L’Encyclopédie/1re édition/GOUVERNEMENT
GOUVERNEMENT, s. m. (Droit nat. & polit.) maniere dont la souveraineté s’exerce dans chaque état. Examinons l’origine, les formes, & les causes de la dissolution des gouvernemens. Ce sujet mérite les regards attentifs des peuples & des souverains.
Dans les premiers tems, un pere étoit de droit le prince & le gouverneur né de ses enfans ; car il leur auroit été bien mal-aisé de vivre ensemble sans quelque espece de gouvernement : eh quel gouvernement plus simple & plus convenable pouvoit-on imaginer, que celui par lequel un pere exerçoit dans sa famille la puissance exécutrice des lois de la nature !
Il étoit difficile aux enfans devenus hommes faits, de ne pas continuer à leur pere l’autorité de ce gouvernement naturel par un consentement tacite ; ils étoient accoûtumés à se voir conduire par ses soins, & à porter leurs différends devant son tribunal. La communauté des biens établie entr’eux, les sources du desir d’avoir encore inconnues, ne faisoient point germer de disputes d’avarice ; & s’il s’en élevoit quelqu’une sur d’autres sujets, qui pouvoit mieux les juger qu’un pere plein de lumieres & de tendresse ?
L’on ne distinguoit point dans ces tems-là entre minorité & majorité ; & si l’enfant étoit dans un âge à disposer de sa personne & des biens que le pere lui donnoit, il ne desiroit point de sortir de tutele, parce que rien ne l’y engageoit : ainsi le gouvernement auquel chacun s’étoit soûmis librement, continuoit toûjours à la satisfaction de chacun, & étoit bien plûtôt une protection & une sauve-garde, qu’un frein & une sujétion : en un mot les enfans ne pouvoient trouver ailleurs une plus grande sûreté pour leur paix, pour leur liberté, pour leur bonheur, que dans la conduite & le gouvernement paternel.
C’est pourquoi les peres devinrent les monarques politiques de leurs familles ; & comme ils vivoient long-tems, & laissoient ordinairement des héritiers capables & dignes de leur succéder, ils jettoient par-là les fondemens des royaumes héréditaires ou électifs, qui depuis ont été reglés par diverses constitutions & par diverses lois, suivant les pays, les lieux, les conjonctures & les occasions.
Que si après la mort du pere, le plus proche héritier qu’il laissoit n’étoit pas capable du gouvernement faute d’âge, de sagesse, de prudence, de courage, ou de quelque autre qualité ; ou bien si diverses familles convenoient de s’unir & de vivre ensemble dans une société, il ne faut point douter qu’alors tous ceux qui composoient ces familles n’usassent de leur liberté naturelle, pour établir sur eux celui qu’ils jugeoient le plus capable de les gouverner. Nous voyons que les peuples d’Amérique qui vivent éloignés de l’épée des conquérans, & de la domination sanguinaire des deux grands empires du Pérou & du Mexique, jouissent encore de leur liberté naturelle, & se conduisent de cette maniere ; tantôt ils choisissent pour leur chef l’héritier du dernier gouverneur ; tantôt le plus vaillant & le plus brave d’entre eux. Il est donc vraissemblable que tout peuple, quelque nombreux qu’il soit devenu, quelque vaste pays qu’il occupe, doit son commencement à une ou à plusieurs familles associées. On ne peut pas donner pour l’origine des nations, des établissemens par des conquêtes ; ces évenemens sont l’effet de la corruption de l’état primitif des peuples, & de leurs desirs immodérés. Voyez Conquête.
Puisqu’il est constant que toute nation doit ses commencemens à une ou à plusieurs familles ; elle a dû au-moins pendant quelque tems conserver la forme du gouvernement paternel, c’est-à-dire n’obéir qu’aux lois d’un sentiment d’affection & de tendresse, que l’exemple d’un chef excite & fomente entre des freres & des proches : douce autorité qui leur rend tous les biens communs, & ne s’attribue elle-même la propriété de rien !
Ainsi chaque peuple de la terre dans sa naissance & dans son pays natal, a été gouverné comme nous voyons que le sont de nos jours les petites peuplades de l’Amérique, & comme on dit que se gouvernoient les anciens Scythes, qui ont été comme la pepiniere des autres nations : mais à-mesure que ces peuples se sont accrus par le nombre & l’étendue des familles, les sentimens d’union fraternelle ont dû s’affoiblir.
