L’Encyclopédie/1re édition/SALURE

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SALURE, s. f. (Gramm.) qualité d’une chose salée.

Salure de la mer, (Physiq.) Cette salure amere & singuliere a donné lieu depuis long-temps à quelques questions curieuses, qui méritent d’être résolues dans cet ouvrage.

On demande d’abord d’où vient la salure de la mer. La cause la plus probable de la salure de l’Ocean se trouve ainsi expliquée par le docteur Halley dans les Transact. philos. n°. 334. J’ai remarqué, dit-il, que tous les lacs du monde, appellés proprement tels, se trouvent salés, les uns plus, d’autres moins que l’Océan, qui dans le cas présent peut aussi être regardé comme un lac ; puisque j’entends par le mot lac des eaux dormantes, dans lesquelles se jettent perpétuellement des rivieres, & qui n’ont point d’issue.

Il y a très-peu de ces lacs dans la partie connue du globe ; & en effet, à le bien prendre, je ne crois pas, continue-t-il, qu’il y en ait en tout plus de quatre ou cinq : savoir, 1°. La mer Caspienne : 2°. la mer Morte, ou le lac Asphaltide : 3°. le lac sur lequel est située la ville de Méxique : 4°. un lac du Pérou appellé Titicaca, qui par un canal d’environ cinquante lieues, communique avec un cinquieme plus petit appellé le lac de Paria ; aucun de ces lacs n’a d’issue. La mer Caspienne qui est le plus grand de tous, est, à ce qu’on prétend, un peu moins salée que la mer Océane. Le lac Asphaltide l’est si prodigieusement, que ses eaux en sont entierement rassasiées, & ne peuvent dissoudre presque rien autre chose ; aussi ses bords sont incrustés pendant l’été d’une grande abondance de sel desséché, d’une nature un peu plus piquante que le sel marin, & qui tient un peu du sel armoniac.

Le lac du Méxique est, à proprement parler, un double lac divisé par un grand chemin qui conduit à la ville, laquelle est construite sur des îles au milieu du lac, sans doute pour sa sureté. Les premiers fondateurs ont vraissemblablement tiré cette idée des castors qui construisent leurs cabanes sur des écluses qu’ils bâtissent dans les rivieres. La partie de ce lac qui est au nord de la ville & des grands chemins, reçoit une riviere considérable, qui étant un peu plus haute, fait un petit saut ou cascade à son embouchure dans la partie méridionale du lac qui est plus bas. La partie la plus basse se trouve être salée ; mais je n’ai pas encore pu apprendre à quel degré ; cependant la partie plus élevée a ses eaux douces.

Le lac de Titicaca a près de quatre-vingt lieues de circonférence, & reçoit plusieurs rivieres fort grandes & douces. Cependant, au rapport de Herrera & d’Acosta, les eaux sont si saumaches, qu’on ne sauroit en boire, quoiqu’elles ne soient pas tout-à-fait si salées que celles de l’Océan. On assure la même chose du lac de Paria, dans lequel celui de Titicaca lui-même se décharge en partie.

Or je conçois, que comme tous les lacs dont j’ai parlé, reçoivent des rivieres, & n’ont aucune issue, il faut que leurs eaux s’élevent jusqu’à ce que leurs surfaces soient assez étendues pour perdre en vapeur autant d’eau qu’ils en reçoivent par les rivieres ; & par conséquent ces lacs doivent être plus ou moins grands, selon la quantité d’eau douce qui s’y décharge. Mais les vapeurs ainsi exhalées sont parfaitement douces ; de sorte que les particules salines apportées par les rivieres restent, tandis que les douces s’évaporent ; d’où il est évident que le sel des lacs augmente continuellement, ou que les eaux en deviennent de plus en plus salées. Mais dans les lacs qui ont une issue, comme celui de Génésareth, autrement appellé le lac de Tibériade, dans le lac supérieur de Méxique & dans la plûpart des autres, l’eau étant perpétuellement courante, est remplacée par de nouvelle eau douce de riviere, dans laquelle il y a si peu de particules salines, qu’on ne s’en apperçoit point.

Or, si c’est-là la véritable raison de la salure de ces lacs, il est assez probable que l’Océan n’est devenu salé lui-même que par la même cause.

