son mouvement doit être toûjours la même. C’est la suite d’un axiome approuvé par M. Leibnits : Nous concluons, dit-il, non-seulement qu’un corps qui est en repos, sera toûjours en repos, mais aussi qu’un corps qui est en mouvement, gardera toûjours ce mouvement ou ce changement, c’est-à-dire la même vîtesse & la même direction, si rien ne survient qui l’empêche. Voyez Mémoire inseré dans l’histoire des ouvrages des Savans, Juillet 1694. On se moqua d’Epicure lorsqu’il inventa le mouvement de déclinaison : il le supposa gratuitement pour tâcher de se tirer du labyrinthe de la fatale nécessité de toutes choses. On conçoit clairement qu’afin qu’un atome qui aura décrit une ligne droite pendant deux jours, se détourne de son chemin au commencement du troisieme jour ; il faut ou qu’il rencontre quelque obstacle, ou qu’il lui prenne quelqu’envie de s’écarter de sa route, ou qu’il renferme quelque ressort qui commence à joüer dans ce moment-là : la premiere de ces raisons n’a point lieu dans l’espace vuide ; la seconde est impossible, puisqu’un atome n’a point la vertu de penser ; la troisieme est aussi impossible dans un corpuscule absolument un. Appliquons ceci à notre exemple.

L’ame de César est un être à qui l’unité convient au sens de rigueur ; la faculté de se donner des pensées est, selon M. Leibnits, une propriété de sa nature : elle l’a reçûe de Dieu, quant à la possession & quant à l’exécution. Si la premiere pensée qu’elle se donne est un sentiment de plaisir, on ne voit pas pourquoi la seconde ne sera pas aussi un sentiment de plaisir ; car lorsque la cause totale d’un effet demeure la même, l’effet ne peut pas changer. Or cette ame au second moment de son existence ne reçoit pas une nouvelle faculté de penser ; elle ne fait que retenir la faculté qu’elle avoit au premier moment, & elle est aussi indépendante du concours de toute autre cause au second moment qu’au premier ; elle doit donc reproduire au second moment la même pensée qu’elle venoit de produire. Si je suppose que dans certain instant l’ame de César voit un arbre qui a des fleurs & des feuilles, je puis concevoir que tout aussi-tôt elle souhaite d’en voir un qui n’ait que des feuilles, & puis un qui n’ait que des fleurs ; & qu’ainsi elle se fera successivement plusieurs images qui naîtront les unes des autres ; mais on ne sauroit se représenter comme possibles les changemens bisarres du blanc au noir & du oui au non, ni ces sauts tumultueux de la terre au ciel, qui sont ordinaires à la pensée d’un homme. Par quel ressort une ame seroit-elle déterminée à interrompre ses plaisirs,

& à se donner tout-d’un-coup un sentiment de douleur, sans que rien l’eût avertie de se préparer au changement, ni qu’il se fût rien passé de nouveau dans sa substance ? Si vous parcourez la vie de César, vous trouverez à chaque pas la matiere d’une objection.

M. Leibnits proposa son système pour la premiere fois dans le Journal des Savans de Paris, 1695. M. Bayle proposa ses doutes sur cette hypothèse dans l’article Borarius de son dictionnaire. La replique de M. Leibnits parut dans le mois de Juillet de l’histoire des ouvrages des Savans, ann. 1698. Ce système fut attaqué successivement par le pere Lami, dans son traité de la connoissance de soi-même, par le pere Tournemine ; Newton, Clark, Sthal, parurent sur les rangs en différens tems.

Le principal défenseur de cette hypothèse fut M. Wolf dans sa Métaphysique allemande & latine ; c’est cette hypothèse qui servit à ses ennemis de principal chef d’accusation contre lui. Après bien des peines inutiles qu’ils s’étoient données pour le faire passer pour athée & spinosite, M. Lang zélé théologien s’avisa de l’attaquer de ce côté-là. Il fit voir à Fréderic feu roi de Prusse, que par le moyen de l’harmonie préétablie, tous les déserteurs étoient mis à couvert du châtiment ; les corps des soldats n’étant que des machines sur lesquelles l’ame n’a point de pouvoir, ils désertoient nécessairement. Ce raisonnement malin frappa de telle sorte l’esprit du roi, qu’il donna ordre que M. Wolf fût banni de tous ses états dans l’espace de trois jours.

Harmonie, (Ostéologie.) articulation immobile des os par une connexion serrée ; selon la doctrine des anciens, c’est cette union serrée des os, au moyen de laquelle les inégalités sont cachées, de maniere qu’ils semblent n’être unis que par une seule ligne. Telle est l’articulation qui se rencontre aux os de la face ; mais on pourroit retrancher l’harmonie du nombre des articulations établies par les anciens, parce qu’elle ne differe point de la suture, lorsqu’on examine avec un peu d’attention les pieces détachées. (D. J.)

Harmonie, en terme d’Architecture, signifie un rapport agréable qui se trouve entre les différentes parties d’un bâtiment. Voyez Eurythmie.

HARMONIQUE, adjectif, (Musique.) est ce qui appartient à l’harmonie. Proportion harmonique, est celle dont le premier terme est au troisieme, comme la différence du premier au second, est à la différence du second au troisieme. Voyez Proportion.

Harmonique, pris substantivement & au féminin, se dit des sons qui en accompagnent un autre & forment avec lui l’accord parfait : mais il se dit sur-tout des sons concomitans qui naturellement accompagnent toûjours un son quelconque, & le rendent appréciable. Voyez Son. (S)

L’exacte vérité dont nous faisons profession, nous oblige de dire ici que M. Tartini n’est point le premier auteur de la découverte des sons harmoniques graves, comme nous l’avions annoncé au mot Fondamental. M. Romieu, de la société royale des Sciences de Montpellier, nous a appris que dès l’année 1751, il avoit fait part de cette découverte à sa compagnie dans un mémoire imprimé depuis en 1752, & dont l’existence ne nous étoit pas connue.

Nous ignorons si M. Tartini a eu connoissance de ce mémoire ; mais quoi qu’il en soit, on ne peut refuser à M. Romieu la priorité d’invention. Voici l’extrait de son mémoire.

« Ayant voulu accorder un petit tuyau d’orgue sur l’instrument appellé ton, que quelques-uns appellent diapazon ; & les ayant embouchés tous deux pour les faire résonner ensemble, je fus surpris d’entendre indépendamment de leurs deux sons