Celles de ces nations qui par des causes particulieres sont restées les moins nombreuses, & sont plus long-tems demeurées dans leur patrie, ont le plus constamment conservé leur premiere forme de gouvernement toute simple & toute naturelle : mais les nations qui trop resserrées dans leur pays, se sont vues obligées de transmigrer, ont été forcées par les circonstances & les embarras d’un voyage, ou par la situation & par la nature du pays où elles se sont portées, d’établir d’un libre consentement les formes de gouvernement qui convenoient le mieux à leur génie, à leur position & à leur nombre.
Tous les gouvernemens publics semblent évidemment avoir été formés par délibération, par consultation & par accord. Qui doute, par exemple, que Rome & Venise n’ayent commencé par des hommes libres & indépendans les uns à l’égard des autres, entre lesquels il n’y avoit ni supériorité ni sujétion naturelle, & qui sont convenus de former une société de gouvernement ? Il n’est pas cependant impossible, à considérer la nature en elle-même, que des hommes puissent vivre sans aucun gouvernement public. Les habitans du Pérou n’en avoient point ; encore aujourd’hui les Chériquanas, les Floridiens & autres, vivent par troupes sans regles & sans lois : mais en général, comme il falloit chez les autres peuples moins sauvages repousser avec plus de sûreté les injures particulieres, ils prirent le parti de choisir une sorte de gouvernement & de s’y soûmettre, ayant reconnu que les desordres ne finiroient point, s’ils ne donnoient l’autorité & le pouvoir à quelqu’un ou à quelques-uns d’entr’eux de décider toutes les querelles, personne n’étant en droit sans cette autorité de s’ériger en seigneur & en juge d’aucun autre. C’est ainsi que se conduisirent ceux qui vinrent de Sparte avec Pallante, & dont Justin fait mention. En un mot toutes les sociétés politiques ont commencé par une union volontaire de particuliers, qui ont fait le libre choix d’une sorte de gouvernement ; ensuite les inconvéniens de la forme de quelques-uns de ces gouvernemens, obligerent les mêmes hommes qui en étoient membres, de les réformer, de les changer, & d’en établir d’autres.
Dans ces sortes d’établissemens s’il est arrivé d’abord (ce qui peut être) qu’on se soit contenté de remettre tout à la sagesse & à la discrétion de celui ou de ceux qui furent choisis pour premiers gouverneurs, l’expérience fit voir que ce gouvernement arbitraire détruisoit le bien public, & aggravoit le mal loin d’y remédier : c’est pourquoi en fit des lois, dans lesquelles chacun put lire son devoir & connoître les peines que méritent ceux qui les violent.
La principale de ces lois fut que chacun auroit & posséderoit en sûreté ce qui lui appartenoit en propre. Cette loi est de droit naturel. Quel que soit le pouvoir qu’on accorde à ceux qui gouvernent, ils n’ont point le droit de se saisir des biens propres d’aucun sujet, pas même de la moindre portion de ces biens, contre le consentement du propriétaire. Le pouvoir le plus absolu, quoiqu’absolu quand il est nécessaire de l’exercer, n’est pas même arbitraire sur cet article ; le salut d’une armée & de l’état demande qu’on obéisse aveuglement aux officiers supérieurs : un soldat qui fait signe de contester est puni de mort ; cependant le général même avec tout son pouvoir de vie & de mort, n’a pas celui de disposer d’un denier du bien de ce soldat, ni de se saisir de la moindre partie de ce qui lui appartient en propre.
Je sai que ce général peut faire des conquêtes, & qu’il y a des auteurs qui regardent les conquêtes comme l’origine & le fondement des gouvernemens : mais les conquêtes sont aussi éloignées d’être l’origine & le fondement des gouvernemens, que la démolition d’une maison est éloignée d’être la vraie cause de la construction d’une autre maison dans la même place. A la vérité la destruction d’un état prépare un nouvel état ; mais la conquête qui l’établit par la force n’est qu’une injustice de plus : toute puissance souveraine légitime doit émaner du consentement libre des peuples.
Quelques-uns de ces peuples ont placé cette puissance souveraine dans tous les chefs de famille assemblés, & réunis en un conseil, auquel est dévolu le pouvoir de faire des lois pour le bien public, & de faire exécuter ces lois par des magistrats commis à cet effet ; & alors la forme de ce gouvernement se nomme une démocratie. Voyez Démocratie.
D’autres peuples ont attribue toute l’autorité souveraine à un conseil, composé des principaux citoyens, & alors la forme de ce gouvernement s’appelle une aristocratie. Voyez Aristocratie.