2°. On demande d’où procede la différence de salure de la mer, qui est d’autant moins salée qu’on approche des poles, & qui l’est le plus sous l’équateur ou dans la Zone torride. Plusieurs raisons concourent à cette différence de salure.

1°. Le soleil étant plus chaud sous la zone torride, attire plus de vapeurs que dans les climats septentrionaux, & ces vapeurs sont toutes d’eaux douces ; car les particules de sel ne s’évaporent pas si facilement à cause de leur pesanteur ; par conséquent l’eau qui reste dans l’Océan doit être plus salée sous l’équateur que vers les poles, où il ne s’exhale pas tant d’eau douce, parce que la chaleur du soleil y est plus foible.

La seconde cause est la chaleur & la fraîcheur de l’eau, car la même eau, le bœuf mariné, les mets salés, le sont plus quand ils sont chauds que quand ils sont froids, comme chacun peut l’avoir expérimenté, parce que la chaleur ou les particules de feu agitent & aiguisent les particules de sel contenues dans ces viandes, & les séparent les unes des autres, de maniere qu’elles affectent & piquent plus fortement la langue. Donc comme l’eau de la mer est plus chaude vers l’équateur & plus froide vers les poles, il s’ensuit que quand on supposeroit toutes les parties de l’Océan également salées, elles doivent néanmoins le paroître davantage vers l’équateur, & plus douces vers les poles.

3°. La troisieme cause est la qualité plus ou moins grande de sel qui se trouve dans le bassin de la mer ; car comme on ne trouve pas par-tout des mines de sel dans la terre, ni même une égale quantité de sel dans les endroits où on en rencontre, on doit supposer la même chose dans l’Océan, où il y a des côtes dont le lit n’est pas si plein de sel que d’autres. C’est pourquoi où il se rencontre une plus grande quantité de sel au fond de l’Océan, l’eau doit y être plus salée, parce qu’elle est plus imprégnée de ce minéral, comme il est aisé de le concevoir. Par cette raison l’eau de mer est extrèmement salée auprès de l’île d’Ormus, parce que cette île est toute de sel. Mais y a-t-il une plus grande quantité de mines de sel sous l’eau, sous la zone torride, que sous les poles ? C’est ce qu’on ne peut pas dire certainement, faute d’observations. Bien des gens pensent que cela est probable, à cause de la plus grande chaleur du soleil qui attire les particules douces : quoi qu’il en soit, cette raison me paroît bien foible.

4°. Une quatrieme cause est la fréquence ou la rareté de la pluie & de la neige : l’une & l’autre tombent fort souvent dans les pays septentrionaux ; mais sous la zone torride il n’y a point de pluie du tout dans certaines saisons de l’année, & elles sont continuelles dans les autres tems. Donc l’Océan dans ces derniers endroits n’est pas si salé auprès des côtes dans les mois pluvieux que dans les saisons seches. Il y a même différens endroits aux Indes sur la côte de Malabar, où l’eau de la mer est assez douce dans la saison pluvieuse, à cause de la grande quantité d’eau qui tombe du mont Gate, & qui se jette dans la mer. C’est la raison qui fait qu’en différens tems de l’année les mêmes parties de l’Océan ont différens degrès de salure ; mais comme il y a presque toute l’année des pluies & des neiges dans les pays septentrionaux, la mer y est moins salée que sous la zone torride.

5°. La cinquieme cause est la différence de qualité que l’eau a de dissoudre le sel & l’incorporer avec elle, car l’eau chaude dissout le sel bien plus vîte que la froide ; & conséquemment quand il y auroit la même quantité de sel sous l’eau dans le bassin de la mer auprès des poles que vers l’équateur, l’eau qui y est plus froide ne peut pas sitôt le dissoudre en particules très-menues, & l’incorporer avec elle, que sous la zone torride, où l’eau est plus chaude.

