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La premiere chose qui se présente dans cette question, est que les fleuves & les rivieres vont se rendre dans des golphes ou dans de grands lacs où ils portent continuellement leurs eaux. Or depuis tant de siecles que ces eaux se rassemblent dans ces grands réservoirs, l’océan & les autres mers auroient débordé de toutes parts & inondé la terre, si les vastes canaux qui s’y déchargent y portoient des eaux étrangeres qui ajoûtassent à leur immense volume. Il faut donc que ce soit la mer qui fournisse aux fontaines cette quantité d’eau qui lui rentre ; & qu’en conséquence de cette circulation les fleuves puissent couler perpétuellement, & transporter une masse d’eau considérable, sans trop remplir le vaste bassin qui la reçoit.

Ce raisonnement est un point fixe auquel doivent se réunir toutes les opinions qu’il est possible d’imaginer sur cette matiere, & qui se présente d’abord dès qu’on se propose de discuter celles qui le sont déjà. Mais comment l’eau va-t-elle de la mer aux fontaines ? Nous savons bien la route qu’elle tient pour retourner des fontaines à la mer, parce que les canaux de conduite sont pour la plûpart exposés à la vûe du peuple comme des Physiciens : mais ces derniers ne sont pas d’accord sur le méchanisme qui reporte l’immense quantité d’eau que les fleuves charrient, dans les réservoirs de leurs sources.

Je considere en second lieu que l’eau de la mer est salée, & que celle des fontaines est douce, ou que si elle est chargée de matieres étrangeres, on peut se convaincre aisément qu’elle ne les tire pas de la mer. Il faut donc que le méchanisme du transport, ou que nos tuyaux de conduite soient organisés de façon à faire perdre à l’eau de la mer, dans le trajet, sa salure, sa viscosité, & son amertume.

En combinant les moyens que les auteurs qui ont écrit avec le plus de lumieres & de sagesse sur l’origine des fontaines, ont essayé d’établir pour se procurer ce double avantage, on peut les rappeller à deux classes générales. Dans la premiere sont ceux qui prétendent que les vapeurs qui s’élevent par évaporation de dessus la surface de la mer, emportées & dissoutes dans l’atmosphere, voiturées ensuite par les vents sous la forme de nuages épais & de brouillards, arrêtées par les sommets élevés des montagnes, condensées en rosée, en neige, en pluie, saisissant les diverses ouvertures que les plans inclinés des collines leur offrent pour s’insinuer dans les corps des montagnes ou dans les couches propres à contenir l’eau, s’arrêtent & s’assemblent sur des lits de tuf & de glaise, & forment en s’échappant par la pente de ces lits & par leur propre poids, une fontaine passagere ou perpétuelle, suivant l’étendue du bassin qui les rassemble, ou plûtôt suivant celle des couches qui fournissent au bassin.

Dans la seconde classe sont ceux qui imaginent dans la masse du globe des canaux soûterreins, par lesquels les eaux de la mer s’insinuent, se filtrent, se distillent, & vont en s’élevant insensiblement remplir les cavernes qui fournissent à la dépense des fontaines. Ceux qui soûtiennent cette derniere opinion, l’exposent ainsi. La terre est remplie de grandes cavités & de canaux soûterreins, qui sont comme autant d’aqueducs naturels, par lesquels les eaux de la mer parviennent dans des cavernes creusées sous les bases des montagnes. Le feu soûterrein fait éprouver aux eaux rassemblées dans ces especes de cucurbites, un degré de chaleur capable de la faire monter en vapeurs dans le corps même de la montagne, comme dans le chapiteau d’un alembic. Par cette distillation, l’eau salée dépose ses sels au fond de ces grandes chaudieres ; mais le haut des cavernes est assez froid pour condenser & fixer les vapeurs qui se rassemblent & s’accrochent aux inégalités des

rochers, se filtrent à-travers les couches de terres entr’ouvertes, coulent sur les premiers lits qu’elles rencontrent, jusqu’à ce qu’elles puissent se montrer en-dehors par des ouvertures favorables à un écoulement, ou qu’après avoir formé un amas, elles se creusent un passage & produisent une fontaine.

Cette distillation, cette espece de laboratoire soûterrein, est de l’invention de Descartes (Princip. IV. part. §. 64.), qui dans les matieres de Physique imagina trop, calcula peu, & s’attacha encore moins à renfermer les faits dans de certaines limites, & à s’aider pour parvenir à la solution des questions obscures de ce qui étoit exposé à ses yeux. Avant Descartes, ceux qui avoient admis ces routes soûterreines, n’avoient pas distillé pour dégager les sels de l’eau de la mer ; & il faut avoüer que cette ressource auroit simplifié leur échafaudage, sans le rendre néanmoins plus solide.

Dans la suite, M. de la Hire (Mém. de l’acad. an. 1703.) crut devoir abandonner les alembics comme inutiles, & comme un travail imité de l’art toûjours suspect de supposition dans la nature. Il se restreignit à dire, qu’il suffisoit que l’eau de la mer parvînt par des conduits soûterreins, dans de grands réservoirs placés sous les continens au niveau de la mer, d’où la chaleur du sein de la terre, ou même le feu central, pût l’élever dans de petits canaux multipliés qui vont se terminer aux couches de la surface de la terre, où les vapeurs se condensent en partie par le froid & en partie par des sels qui les fixent. C’est pour le dire en passant, une méprise assez singuliere de prétendre que les sels qui se dissolvent dans les vapeurs, puissent les fixer. Selon d’autres physiciens, cette même force qui soûtient les liqueurs au-dessus de leur niveau dans les tubes capillaires, ou entre des plans contigus, peut faciliter considérablement l’élévation de l’eau marine adoucie. Voyez Capillaire, Tube, Attraction. On a fait joüer aussi par supplément, l’action du flux & reflux ; on a cru en tirer avantage, en supposant que son impulsion étoit capable de faire monter à une très-grande hauteur, malgré les lois de l’équilibre, les eaux qui circulent dans les canaux soûterreins ; ils ont cru aussi que le ressort de l’air dilaté par la chaleur soûterreine, & qui soûleve les molécules du fluide parmi lesquelles il est dispersé, y entroit aussi pour beaucoup.

La distillation imaginée par Descartes, avoit pour but de dessaler l’eau de la mer, & de l’élever au-dessus de son niveau : mais ceux qui se sont contentés de la faire filtrer au-travers des lits étroits & des couches de la terre, comme M. de la Hire, ont cru avec l’aide de la chaleur, obtenir le même avantage, & ils se sont fait illusion. 1°. L’eau de la mer que l’on veut faire monter par l’action des canaux capillaires formés entre les interstices des sables ou autres terres, ne produit jamais aucun écoulement ; parce que les sables & les terres n’attirent point les eaux douces ou salées en assez grande quantité pour produire cet effet. M. Perrault (orig. des font. pag. 154.) prit un tuyau de plomb d’un pouce huit lignes de diametre, & de deux piés de long ; il attacha un reticule de toile par le bas, & l’emplit de sable de riviere sec & passé au gros sas. Ce tuyau ayant été placé perpendiculairement dans un vase d’eau, à la profondeur de quatre lignes, le liquide monta à 18 pouces dans le sable. Boyle, Hauksbée & de la Hire, ont fait de semblables expériences, & l’eau s’est élevée de même à une hauteur considérable : mais M. Perrault alla plus loin. Il fit à son tuyau de plomb une ouverture latérale de sept à huit lignes de diametre ; & à deux pouces au-dessus de la surface de l’eau du vase à cette ouverture, il adapta dans une situation inclinée un tuyau aussi plein de sable, & y plaça