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fois plus grand, les eaux réduites en vapeurs & comprimées dans les cavernes, sont plus capables de produire des agitations violentes, que des distillations. D’ailleurs si le feu est trop violent dans les soûterreins, l’eau sortira salée de la cucurbite, &c.

4°. Après une certaine interruption de pluies, la plûpart des fontaines ou tarissent ou diminuent considérablement ; & l’abondance réparoit dans leur bassin, après des pluies abondantes, ou la fonte des neiges. Or si un travail soûterrein fournit d’eau les réservoirs des sources, que peut opérer la température extérieure pour en rallentir ou en accélérer les opérations ? Il est vrai que certains physiciens ne disconviennent pas que les eaux pluviales ne puissent, en se joignant au produit des canaux souterreins, former après leur réunion une plus grande abondance d’eau dans les réservoirs, & y faire sentir un déchet considérable par leur soustraction : mais après cet aveu, ils ne peuvent se dissimuler que les eaux de pluies n’influent très-visiblement dans les écoulemens des fontaines, & que cet effet ne soit une présomption très-forte pour s’y borner, si le produit des pluies suffit à l’entretien des sources, comme nous le ferons voir par la suite. Voodward prétend qu’il y a, lors des pluies, moins de dissipation dans les couches du globe, où se rassemblent les eaux évaporées de l’abysme par leur feu central, & que la sécheresse fournit une transpiration abondante de ces vapeurs. Ceci seroit recevable, si la circulation des eaux dans les couches qui peuvent ressentir les différens effets de l’humidité & de la sécheresse, ne se faisoit pas de la circonférence au centre, ou dans la direction des couches qui contiennent les eaux.

5°. Pourquoi l’eau de la mer iroit-elle chercher le centre, ou du moins les endroits les plus élevés des continens, pour y entretenir les fontaines ? Descartes nous répondra qu’il y a sous ces montagnes & sous ces endroits élevés, des alembics : mais de la mer à ces prétendus alembics, quelle correspondance a-t-il établi ? Ne seroit-il pas plus naturel que les sources fussent plus abondantes sur les bords de la mer, que dans le centre des terres ; & dans les plaines, que dans les pays montueux ? Outre qu’on ne remarque pas cette disposition dans les sources, la grande quantité de pluie qui tombe sur les bords de la mer, seroit la cause naturelle de cet effet, si le terrein étoit favorable aux sources.

6°. Il reste enfin une derniere difficulté. 1°. Le résidu des sels dont l’eau se dépouille, ou par distillation, ou par filtration, ne doit-il pas avoir formé des obstructions dans les canaux soûterreins, & avoir enfin comblé depuis long-tems tous les alembics ? 2°. La mer par ces dépôts n’a-t-elle pas dû perdre une quantité prodigieuse de ses sels ? Pour donner une idée de ces deux effets, il faut apprétier la quantité de sel que l’eau de la mer auroit déposée dans les cavités, & dont elle se seroit r"ellement appauvrie. Il paroît par les expériences de M. le comte de Marsigly, de Halley & de Hales, qu’une livre d’eau de la mer tient en dissolution quatre gros de sel, c’est-à dire un trente-deuxieme de son poids : ainsi trente-deux livres d’eau produisent une livre de sel, & soixante quatre en donneront deux. Le pié-cube d’eau pesant 70 livres, on peut pour une plus grande exactitude compter deux livres de sel dans ces 70. Nous partirons donc de ce principe, qu’un pié-cube d’eau douce doit avoir déposé deux livres de sel avant que de parvenir à la source d’une riviere. Or s’il passe sous le pont royal, suivant la détermination de M. Martotte, 288,000,000 de piés-cubes d’eau en 24 heures, cette quantité d’eau aura déposé sous terre 576,000,000 de livres de sel.