D’autres nations ont confié indivisement la souveraine puissance & tous les droits qui lui sont essentiels, entre les mains d’un seul homme, roi, monarque ou empereur ; & alors la forme de ce gouvernement est une monarchie. Voyez Monarchie.
Quand le pouvoir est remis entre les mains de ce seul homme, & ensuite de ses héritiers, c’est une monarchie héréditaire ; s’il lui est confié seulement pendant sa vie, & à condition qu’après sa mort le pouvoir retourne à ceux qui l’ont donné, & qu’ils nommeront un successeur, c’est une monarchie élective.
D’autres peuples faisant une espece de partage de souveraineté, & mélangeant pour ainsi dire les formes des gouvernemens dont on vient de parler, en ont confié les différentes parties en differentes mains, ont tempéré la monarchie par l’aristocratie, & en même tems ont accordé au peuple quelque part dans la souveraineté.
Il est certain qu’une société a la liberté de former un gouvernement de la maniere qu’il lui plait, de le mêler & de le combiner de différentes façons. Si le pouvoir législatif a été donné par un peuple à une personne, ou à plusieurs à vie, ou pour un tems limité, quand ce tems-là est fini, le pouvoir souverain retourne à la société dont il émane. Dès qu’il y est retourné, la société en peut de nouveau disposer comme il lui plaît, le remettre entre les mains de ceux qu’elle trouve bon, de la maniere qu’elle juge à-propos, & ainsi ériger une nouvelle forme de gouvernement. Que Puffendorff qualifie tant qu’il voudra toutes les sortes de gouvernemens mixtes du nom d’irréguliers, la véritable régularité sera toujours celle qui sera le plus conforme au bien des sociétés civiles.
Quelques écrivains politiques prétendent que tous les hommes étant nés sous un gouvernement, n’ont point la liberté d’en instituer un nouveau : chacun, disent-ils, naît sujet de son pere ou de son prince, & par conséquent chacun est dans une perpétuelle obligation de sujétion ou de fidélité. Ce raisonnement est plus spécieux que solide. Jamais les hommes n’ont regardé aucune sujétion naturelle dans laquelle ils soient nés, à l’égard de leur pere ou de leur prince, comme un lien qui les oblige sans leur propre consentement à se soûmettre à eux. L’histoire sacrée & profane nous fournissent de fréquens exemples d’une multitude de gens qui se sont retirés de l’obéissance & de la jurisdiction sous laquelle ils étoient nés, de la famille & de la communauté dans laquelle ils avoient été nourris, pour établir ailleurs de nouvelles sociétés & de nouveaux gouvernemens.
Ce sont ces émigrations, également libres & légitimes, qui ont produit un si grand nombre de petites sociétés, lesquelles se répandirent en différens pays, se multiplierent, & y séjournerent autant qu’elles trouverent dequoi subsister, ou jusqu’à ce que les plus forts engloutissant les plus foibles, établirent de leurs débris de grands empires, qui à leur tour ont été brisés & dissous en diverses petites dominations : au lieu de quantité de royaumes, il ne se seroit trouvé qu’une seule monarchie dans les premiers siecles, s’il étoit vrai que les hommes n’ayent pas eû la liberté naturelle de se séparer de leurs familles & de leur gouvernement, quel qu’il ait été, pour en ériger d’autres à leur fantaisie.
Il est clair par la pratique des gouvernemens eux-mêmes, aussi-bien que par les lois de la droite raison, qu’un enfant ne naît sujet d’aucun pays ni d’aucun gouvernement ; il demeure sous la tutele & l’autorité de son pere, jusqu’à ce qu’il soit parvenu à l’âge de raison. A cet âge de raison, il est homme libre, il est maître de choisir le gouvernement sous lequel il trouve bon de vivre, & de s’unir au corps politique qui lui plaît davantage ; rien n’est capable de le soûmettre à la sujétion d’aucun pouvoir sur la terre, que son seul consentement. Le consentement qui le soûmet à quelque gouvernement, est exprès ou tacite. Le consentement expres le rend sans contredit membre de la société qu’il adopte ; le consentement tacite le lie aux lois du gouvernement dans lequel il jouit de quelque possession : mais si son obligation commence avec ses possessions, elle finit aussi avec leur joüissance. Alors des propriétaires de cette nature sont maîtres de s’incorporer à une autre communauté, & d’en ériger une nouvelle, in vacuis locis, comme on dit en termes de Droit, dans un desert, ou dans quelque endroit du monde, qui soit sans possesseurs & sans habitations.
