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més. La premiere attention sera de couper toutes les feuilles jusque contre la queue, afin d’empêcher d’autant moins la dissipation de la seve & le desséchement de l’œil. On peut au besoin conserver ces branches pendant deux ou trois jours, en les faisant tremper par le gros bout dans un peu d’eau, ou en les piquant en terre dans un lieu frais & à l’ombre.

Pour lever l’écusson ou l’œil de dessus la branche, on fait avec le greffoir trois incisions triangulaires dans l’écorce qui environne l’œil ; la premiere en-travers à deux ou trois lignes au-dessus de l’œil ; la seconde à l’un des côtés, en descendant circulairement pour qu’elle se termine au dessus de l’œil ; & la troisieme de l’autre côté en sens contraire, de façon qu’elle vienne croiser la seconde à environ un demi-pouce au-dessous de l’œil, & que ces trois traits fassent ensemble une espece de triangle dont la pointe soit en bas ; puis en pressant & tirant adroitement avec ses doigts cette portion d’écorce, sans offenser l’œil, elle se détache aisément si la seve est suffisante.

L’écusson étant levé, on le tient entre ses levres par la queue de la feuille qu’on doit y avoir laissée exprès ; ensuite on choisit sur le sujet un endroit bien uni, où l’on fait avec le greffoir deux incisions comme si l’on figuroit la lettre majuscule T, & on en proportionne l’étendue à la grandeur de l’écusson que l’on y veut placer ; puis on détache avec le manche du greffoir l’écorce des deux angles rentrans, & on fait entrer l’écusson entre ces deux écorces, en commençant par la pointe que l’on fait descendre peu-à-peu jusqu’à ce que le haut de l’écusson réponde exactement à l’écorce supérieure du sujet. On prend ensuite de la filasse de chanvre, ou encore mieux de la laine filée, dont on passe plusieurs tours sans couvrir l’œil, & que l’on assûre par un nœud, pour maintenir les écorces & faciliter leur réunion.

Lorsque cette greffe a été faite à œil poussant, c’est-à-dire avant la S. Jean, dès qu’on s’apperçoit au bout de huit ou dix jours que l’écusson est bien vif & qu’il est prêt à pousser, on coupe le sujet à quatre doigts au dessus de l’écusson, afin qu’en déterminant la seve à se porter avec plus d’abondance sur le nouvel œil, il puisse pousser plus vîte & plus vigoureusement ; ensuite on relâche peu-à-peu ou on coupe entierement la ligature par-derriere l’écusson, à-mesure du progrès que l’on apperçoit : mais si c’est à œil dormant que la greffe ait été faite, c’est-à-dire après la S. Jean, on ne dégage l’écusson & l’on ne coupe la tête du sujet qu’au printems suivant, lorsque l’écusson commence à pousser.

On connoît encore d’autres manieres de greffer, telles que la greffe sur les racines, la greffe en queue de verge de foüet, la greffe par térébration, &c. mais la trop grande incertitude de leur succès les a fait négliger.

C’est principalement pour la multiplication des bonnes especes d’arbres fruitiers, que l’on fait usage de la greffe, attendu qu’en les élevant de semence, on ne se procureroit que très-rarement la même sorte de fruit dont on auroit semé la graine : il est bien constant d’ailleurs que la greffe contribue à perfectionner les fruits par les circuits & les détours que cette opération occasionne à la seve, en la forçant de traverser les inflexions & les replis qui se forment toûjours à l’endroit où la greffe s’unit au sujet. Mais on ne peut par le moyen de la greffe changer l’espece des arbres, ni même produire de nouvelles variétés ; ce grand œuvre est reservé à la seule nature : tout l’art se réduit à cet égard à donner aux fruits un fort petit degré de perfection. On se sert aussi de la greffe pour multiplier plusieurs arbrisseaux curieux, & même quelques arbres, tels que les belles especes d’érable, d’orme, de mûrier, &c. mais à ce dernier

égard, c’est au détriment de la figure, de la force, & de la durée des arbres ; ils ne peuvent jamais récupérer la beauté qu’ils auroient eue & l’élévation qu’ils auroient prise dans leur état naturel.

On est bien revenu du merveilleux que les anciens qui ont traité de l’Agriculture, & quantité de modernes après eux, attribuoient à la greffe : à les en croire, on pouvoit faire par cette voie les métamorphoses les plus étonnantes & changer la propre nature des choses, en faisant produire à la vigne de l’huile au lieu de vin, & aux arbres des forêts les fruits les plus délicieux, au lieu des graines seches qu’ils rapportent. A les entendre, le platane pouvoit devenir un arbre fruitier & produire des figues, des cerises, ou des pommes : mais je me suis assûré par plusieurs expériences, que le platane est peut-être de tous les arbres celui qui est le moins propre à servir de sujet pour la greffe ; non-seulement les fruits que l’on vient de citer n’y reprennent pas, mais même un seul écusson de figuier fait mourir le platane ; & ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que les écussons pris & appliqués sur le même arbre n’ont point encore voulu réussir, quoique cette épreuve ait été répétée quantité de fois. Les changemens que l’on peut opérer par le moyen de la greffe, sont plus bornés que l’on ne pense ; il faut entre l’arbre que l’on veut faire servir de sujet & celui que l’on veut y greffer, un rapport & une analogie qui ne sont pas toûjours indiqués sûrement par la ressemblance de la fleur & du fruit : ce sont pourtant les caracteres les plus capables d’annoncer le succès des greffes. Voyez les Planches de Jardinage.

GREFFER, voyez Greffe.

GREFFIER, s. m. scriba, actuarius, notarius, amanuensis, (Jurisprud.) est un officier qui est préposé pour recevoir & expédier jugemens & autres actes qui émanent d’une jurisdiction ; il est aussi chargé du dépôt de ces actes qu’on appelle le greffe.

Emilius Probus en la vie d’Eumenes, dit que chez les Grecs la fonction de greffier étoit plus honorable que chez les Romains ; que les premiers n’y admettoient que des personnes d’une fidélité & d’une capacité reconnues.

Chez les Romains, les scribes ou greffiers, que l’on appelloit aussi notaires parce qu’ils écrivoient en note ou abregé, étoient d’abord des esclaves publics appartenans au corps de chaque ville qui les employoit à faire les expéditions des tribunaux, afin qu’elles fussent délivrées gratuitement ; cela fit douter si l’esclave d’une ville ayant été affranchi, ne dérogeoit pas à sa liberté en continuant l’office de greffier ou notaire : mais la loi derniere, au code de servis reipubl. décida pour la liberté.

Dans la suite, Arcadius & Honorius défendirent de commettre des esclaves pour greffiers ou notaires ; desorte qu’on les élisoit dans chaque ville comme les juges appellés dans chaque ville deffensores civitatum : c’est pourquoi la fonction de greffier fut mise au nombre des offices municipaux ; de même qu’autrefois en France on mettoit aussi par élection les greffiers de ville & ceux des consuls des marchands.

Les présidens & autres gouverneurs des provinces se servoient de leurs clercs, domestiques, pour greffiers ; ceux-ci étoient appellés cancellarii ; ou bien ils en choissoient un à leur volonté ; ce qui leur fut défendu par les empereurs Arcadius & Honorius, lesquels ordonnerent que ces greffiers seroient dorénavant tirés par élection de l’office ou compagnie des officiers ministériels attachés à la suite du gouverneur, à la charge que ce corps & compagnie répondroit civilement des fautes de celui qu’il avoit élu pour greffier. Justinien ordonna que les greffiers des défenseurs des cités & des juges pédanées, seroient pris dans ce même corps.