Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre cours, ou pour circuler de nouveau, ou pour être portés hors du corps ; enfin ces différens fluides considérés tous ensemble, forment ce qu’on entend par la masse des humeurs.

Elles ont tout cela de commun, de n’être sensibles ordinairement que par leur masse, dont les parties intégrantes ne tombent pas naturellement sous les sens ; d’être composées d’un véhicule aqueux plus ou moins abondant, & de molécules de différent volume, mais qui sont figurées de maniere qu’elles ne se touchent que par des surfaces très-peu étendues, ensorte qu’elles ont très-peu de force de cohésion entre elles, & que la seule action de la vie dans les parties contenantes, suffit pour les tenir séparées les unes des autres, ou au moins leur laisser si peu de consistence, qu’elles en acquierent une véritable fluidité, quoiqu’accidentelle seulement dans la plûpart, qui empêche qu’elles ne forment des concrétions tant qu’elles sont rassemblées : d’où il suit cependant qu’elles ne tiennent cette fluidité que de l’action des parties contenantes, puisque toutes les humeurs, excepté celles qui abondent en véhicule, perdent cette qualité, dès que cette action cesse d’être suffisante pour cet effet, ou qu’elles n’y sont plus exposées. Voyez Fluidité, (Econ. anim.)

Les humeurs, telles qu’on vient d’en donner l’idée, ne sont donc pas d’une nature homogene dans leur composition : soit que l’on cherche à la connoître par le raisonnement méchanique, soit qu’on tâche de la découvrir en les observant par le moyen du microscope, on trouve qu’elles sont formées de deux sortes de parties en général, dont les unes sont fluides de leur nature, c’est-à-dire par les causes communes de leur liquidité. Voyez Liquidité. Les autres sont visqueuses & disposées à perdre la fluidité qu’elles ne tiennent, comme il a été dit, que du mouvement, de l’agitation dans laquelle les met l’action des solides qui les contiennent ; d’où il suit qu’on ne doit pas les regarder comme des liquides proprement dits, mais seulement comme des fluides par accident : ainsi on conçoit, & on peut même l’observer, que plus elles ont de fluidité, plus on y voit en grand nombre de petites spheres ou globules de différent genre ; mais tout étant égal, de plus petits volumes plus ou moins polis, qui entrent dans leur composition, & que plus elles ont de consistence, plus les globules s’éloignent de la figure sphérique, & plus il s’y trouve de parties fibreuses mucilagineuses, mélées avec ces globules, lesquelles sont susceptibles de s’unir entre elles par un plus grand nombre de points qu’on ne l’observe par rapport à ceux-ci.

Ensorte que la fluidité des humeurs doit être dans les unes relativement aux autres, en raison du plus ou du moins d’étendue dans les contacts des parties qui les composent ; ainsi elle est différente à proportion qu’elles sont formées de parties hétérogenes plus ou moins fluides par elles-mêmes ; puisqu’on y observe en effet des parties bien différentes entre elles, aërienes, aqueuses, huileuses, mucilagineuses, salines, terreuses, qui différemment combinées, constituent conjointement, ou quelques-unes d’elles, la diversité des fluides du corps humain, en tant qu’elles ont un véhicule plus ou moins abondant, qui renferme des molécules de différente grosseur & de différente gravité specifique, figurées de maniere à être plus ou moins susceptibles de cohésion, par conséquent de différente consistence.

Comme il résulte donc qu’il y a un grand nombre d’especes de fluides ou d’humeurs dans le corps humain, à proportion des différentes combinaisons de leurs différentes parties, les Medecins tant anciens que modernes, les ont distinguées en plusieurs classes pour établir plus d’ordre dans la théorie de leur art, en tant qu’elle a pour objet de considérer leur ori-

gine, leur élaboration, leurs qualités, & les usages

auxquels la nature les a destinées, soit par rapport à l’état de santé, soit par rapport à celui de maladie.

La distinction entre les humeurs étoit déja connue dès le tems d’Hippocrate : après avoir établi trois principes particuliers du corps humain, savoir le solide, l’humide & les esprits, c’est-à-dire ce qui contient, ce qui est contenu, & ce qui donne le mouvement à l’un & à l’autre, il donne à entendre que par ce qui est contenu, il a en vue quatre sortes d’humeurs, ou de matieres fluides qui se trouvent dans le corps, qui sont le sang, la pituite ou le flegme, la bile jaune & l’humeur mélancholique, ou la bile noire ; il attribuoit ensuite à ces quatre sortes d’humeurs quatre qualités principales ; il prétendoit que le sang est chaud & humide, la pituite froide & humide, la bile chaude & seche, & la mélancholie froide & seche : il pensoit ensuite que la combinaison de ces différentes qualités en formoit d’autres, telles que l’amer, le doux, le salé, l’âcre, l’insipide, & une infinité d’autres matieres qui ont diverses qualités, selon qu’elles sont abondantes ou qu’elles sont fortes ; ces différentes qualités selon lui, ne s’apperçoivent point, & ne font de mal à qui que ce soit, tant que les humeurs sont mélées également, & que par ce mélange elles se temperent l’une l’autre ; mais s’il arrive que les humeurs se séparent, qu’elles prédominent entre elles, & qu’elles demeurent à part, alors leurs qualités deviennent sensibles & incommodes en même tems.

C’est de là que s’est formé le système des tempéramens & des intempéries qui correspondent à ces différentes humeurs & à leurs qualités dominantes, système qui nous a été pleinement développé dans les ouvrages de Galien, attendu qu’il avoit des humeurs la même idée qui vient d’être tracée d’après la doctrine d’Hippocrate. Voyez Qualité, Galénisme, Tempérament, Intempérie.

Ce qui vient d’être dit de la maniere de penser des anciens sur la nature des humeurs, suffit pour faire juger que la distinction qu’ils en faisoient en conséquence, ne pouvant être que systématique, il n’est point utile d’entrer ici dans un plus grand détail à cet égard. On se bornera donc à exposer celle qui présente les idées les plus précises que l’on puisse se faire sur ce sujet, qui d’ailleurs étant susceptible d’être traité d’une maniere fort arbitraire, ne peut jamais être d’une grande importance, parce que la connoissance qu’on acquiert par là, sert très-peu à celle qu’il est nécessaire d’avoir de chaque humeur en particulier.

La division des humeurs qui paroît la plus naturelle, est donc celle qui est tirée de la différence de leur destination ; ainsi on peut d’abord les considérer, en tant qu’elles servent à la conservation de l’individu & à la propagation de l’espece ; les unes sont formées & continuellement renouvellées depuis l’instant de la conception jusqu’à la mort, comme le sang & toutes les humeurs qui en dérivent, pour servir à la préparation du suc nourricier, & celles qui le forment ; les autres ne sont produites que lorsqu’elles sont nécessaires dans l’âge où elles peuvent être employées utilement, comme la liqueur séminale & le lait.

Les humeurs de la premiere classe sont de trois especes différentes. On les distingue en alibiles ou nourricieres, en recrémentitielles & excrémentitielles : les nourricieres sont celles qui sont susceptibles d’être changées en la propre substance de l’individu ; telle est la lymphe, lorsqu’elle a acquis son dernier dégré d’élaboration nécessaire. Les humeurs recrémentitielles sont séparées du sang, pour servir à quelque fonction directement ou indirectement utile à la conservation de l’individu, & sont ensuite re-