Cependant, quoique les hommes soient libres de quitter un gouvernement, pour se soûmettre à un autre, il n’en faut pas conclure que le gouvernement auquel ils préferent de se soûmettre, soit plus légitime que celui qu’ils ont quitté ; les gouvernemens de quelque espece qu’ils soient, qui ont pour fondement un acquiescement libre des peuples, ou exprès, ou justifié par une longue & paisible possession, sont également légitimes, aussi long-tems du-moins que par l’intention du souverain, ils tendent au bonheur des peuples : rien ne peur dégrader un gouvernement qu’une violence ouverte & actuelle, soit dans son établissement, soit dans son exercice, je veux dire l’usurpation & la tyrannie. Voyez Usurpation & Tyrannie.
Mais la question qui partage le plus les esprits, est de déterminer quelle est la meilleure forme de gouvernement. Depuis le conseil tenu à ce sujet par les sept grands de Perses jusqu’à nos jours, on a jugé diversement cette grande question, discutée jadis dans Hérodote, & on l’a presque toûjours décidée par un goût d’habitude ou d’inclination, plûtôt que par un goût éclairé & refléchi.
Il est certain que chaque forme de gouvernement a ses avantages & ses inconvéniens, qui en sont inséparables. Il n’est point de gouvernement parfait sur la terre ; & quelque parfait qu’il paroisse dans la spéculation, dans la pratique & entre les mains des hommes il sera toûjours accompagné d’instabilité, de révolutions & de vicissitudes : enfin le meilleur se détruira, tant que ce seront des hommes qui gouverneront des hommes.
On pourroit cependant répondre en général à la question proposée, que c’est dans un tempérament propre à réprimer la licence, sans dégénérer en oppression, qu’il faut prendre l’idée de la meilleure forme de gouvernement. Tel sera celui qui fuyant les extrémités, pourra pourvoir au bon ordre, aux besoins du dedans & du dehors, en laissant au peuple des sûretés suffisantes qu’on ne s’écartera pas de cette fin.
Le législateur de Lacédémone voyant que les trois sortes de gouvernemens simples avoient chacun de grands inconvéniens ; que la monarchie dégénéroit aisément en pouvoir arbitraire, l’aristocratie en un gouvernement injuste de quelque particulier, & la démocratie en une domination aveugle & sans regles ; Lycurgue, dis-je, crut devoir faire entrer ces trois sortes de gouvernemens dans celui de sa patrie, & les fondre, pour ainsi dire, en un seul, en sorte qu’ils se servissent l’un à l’autre de balance & de contre-poids. Ce sage mortel ne se trompa pas, du-moins nulle république n’a conservé si long-tems ses lois, ses usages & sa liberté, que celle de Lacédémone.
Il y a dans l’Europe un état extrèmement florissant, où les trois pouvoirs sont encore mieux fondus que dans la république des Spartiates. La liberté politique est l’objet direct de la constitution de cet état, qui, selon toute apparence, ne peut périr par les desordres du dedans, que lorsque la puissance législative sera plus corrompue que l’exécutrice. Personne n’a mieux développé le beau système du gouvernement de l’état dont je parle, que l’auteur de l’esprit des lois.
Au reste il est très-nécessaire d’observer que tout gouvernement ne convient pas également à tous les peuples ; leur forme doit dépendre infiniment du local, du climat, ainsi que de l’esprit, du génie, du caractere de la nation, & de son étendue.
Quelque forme que l’on préfere, il y a toûjours une premiere fin dans tout gouvernement, qui doit être prise du bien général de la nation ; & sur ce principe le meilleur des gouvernemens est celui qui fait le plus grand nombre d’heureux. Quelle que soit la forme du gouvernement politique, le devoir de quiconque en est chargé, de quelque maniere que ce soit, est de travailler à rendre heureux les sujets, en leur procurant d’un côté les commodités de la vie, la sûreté & la tranquillité ; & de l’autre tous les moyens qui peuvent contribuer à leurs vertus. La loi souveraine de tout bon gouvernement est le bien public, salus populi, suprema lex esto : aussi dans le partage où l’on est sur les formes du gouvernement, on convient de cette derniere vérité d’une voix unanime.