6°. La sixieme cause est la quantité de rivieres considérables qui se déchargent dans la mer ; mais elles ne font de changement que sur les côtes, car le milieu de l’Océan n’en est que médiocrement affecté Les marins rapportent que sur la côte du Brésil, où Rio de la Plata se jette dans la mer, l’Océan perd son goût salé jusqu’à près de quinze lieues de distance de la côte. On peut en dire autant de l’Océan africain sur la côte de Congo, & dans plusieurs autres lieux, comme vers Malabar dans l’Inde, ainsi qu’on l’a observé ci-devant, &c. On peut ajouter à toutes ces causes les sources d’eau douce qui sortent en quelques endroits du fond de la mer.

Ces causes prises séparément ou toutes ensemble, mettent une grande différence de salure dans les différentes parties de l’Océan, & c’est par elles qu’on est en état d’expliquer cette variété.

On peut en tirer la raison, pourquoi l’eau de l’Océan germanique & de celui du nord ne donne pas tant de sel quand on la fait bouillir, que celle de l’Océan occidental vers l’Espagne, les îles Canaries, & le cap Verd en Afrique, d’où les Hollandois tirent une grande quantité de sel, qu’ils transportent dans plusieurs pays septentrionaux ? Parce que ces côtes sont plus voisines de la zone torride que les autres, quoique peut-être le bassin de la mer y contienne une égale quantité de sel.

L’eau de la mer dans l’Océan éthiopique, vis-à-vis la Guinée, donne en la faisant bouillir une seule fois un sel blanc aussi fin que le sucre, & tel que ni l’Océan espagnol, ni aucun autre en Europe, n’en peut produire d’une seule opération.

On demande si l’eau de la mer est plus douce au fond, & pourquoi on tire dans quelques endroits de l’eau douce du fond de la mer ?

On répond à ces questions que l’eau de la mer n’est pas plus douce au fond qu’à la surface, si ce n’est en quelques endroits particuliers où il se trouve apparemment des sources d’eau douce ; car il est contre la nature que l’eau salée flotte au-dessus de l’eau douce, qui est moins pesante.

M. Hook a inventé un instrument pour découvrir quelle est la salure de la mer à quelque profondeur que ce soit. On le trouve décrit dans les Trans. phil. n°. 9. & n°. 24. ou dans l’abrégé de Lowthorp, vol. 2. p. 260.

On demande si l’on peut désaler l’eau de la mer ; je réponds que la chose est possible.

M. Hanton a trouvé le premier le secret de rendre douce l’eau de la mer. Ce secret consiste d’abord dans une précipitation faite avec l’huile de tartre qu’il fait tirer à peu de frais ; ensuite il distille l’eau de mer : son fourneau tient fort peu de place, & est construit de maniere qu’avec un peu de bois ou de charbon, il peut distiller vingt-quatre pots d’eau, mesure de France, en un jour ; & pour la rafraîchir, il a une nouvelle invention par laquelle au lieu de faire passer le tuyau par un vase plein d’eau, suivant la coutume, il le fait passer par un trou pratiqué exprès hors du vaisseau, & rentrer par un autre, de sorte que c’est l’eau de la mer qui fait l’office de réfrigérant. Par ce moyen on épargne la place qu’occupe ordinairement le réfrigérant, ainsi que l’embarras de changer l’eau quand le tuyau l’a échauffée. Mais en troisieme lieu, il joint aux deux opérations précédentes la filtration, pour corriger la malignité de l’eau : cette filtration se fait au moyen d’une terre particuliere qu’il mêle & détrempe avec l’eau distillée, & enfin qu’il laisse se précipiter au fond.

Il prétend que cette eau de mer distillée est assez salubre, & il le prouve, 1°. par l’expérience, en ayant fait boire à des hommes & à des animaux, sans qu’elle leur ait fait aucun mal. 2°. Par la raison fondée sur ce que cette terre particuliere mêlée avec l’eau distillée, émousse les pointes des esprits volatils du sel, & leur servant pour ainsi dire d’étui, emporte leur force & leur âpreté malfaisante en se précipitant. Transact. philos. par Lowthorp, vol. II. pag. 297.

Cependant des marins expérimentés, & sur-tout ceux qui avoient cette machine à bord, ont assuré le public que l’eau de la mer rendue douce par la distillation, n’étanche point la soif ; mais qu’après en avoir bû autant qu’ils pouvoient, ils étoient aussi altérés qu’auparavant, tant les imprégnations que les eaux éprouvent dans leur passage sur la terre, sont nécessaires pour la rendre nourrissante.

