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défendre & de maintenir la liberté, est le plus sacré de ses devoirs.

Ensuite le soin principal dont il doit s’occuper, est de travailler à prévenir toutes les tristes causes de la dissolution des gouvernemens ; & cette dissolution peut se faire par les desordres du dedans, & par la violence du dehors.

1°. Cette dissolution du gouvernement peut arriver, lorsque la puissance législative est altérée. La puissance législative est l’ame du corps politique ; c’est de-là que les membres de l’état tirent tout ce qui leur est nécessaire pour leur conservation, pour leur union, & pour leur bonheur. Si donc le pouvoir législatif est ruiné, la dissolution & la mort de tout le corps politique s’ensuivent.

2°. Un gouvernement peut se dissoudre, lorsque celui qui a la puissance suprème & exécutrice abandonne son emploi, de maniere que les lois déjà faites ne puissent être mises en exécution. Ces lois ne sont pas établies pour elles-mêmes ; elles n’ont été données que pour être les liens de la société, qui continssent chaque membre dans sa fonction. Si les lois cessent, le gouvernement cesse en même tems, & le peuple devient une multitude confuse, sans ordre & sans frein ; quand la justice n’est plus administrée, & que par conséquent les droits de chacun ne sont plus en sûreté, il ne reste plus de gouvernement. Dès que les lois n’ont plus d’exécution, c’est la même chose que s’il n’y en avoit point ; un gouvernement sans lois, est un mystere dans la politique, inconcevable à l’esprit de l’homme, & incompatible avec la société humaine.

3°. Les gouvernemens peuvent se dissoudre quand la puissance législative ou exécutrice agissent par la force, au-delà de l’autorité qui leur a été commise, & d’une maniere opposée à la confiance qu’on a prise en elles : c’est ce qui arrive, par exemple, lorsque ceux qui sont revêtus de ces pouvoirs, envahissent les biens des citoyens, & se rendent arbitres absolus des choses qui appartiennent en propre à la communauté, je veux dire de la vie, de la liberté, & des richesses du peuple. La raison pour laquelle on entre dans une société politique, c’est afin de conserver ses biens propres ; & la fin pour laquelle on revêt certaines personnes de l’autorité législative & de la puissance exécutrice, c’est pour avoir une puissance & des lois qui protegent & conservent ce qui appartient en propre à toute la société.

S’il arrive que ceux qui tiennent les renes du gouvernement trouvent de la résistance, lorsqu’ils se servent de leur pouvoir pour la destruction, & non pour la conservation des choses qui appartiennent en propre au peuple, ils doivent s’en prendre à eux-mêmes, parce que le bien public & l’avantage de la société sont la fin de l’institution d’un gouvernement. D’où résulte nécessairement que le pouvoir ne peut être arbitraire, & qu’il doit être exercé suivant des lois établies, afin que le peuple puisse connoître son devoir, & se trouver en sûreté à l’ombre des lois ; & afin qu’en même tems les gouverneurs soient retenus dans de justes bornes, & ne soient point tentés d’employer le pouvoir qu’ils ont en main, pour faire des choses nuisibles à la société politique.

4°. Enfin une force étrangere, prévûe ou imprévûe, peut entierement dissoudre une société politique ; quand cette société est dissoute par une force etrangere, il est certain que son gouvernement ne sauroit subsister davantage. Ainsi l’épée d’un conquérant renverse, confond, détruit toutes choses ; & par elle la société & le gouvernement sont mis en pieces, parce que ceux qui sont subjugués, sont privés de la protection de ce gouvernement dont ils dépendoient, & qui étoit destiné à les défendre. Tout le monde conçoit aisé-

ment, que lorsque la société est dissoute, le gouvernement ne sauroit subsister : il est aussi impossible que

le gouvernement subsiste alors, qu’il l’est que la structure d’une maison subsiste, après que les matériaux dont elle avoit été construite, ont été séparés les uns des autres par un ouragan, ou ont été confondus pêle-mêle en un monceau, par un tremblement de terre.

Indépendamment de ces malheurs, il faut convenir qu’il n’y a point de stabilité absolue dans l’humanité ; car ce qui existe immuablement, existe nécessairement, & cet attribut de l’Etre suprème ne peut appartenir à l’homme ni à ses ouvrages. Les gouvernemens les mieux institués, ainsi que les corps des animaux les mieux constitués, portent en eux le principe de leur destruction. Etablissez avec Lycurgue les meilleures lois ; imaginez avec Sidney les moyens de fonder la plus sage république ; faites avec Alfred qu’une nation nombreuse trouve son bonheur dans une monarchie, tout cela ne durera qu’un certain tems. Les états après s’être accrus & aggrandis, tendent ensuite à leur décadence & à leur dissolution : ainsi la seule voie de prolonger la durée d’un gouvernement florissant, est de le ramener à chaque occasion favorable, aux principes sur lesquels il a été fondé. Quand ces occasions se présentent souvent, & qu’on les saisit à-propos, les gouvernemens sont plus heureux & plus durables ; lorsque ces occasions arrivent rarement, ou qu’on en profite mal, les corps politiques se dessechent, se fannent, & périssent. Article de M. le Chev. de Jaucourt.

Gouvernement militaire, (Art milit.) c’est le commandement souverain & la disposition de tout le pouvoir militaire d’une nation par terre & par mer. Voyez Gouvernement. (Q)

Gouvernement, (Marine.) c’est la conduite du vaisseau. Le maître & le pilote ne sont pas responsables de la force des courans ni des vents contraires, mais ils le doivent être de la manœuvre & du mauvais gouvernement. (Z)

GOUVERNER, v. act. terme de Grammaire. Il ne suffit pas, pour exprimer une pensée, d’accumuler des mots indistinctement : il doit y avoir entre tous ces mots une corrélation universelle qui concourre à l’expression du sens total. Les noms appellatifs, les prépositions, & les verbes relatifs, ont essentiellement une signification vague & générale, qui doit être déterminée tantôt d’une façon, tantôt d’une autre, selon les conjonctures. Cette détermination se fait communément par des noms que l’on joint aux mots indéterminés, & qui, en conséquence de leur destination, se revêtent de telle ou telle forme, prennent telle ou telle place, suivant l’usage & le génie de chaque langue.

Or ce sont les mots indéterminés qui, dans le langage des Grammairiens gouvernent ou régissent les noms déterminans. Ainsi les méthodes pour apprendre la langue latine disent, que le verbe actif gouverne l’accusatif : c’est une expression abregée, pour dire, que quand on veut donner à la signification vague d’un verbe actif, une détermination spéciale tirée de l’indication de l’objet auquel s’applique l’action énoncée par le verbe, on doit mettre le nom de cet objet au cas accusatif, parce que l’usage a destiné ce cas à marquer cette sorte de service.

C’est une métaphore prise d’un usage très-ordinaire de la vie civile. Un grand gouverne ses domestiques, & les domestiques attachés à son service lui sont subordonnés ; il leur fait porter sa livrée, le public la reconnoît & décide au coup-d’œil, que tel homme appartient à tel maître. Les cas que prennent les noms déterminatifs sont de même une sorte de livrée ; c’est par-là que l’on juge que ces noms sont, pour ainsi dire, attachés au service des mots qu’ils