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déterminent par l’expression de l’objet, de la cause, de l’effet, de la forme, de la matiere, &c. Ils sont à leur égard ce que les domestiques sont à l’égard du maître : on dit des uns dans le sens propre, qu’ils sont gouvernés ; on le dit des autres dans le sens figuré.

Il seroit à desirer, dans le style didactique sur-tout, dont le principal mérite consiste dans la netteté & la précision, qu’on pût se passer de ces expressions figurées, toûjours un peu énigmatiques. Mais il est très-difficile de n’employer que des termes propres ; & il faut avoüer d’ailleurs que les termes figurés deviennent propres en quelque sorte, quand ils sont consacrés par l’usage & définis avec soin. On pouvoit cependant éviter l’emploi abusif du mot dont il est ici question, ainsi que des mots régir & régime, destinés au même usage. Il étoit plus simple de donner le nom de complément à ce que l’on appelle régime, parce qu’il sert en effet à rendre complet le sens qu’on se propose d’exprimer ; & alors on auroit dit tout simplement : le complément de telles prépositions doit être à tel cas ; le complément objectif du verbe actif doit être à l’accusatif, &c. M. Dumarsais a fait usage de ce mot en bien des occurrences, sans en faire en son lieu un article exprès : nous développerons nos vûes sur cet objet au mot Régime, en y exposant les principes de Grammaire qui peuvent y avoir rapport. On y verra que l’on peut quelquefois à peu de frais répandre la lumiere sur les élémens des Sciences & des Arts. (E. R. M.)

Gouverner, v. act. voyez Gouvernement.

Gouverner, (Marine.) c’est tenir le timon ou la barre du gouvernail pour conduire le vaisseau & porter le cap sur le rumb de vent qu’on veut suivre. On dit gouverner au nord, au sud, pour dire faire route au nord, ou au sud. (Z)

GOUVERNEUR D’UNE PLACE DE GUERRE, s. m. (Art milit.) est le premier commandant ou le premier officier de la place. Dans les villes importantes, outre le gouverneur il y a un officier général qui a le commandement des troupes. Ce second, ou plûtôt principal commandant, a été imaginé pour modérer le trop de pouvoir que les gouverneurs avoient autrefois, & les empêcher de pouvoir rien faire dans leurs places de contraire aux intentions du roi. M. de Puysegur, pere du célebre maréchal, auteur de l’Art de la guerre par regles & par principes, avoit donné la premiere idée au roi Louis XIII. de l’établissement de ces commandans. Elle n’a été pleinement exécutée que sous Louis XIV. Le chevalier de Ville a fait un traité de la charge des gouverneurs des places, dans lequel ces officiers peuvent puiser d’excellentes instructions pour s’acquitter dignement des fonctions de leur emploi. (Q)

Gouverneur d’un jeune homme, (Morale.) L’objet du gouverneur n’est pas d’instruire son éleve dans les Lettres ou dans les Sciences. C’est de former son cœur par rapport aux vertus morales, & principalement à celles qui conviennent à son état ; & son esprit, par rapport à la conduite de la vie, à la connoissance du monde & des qualités nécessaires pour y réussir.

Le gouverneur est quelquefois chargé de son éleve dès l’âge de sept ans ; ce qui n’a guere lieu que chez les princes. Ordinairement, & chez les gens de qualité, le jeune homme lui est remis, lorsqu’ayant fini l’étude du latin, il est sur le point de commencer ses exercices, & de faire les premiers pas dans le monde. On ne le considérera que dans cette derniere époque.

Les qualités qu’il doit avoir, les précautions qu’il faut apporter dans le choix qu’on en fait, la conduite des parens avec lui, la sienne avec son éleve : voilà les quatre points qui feront la matiere de cet article.

À l’âge où le jeune homme est remis entre les mains d’un gouverneur, l’éducation n’est plus une affaire d’autorité, c’est une affaire d’insinuation & de raison. Ce n’est pas que l’autorité en soit bannie, mais on ne l’y doit montrer que sobrement, & quand tous les autres moyens sont épuisés. Alors les penchans sont décidés, les volontés sont fortes, l’esprit est plus clairvoyant, l’amour-propre plus en garde, les passions commencent à paroître. Il faut donc de la part du gouverneur plus de ressources dans l’esprit, plus d’expérience, plus d’art, plus de prudence.

Si l’éducation précédente a été mauvaise, il ne faut pas se flatter de la réparer en entier : on développera les talens, on palliera les défauts, on sauvera le fond par la superficie. Il seroit à souhaiter qu’on pût faire mieux ; mais cela seul doit être regardé comme un objet très-important. Quand les penchans sont vicieux, c’est en détruire en partie les effets, & ce n’est pas rendre un petit service à l’homme en particulier & à l’humanité en général, que de les compenser par des talens, de leur donner un frein quel qu’il soit, & de les empêcher de se montrer à découvert.

Beaucoup de parens ne sont pas plus attentifs à cette partie de l’éducation qu’à toutes les autres. Ils donnent un gouverneur à leurs enfans, moins en vûe de leur être utiles, que par bienséance ou par faste. Ils préferent celui qui coûte le moins à celui qui mérite le plus ; ils bornent ses fonctions à garder le jeune homme à vûe, à l’accompagner quand il sort, à les en débarrasser quand il est dans la maison. Il est sans autorité, puisqu’il est sans considération : est-il étonnant que tant de gouverneurs soient des gens moins que médiocres, & que la plûpart des éducations réussissent si mal ? On seroit trop heureux si l’on pouvoit ramener les parens que ce reproche peut regarder, à une façon de penser plus raisonnable & plus conforme à leurs vrais intérêts.

A l’égard du pere tendre qui aime ses enfans comme il doit les aimer, qui regarde comme le premier de ses devoirs l’éducation de ses enfans, & qui ne veut rien négliger de ce qui peut y contribuer ; ce digne pere est un objet intéressant pour toute la société : tout citoyen vertueux doit concourir au succès de ses vûes, du-moins à l’empêcher d’être trompé : c’est pour lui que cet article est fait.

Que le gouverneur soit d’un âge mûr ; s’il étoit trop jeune, lui-même auroit besoin d’un Mentor ; s’il étoit trop âgé, il seroit à craindre qu’il ne descendît difficilement à beaucoup de minuties auxquelles il faut se prêter avec un jeune homme, & que tous deux ne prîssent de l’humeur : qu’il n’ait point de disgraces dans l’extérieur ni dans la figure ; il faudroit un mérite bien éminent pour effacer ces bagatelles. Les jeunes gens y sont plus sensibles qu’on ne pense ; ils en sont humiliés ou en font des plaisanteries.

Qu’il ait vécu dans le monde & qu’il le connoisse ; car s’il a passé sa vie dans son cabinet ou dans un coin de la société, reculé de la sphere où son éleve doit vivre, il sera gauche à beaucoup d’égards ; il y aura mille choses qu’il ne verra pas dans le point de vûe où il faut les voir ; il donnera à son éleve des conseils ridicules, & avec du mérite il s’en fera mépriser.

Qu’il ne soit pas non plus trop homme du monde, il seroit superficiel ; il pourroit avoir des principes qui ne seroient pas exacts ; il se plieroit difficilement à la contrainte que l’état exige ; il tomberoit dans l’impatience & dans le dégoût ; il se seroit engagé legerement, & négligeroit tout par ennui.

Qu’il ait moins de bel esprit que de bon esprit ; ce qu’il lui faut c’est un sens droit, un discernement juste, un esprit sage & sans prétentions. Toute pré-