Plus ces imprégnations sont riches & sulphureuses, plus les eaux deviennent douces & bonnes : nous en avons un exemple dans la bonté & la salubrité de l’eau de la Tamise, au-dessous de Londres ; sans doute elle lui vient des imprégnations qu’elle éprouve de la part du sol & des boues des ruisseaux de Londres.

D’où vient que l’eau de pluie ramassée au milieu de l’Océan venant des vapeurs que la mer exhale, est douce, au lieu que l’eau que l’on tire de l’eau de la mer, soit en la faisant bouillir ou en la distillant, se trouve toujours salée ?

Ceux qui ont étudié avec soin les secrets de la nature, je veux dire les habiles chimistes, & non ces ignorans qui affectent de l’être, ont jusqu’ici travaillé inutilement pour trouver une méthode de distiller l’eau de mer, ou en extraire l’eau douce ; ce secret seroit pourtant fort beau, & très-avantageux pour la navigation. Quoique dans la décoction & la distillation, qui reviennent en effet à la même opération, il reste du sel au fond du vase, l’eau ainsi séparée ne laisse pas que d’être salée, & n’est point potable, ce qui surprend ceux qui en ignorent la cause : on l’enseigne en Chimie, qui est la véritable philosophie ; on trouve que dans tous les corps deux sortes de sels, quoique parfaitement semblables pour le goût, different beaucoup l’un de l’autre pour les autres qualités. Les artistes appellent l’un sel fixe, & l’autre sel volatil. Le sel fixe, à cause de sa pesanteur, ne s’évapore point dans la distillation, mais demeure au fond du vaisseau, au lieu que le sel volatil est spiritueux. En effet ce n’est rien qu’un esprit très-subtil qui s’exhale aisément sur un feu doux, & qui par conséquent montant dans la distillation avec l’eau douce, se mêle avec elle à cause de la subtilité de ses particules. Les Chimistes trouvent ce sel fixe & ce sel volatil non seulement dans l’eau de mer, mais encore dans presque tous les corps, en plus ou moins grande quantité : les herbes qui ont un goût piquant en contiennent davantage ; les matieres huileuses & insipides en ont moins. Ainsi la difficulté est de séparer ce sel volatil, ou l’esprit de sel d’avec l’eau ; c’est ce qui a résisté jusqu’à-présent à tous les efforts qu’on a faits pour y parvenir.

Mais pourquoi l’eau de pluie est-elle aussi douce sur l’Océan que sur terre, puisqu’elle est produite des exhalaisons attirées de la mer par la chaleur du soleil, ou exhalées par la force d’un feu souterrein ; évaporation qui ne differe en rien de la distillation ? Il y en a, ce me semble, trois ou quatre raisons.

1°. Une évaporation lente & douce, par laquelle il ne s’exhale de l’Océan que la partie la plus subtile, qui à la vérité contient aussi l’esprit du sel, mais en bien moindre quantité que quand l’évaporation se fait par une forte chaleur. 2°. Le long espace que cette vapeur parcourt avant d’arriver à la région de l’air, où elle se condense en pluie, pendant lequel passage il est bien possible que l’esprit salin se détache petit-à-petit des particules aqueuses. 3°. Le mélange des autres particules douces d’eau qui se trouvent dans l’air. 4°. Le refroidissement & la coagulation ou condensation de la vapeur ; car en montant de l’Océan, ces vapeurs deviennent par degrés plus froides, & se mêlent avec d’autres qu’elles trouvent en chemin, se condensent & se changent en nuées. Dans le tems de cette réfrigération & condensation, les esprits salins s’échappent avec les particules ignées, & vont occuper le lieu le plus élevé de l’air.

Mais pourquoi la même chose n’arrive-t-elle pas dans la distillation, où les vapeurs exhalées deviennent plus froides & se condensent ? En voici la raison. 1°. Dans ce court espace l’esprit salin demeure étroitement uni avec les particules aqueuses. 2°. La vapeur est conservée dans un vaisseau qui ne laisse à l’esprit aucun jour pour s’échapper. Varenius, géog. physiq. (D. J.)