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où il faut une information des vie & mœurs du récipiendaire.

Sur l’hérésie, voyez les textes de droit cités par Brillon au mot Hérésie ; les loix ecclésiastiques de Héricourt, part. I, chap. xxiv. Voyez aussi ce qui est répandu dans les mémoires du clergé. (A)

HÉRÉTICITÉ, s. f. (Gram. & Théolog.) imputation bien ou mal fondée d’une doctrine hérétique. On dit l’héréticité d’un livre, l’héréticité d’un auteur, l’héréticité d’une proposition, ou ce qui la rend hérétique.

HÉRÉTIQUE, adj. s. m. (Morale.) Un hérétique, dans le sens propre du mot, est un homme quï fait choix d’une opinion, d’une secte, bonne ou mauvaise. Dans le sens ordinaire, ce terme désigne toute personne qui croit ou soutient opiniâtrement un sentiment erroné sur un ou plusieurs dogmes de la religion chrétienne. Voyez Hérésie.

Nous n’avons pas dessein de démontrer ici combien est détestable le principe qui permet de manquer de foi aux hérétiques ; ceux qui adopteroient cette maxime odieuse, s’il s’en trouve encore dans le monde, seroient incapables de toute lumiere & de toute instruction.

Nous ne nous arrêterons pas non-plus à prouver l’injustice de la haine que certaines gens portent aux hérétiques ; nous aimons mieux tâcher de rectifier leur façon de penser par celle des gens éclairés & respectables dans l’Eglise, & nous ne leur citerons pour directeurs que Salvien & saint Augustin. Voici comme s’exprime sur les sectateurs d’une des premieres hérésies, je veux dire sur les Ariens mêmes, le digne & célebre prêtre de Marseille, qu’on surnomma le maître des évêques, & qui déploroit avec tant de douleur les déréglemens de son tems, qu’on l’appella le Jérémie du v. siecle.

« Les Ariens (dit-il) sont hérétiques, mais ils ne le savent pas ; ils sont hérétiques chez nous, mais ils ne le sont pas chez eux ; car ils se croient si bien catholiques, qu’ils nous traitent nous-mêmes d’hérétiques. Nous sommes persuadés qu’ils ont une pensée injurieuse à la génération divine, en ce qu’ils disent que le fils est moindre que le pere. Ils croient eux, que nous avons une opinion injurieuse pour le pere, parce que nous faisons le pere & le fils égaux : la vérité est de notre côté, mais ils croient l’avoir en leur faveur. Nous rendons à Dieu l’honneur qui lui est dû, mais ils prétendent aussi le lui rendre dans leur maniere de penser. Ils ne s’acquittent pas de leur devoir, mais dans le point même où ils manquent, ils font consister le plus grand devoir de la religion. Ils sont impies, mais dans cela même ils croient suivre la véritable piété. Ils se trompent donc ; mais par un principe d’amour envers Dieu, & quoiqu’ils n’ayent pas la vraie foi, ils regardent celle qu’ils ont embrassée comme le parfait amour de Dieu. Il n’y a que le souverain juge de l’univers qui sache comment ils seront punis de leurs erreurs au jour du jugement. Cependant il les supporte patiemment, parce qu’il voit que s’ils sont dans l’erreur, ils errent par un mouvement de piété ». Salvianus de Gubernat. Dei, lib. V. pag. 150 & 151 de l’édit. de Paris 1645, publiée par M. Baluze.

Ecoutons maintenant saint Augustin sur les hérétiques Manichéens, son discours n’est pas moins beau. « Nous n’avons garde (leur dit-il) de vous traiter avec rigueur ; nous laissons cette conduite à ceux qui ne savent pas quelle peine il faut pour trouver la vérité, & combien il est difficile de se garantir des erreurs. Nous laissons cette conduite à ceux qui ne savent pas combien il est rare & pénible de s’élever au-dessus des fan-

tômes d’une imagination grossiere par le calme

d’une pieuse intelligence. Nous laissons cette conduite à ceux qui ne savent pas quelle difficulté il y a à guérir l’œil de l’homme intérieur, pour le mettre en état de voir son soleil…… Nous laissons cette conduite à ceux qui ne savent pas quels soupirs & quels gémissemens il faut pour acquérir quelque petite connoissance de la nature divine… Pour moi, je dois vous supporter comme on m’a supporté autrefois, & user envers vous de la même tolérance dont on usoit envers moi lorsque j’étois dans l’égarement… »

Le latin est d’une grande pureté. Illi in vos soeviant, qui nesciunt, cum quo labore verum inveniatur, & quàm difficile caveantur errores… Illi in vos soeviant, qui nesciunt.... Illi in vos soeviant C’est dans l’épître contra Epist. Manichœi, cap. II. & III, pag. 78 & 79, tom. VI, édit. Basil. 1528. Si saint Augustin s’est quelquefois écarté de sa morale, ce n’est pas ce que j’examine, il suffit que j’expose ses sentimens d’après lui-même.

Enfin, je renvoie tous ceux qui seroient portés à haïr ou à approuver les violences contre les hérétiques, à l’école du philosophe de la Grece, qui remercioit les dieux de ce qu’il étoit né du tems de Socrate. Platon disoit « que la seule peine dûe à un homme qui erre, est d’être instruit ».

En effet, ce qui prouve invinciblement combien l’on doit supporter les errans en matiere de religion, c’est que leur erreur peut avoir pour principe une louable inclination de s’éclairer, qui malheureusement ne se trouve pas soutenue de toute la capacité, de toute l’attention & de toute l’étendue d’esprit nécessaire.

Il est donc honteux de décrier jusqu’au style & aux vertus mêmes des hérétiques. On a employé cette ruse odieuse, de peur que de l’estime de leurs personnes, on ne passât à celle de leurs ouvrages, & du goût de leur maniere d’écrire, à celui de leurs opinions. Mais n’y a-t-il pas de meilleures voies pour apprendre aux hommes à séparer le bon du mauvais ? Arius, a-t-on dit autrefois, avoit un fond d’orgueil incroyable qui le rongeoit, sous l’apparence de la plus grande modestie : eh d’où sçavoit-on qu’il avoit tant d’orgueil, s’il en montroit si peu ?

La défense de la vérité ne tire aucune gloire de tous ces sortes de moyens. Elle n’est pas plus heureuse en mettant en usage les noms injurieux d’hérétiques & d’hétérodoxes, qu’on se rend réciproquement ; outre que souvent l’homme du monde, qui est le plus dans l’erreur, en charge avec zèle celui qui pense le plus juste, & qui a le plus travaillé à s’éclairer.

Je ne déciderai point la question s’il faut permettre la lecture des livres hérétiques : je demanderai seulement, au cas qu’on défende cette lecture, si on renfermera dans la défense les livres des orthodoxes qui les réfutent. Si les orthodoxes, dans leurs réfutations, rapportent, comme ils le doivent, les argumens des hérétiques dans toute leur force, il paroît qu’il vaudroit tout autant laisser lire les ouvrages des hérétiques. Si les orthodoxes manquent à cette justice & à ce devoir en fait de critique, ils se deshonorent par leur peu de sincérité, & ils trahissent la bonne cause par leur défiance. (D. J.)

Hérétiques négatifs, (Théol.) dans le langage de l’inquisition, sont ceux qui étant convaincus d’hérésie par des preuves dont ils ne peuvent nier l’évidence, demeurent sur la négative, font profession ouverte de la religion catholique, & déclarent l’horreur qu’ils ont pour l’hérésie dont on les accuse. Voyez Inquisition. (G)