Cependant comme ceux qui admettent la circulation intérieure de l’eau de la mer conviennent que les

pluies grossissent les rivieres, nous réduisons ce produit à la moitié : ainsi l’eau de la Seine laisse chaque jour dans les entrailles de la terre 288 millions de livres de sel, & nous aurons plus de cent milliards de livres pour l’année : mais qu’est-ce que la Seine comparée avec toutes les rivieres de l’Europe, & enfin du monde entier ? quel amas prodigieux de sel aura donc formé dans des canaux souterreins, la masse immense d’eau que les fleuves & les rivieres déchargent dans la mer depuis tant de siecles ! Voyez Salure & Mer.

On peut réduire à trois classes les physiciens qui ont essayé de répondre à ces difficultés.

I. M. Gualtieri (Journ. des Sçav. an. 1725. Juin) dans des réflexions adressées à M. Valisnieri, exige seulement qu’on lui accorde deux propositions. La premiere, qu’il se trouve au fond de la mer une terre particuliere ou un couloir, au-travers duquel l’eau de la mer ne peut passer sans se dépouiller de son sel. La seconde, que l’eau de la mer fait équilibre à une colonne d’eau douce, qui s’insinue dans l’intérieur du globe à une hauteur qui est en raison inverse de sa pesanteur spécifique, c’est-à-dire dans le rapport de 103 à 100. Pour établir sa premiere proposition, il allegue l’analogie des filtrations des sucs dans les animaux & dans les végétaux, & enfin l’adoucissement de l’eau de la mer par évaporation. Ce qui embarrasse d’abord, c’est de savoir ou les sels se déposeront dans le filure particulier qui aura la vertu d’adoucir l’eau de la mer. Dans les animaux, les sucs qui n’entrent point dans certains couloirs, sont absorbés par d’autres ; sans cela il se formeroit des obstructions, comme il doit s’en former au fond de la mer.

En second lieu, si la colonne d’eau soûterreine est en équilibre avec celle de l’eau marine, par quelle force l’eau penétrera-t-elle les couloirs ? D’ailleurs si l’on suppose que la mer est aussi profonde que les montagnes sont élevées, le rapport de pesanteur spécifique de 100 à 103, qui se trouve entre l’eau douce & l’eau salée, ne peut élever l’eau douce qu’au de la hauteur des montagnes ; ainsi elle ne parviendra jamais au sommet même des collines de moyenne grandeur.

II. D’autres physiciens n’ont pas été allarmés des blocs de sels aussi énormes que la mer doit déposer dans les entrailles de la terre ; leur imagination a été aussi féconde pour creuser des alembics & des canaux soûterreins, que l’eau salée peut être active pour combler les uns & boucher les autres ; elle a formé un échaffaudage de nouvelles pieces, qui jouent selon ses vœux & selon les besoins du système. Voyez Méditations sur les fontaines, de Kuhn.

On a rencontré dans l’Océan & dans certains détroits ou mers particulieres, des especes de goufres où les eaux sont violemment agitées, & paroissent s’engloutir dans des cavités soûterreines qui les rejettent avec la même violence. Le plus fameux de ces goufres est près des côtes de la Laponie, dans la mer du Nord ; il engloutit les baleines, les vaisseaux, &c. & rejette ensuite les débris de tout ce qu’il paroît avoir absorbé. On en place un auprès de l’île d’Eubée, qui absorbe & rend les eaux sept fois en vingt-quatre heures : celui de Charibde près des côtes de la Calabre absorbe & vomit trois fois le jour ; ceux de Sylla dans le détroit de la Sicile, du détroit de Babelmandel, du golfe Persique, du détroit de Magellan, ne sont qu’absorbans. On soupçonne outre cela que sous les bancs de sable, sous les roches à fleur d’eau, & dans la mer Caspienne en particulier, il y a beaucoup de ces goufres tant absorbans que vomissans.

Comme ils sont près des îles & des continens, on en conclut que les eaux absorbées sont englouties dans les soûterreins de la terre-ferme ; & que récipro-