Il est sans doute important de rechercher, en partant d’après ce principe, quel seroit dans le monde le plus parfait gouvernement qu’on pût établir, quoique d’autres servent aux fins de la société pour laquelle ils ont été formés ; & quoiqu’il ne soit pas aussi facile de fonder un nouveau gouvernement, que de bâtir un vaisseau sur une nouvelle théorie, le sujet n’en est pas moins un des plus dignes de notre curiosité. Dans le cas même où la question sur la meilleure forme de gouvernement seroit décidée par le consentement universel des politiques, qui sait si dans quelques siecles il ne pourroit pas se trouver une occasion de réduire la théorie en pratique, soit par la dissolution d’un ancien gouvernement, soit par d’autres évenemens qui demanderoient qu’on établît quelque part un nouveau gouvernement ? Dans tous les cas il nous doit être avantageux de connoître ce qu’il y a de plus parfait dans l’espece, afin de nous mettre en état de rapprocher autant qu’il est possible toutes constitutions de gouvernement de ce point de perfection, par de nouvelles lois, par des altérations imperceptibles dans celles qui regnent, & par des innovations avantageuses au bien de la société. La succession des siecles a servi à perfectionner plusieurs arts & plusieurs sciences ; pourquoi ne serviroit-elle pas à perfectionner les différentes sortes de gouvernemens, & à leur donner la meilleure forme ?
Déjà par des principes éclairés & des expériences connues, on éviteroit dans une nouvelle constitution ou dans une réforme de gouvernement, tous les défauts palpables qui s’opposent ou qui ne manqueroient pas de s’opposer à son accroissement, à sa force & à sa prospérité.
Ce seroit des défauts dans un gouvernement, si les lois & les coûtumes d’un état n’étoient pas conformes au naturel du peuple, ou aux qualités & à la situation du pays. Par exemple, si les lois tendoient à tourner du côté des armes un peuple propre aux arts de la paix ; ou si ces mêmes lois négligeoient d’encourager, d’honorer le commerce & les manufactures, dans un pays situé favorablement pour en retirer un grand profit. Ce seroit des défauts dans un gouvernement, si la constitution des lois fondamentales n’étoit avantageuse qu’aux grands ; si elle tendoit à rendre l’expédition des affaires également lente & difficile. Telles sont les lois à réformer en Pologne, où, d’un côté, celui qui a tué un paysan, en est quitte pour une amende ; & où d’un autre côté, l’opposition d’un seul des membres de l’assemblée rompt la diete, qui d’ailleurs est bornée à un tems trop court pour l’expédition des affaires. Enfin (car je n’ai pas le dessein de faire la satyre des états) partout où se trouveroient des réglemens & des usages contraires aux maximes capitales de la bonne politique, ce seroit des défauts considérables dans un gouvernement ; & si par malheur on pouvoit colorer ces défauts du prétexte spécieux de la religion, les effets en seroient beaucoup plus funestes.
Ce n’est pas assez que d’abroger les lois qui sont des défauts dans un état, il faut que le bien du peuple soit la grande fin du gouvernement. Les gouverneurs sont nommés pour la remplir ; & la constitution civile qui les revêt de ce pouvoir, y est engagée par les lois de la nature, & par la loi de la raison, qui a déterminé cette fin dans toute forme de gouvernement, comme le mobile de son bonheur. Le plus grand bien du peuple, c’est sa liberté. La liberté est au corps de l’état, ce que la santé est à chaque individu ; sans la santé, l’homme ne peut goûter de plaisir ; sans la liberté, le bonheur est banni des états. Un gouverneur patriote verra donc que le droit de défendre & de maintenir la liberté, est le plus sacré de ses devoirs.
Ensuite le soin principal dont il doit s’occuper, est de travailler à prévenir toutes les tristes causes de la dissolution des gouvernemens ; & cette dissolution peut se faire par les desordres du dedans, & par la violence du dehors.
1°. Cette dissolution du gouvernement peut arriver, lorsque la puissance législative est altérée. La puissance législative est l’ame du corps politique ; c’est de-là que les membres de l’état tirent tout ce qui leur est nécessaire pour leur conservation, pour leur union, & pour leur bonheur. Si donc le pouvoir législatif est ruiné, la dissolution & la mort de tout le corps politique s’ensuivent.
2°. Un gouvernement peut se dissoudre, lorsque celui qui a la puissance suprème & exécutrice abandonne son emploi, de maniere que les lois déjà faites ne puissent être mises en exécution. Ces lois ne sont pas établies pour elles-mêmes ; elles n’ont été données que pour être les liens de la société, qui continssent chaque membre dans sa fonction. Si les lois cessent, le gouvernement cesse en même tems, & le peuple devient une multitude confuse, sans ordre & sans frein ; quand la justice n’est plus administrée, & que par conséquent les droits de chacun ne sont plus en sûreté, il ne reste plus de gouvernement. Dès que les lois n’ont plus d’exécution, c’est la même chose que s’il n’y en avoit point ; un gouvernement sans lois, est un mystere dans la politique, inconcevable à l’esprit de l’homme, & incompatible avec la société humaine.
3°. Les gouvernemens peuvent se dissoudre quand la puissance législative ou exécutrice agissent par la force, au-delà de l’autorité qui leur a été commise, & d’une maniere opposée à la confiance qu’on a prise en elles : c’est ce qui arrive, par exemple, lorsque ceux qui sont revêtus de ces pouvoirs, envahissent les biens des citoyens, & se rendent arbitres absolus des choses qui appartiennent en propre à la communauté, je veux dire de la vie, de la liberté, & des richesses du peuple. La raison pour laquelle on entre dans une société politique, c’est afin de conserver ses biens propres ; & la fin pour laquelle on revêt certaines personnes de l’autorité législative & de la puissance exécutrice, c’est pour avoir une puissance & des lois qui protegent & conservent ce qui appartient en propre à toute la société.
S’il arrive que ceux qui tiennent les renes du gouvernement trouvent de la résistance, lorsqu’ils se servent de leur pouvoir pour la destruction, & non pour la conservation des choses qui appartiennent en propre au peuple, ils doivent s’en prendre à eux-mêmes, parce que le bien public & l’avantage de la société sont la fin de l’institution d’un gouvernement. D’où résulte nécessairement que le pouvoir ne peut être arbitraire, & qu’il doit être exercé suivant des lois établies, afin que le peuple puisse connoître son devoir, & se trouver en sûreté à l’ombre des lois ; & afin qu’en même tems les gouverneurs soient retenus dans de justes bornes, & ne soient point tentés d’employer le pouvoir qu’ils ont en main, pour faire des choses nuisibles à la société politique.
4°. Enfin une force étrangere, prévûe ou imprévûe, peut entierement dissoudre une société politique ; quand cette société est dissoute par une force etrangere, il est certain que son gouvernement ne sauroit subsister davantage. Ainsi l’épée d’un conquérant renverse, confond, détruit toutes choses ; & par elle la société & le gouvernement sont mis en pieces, parce que ceux qui sont subjugués, sont privés de la protection de ce gouvernement dont ils dépendoient, & qui étoit destiné à les défendre. Tout le monde conçoit aisément, que lorsque la société est dissoute, le gouvernement ne sauroit subsister : il est aussi impossible que le gouvernement subsiste alors, qu’il l’est que la structure d’une maison subsiste, après que les matériaux dont elle avoit été construite, ont été séparés les uns des autres par un ouragan, ou ont été confondus pêle-mêle en un monceau, par un tremblement de terre.
Indépendamment de ces malheurs, il faut convenir qu’il n’y a point de stabilité absolue dans l’humanité ; car ce qui existe immuablement, existe nécessairement, & cet attribut de l’Etre suprème ne peut appartenir à l’homme ni à ses ouvrages. Les gouvernemens les mieux institués, ainsi que les corps des animaux les mieux constitués, portent en eux le principe de leur destruction. Etablissez avec Lycurgue les meilleures lois ; imaginez avec Sidney les moyens de fonder la plus sage république ; faites avec Alfred qu’une nation nombreuse trouve son bonheur dans une monarchie, tout cela ne durera qu’un certain tems. Les états après s’être accrus & aggrandis, tendent ensuite à leur décadence & à leur dissolution : ainsi la seule voie de prolonger la durée d’un gouvernement florissant, est de le ramener à chaque occasion favorable, aux principes sur lesquels il a été fondé. Quand ces occasions se présentent souvent, & qu’on les saisit à-propos, les gouvernemens sont plus heureux & plus durables ; lorsque ces occasions arrivent rarement, ou qu’on en profite mal, les corps politiques se dessechent, se fannent, & périssent. Article de M. le Chev. de Jaucourt.
Gouvernement militaire, (Art milit.) c’est le commandement souverain & la disposition de tout le pouvoir militaire d’une nation par terre & par mer. Voyez Gouvernement. (Q)
Gouvernement, (Marine.) c’est la conduite du vaisseau. Le maître & le pilote ne sont pas responsables de la force des courans ni des vents contraires, mais ils le doivent être de la manœuvre & du mauvais gouvernement. (Z)