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le cas de dire ici, d’après le Port-royal ? Ce n’est pas une loüange de bien savoir sa langue ; mais c’est une honte de ne la savoir pas. (e)

GOURMANDISE, s. f. (Morale.) amour raffiné & desordonné de la bonne-chere. Horace l’appelle ingrata ingluvies. C’étoit aussi la définition de Callimaque qui y ajoûte cette réflexion : « Tout ce que j’ai donné à mon ventre a disparu, & j’ai conservé toute la pâture que j’ai donnée à mon esprit ».

Varron irrité contre un des Curtillus de son siecle, qui mettoit son application à combiner l’opposition, l’harmonie, & les proportions des différentes saveurs, pour faire de ce mélange un excellent ragoût, dit à cet homme : « Si de toutes les peines que vous avez prises pour rendre bon votre cuisinier, vous en aviez consacré quelques-unes à étudier la Philosophie, vous vous seriez rendu bon vous-même ».

La remarque de Varron ne corrigea ni ce riche sensuel, ni ses semblables ; au contraire ils tournerent en ridicule le plus instruit des Romains sur la vie rustique, le plus docte sur la Grammaire, sur l’Histoire, & sur tant d’autres sujets. N’en soyons pas étonnés, la gourmandise est un mérite dans les pays de luxe & de vanité, où les vices sont érigés en vertus : c’est le fruit de la mollesse opulente ; il se forme dans son sein, se perfectionne par l’habitude, & devient enfin si délicat, qu’il faut tout le génie d’un cuisinier pour satisfaire ses raffinemens. Voyez Cuisine.

Les Romains succomberent sous le poids de leur grandeur, quand la tempérance tomba dans le mépris, & qu’on vit succéder à la frugalité des Curius & des Fabricius, la sensualité des Catius & des Apicius. Trois hommes de ce dernier nom se rendirent alors célebres par leurs recherches en gourmandise ; il falloit que leurs tables fussent couvertes des oiseaux du Phase, qu’on alloit chercher au-travers des périls de la mer, & que les langues de paons & de rossignols y parussent délicieusement apprêtées. C’est, si je ne me trompe, le second de ces trois que Pline appelle nepotum omnium altissimus gurges : il tint école de son art en théorie & en pratique, dépensa cinq millions de livres de nos jours à y exceller ; & se jugeant ruiné parce qu’il ne lui restoit que cinq cents mille francs de bien, il s’empoisonna, craignant de mourir de faim avec si peu d’argent.

Dans ces tems-là Rome nourrissoit des gourmets qui prétendoient avoir le palais assez fin pour discerner si le poisson appellé loup-de-mer, avoit été pris dans le Tibre entre deux ponts, ou près de l’embouchure de ce fleuve ; & ils n’estimoient que celui qui avoit été pris entre deux ponts. Ils rejettoient les foies d’oies engraissées avec des figues seches, & n’en faisoient cas que quand les oies avoient été engraissées avec des figues fraîches.

Nous ne parlerons pas des excès de la table d’un Antiochus-Epiphane, des dissolutions en ce genre d’un Vitellius, & de celles d’un Héliogabale. Nous ne rappellerons pas non plus les recherches honteuses des anciens Sybarites, qui accordoient l’exemption de tout impôt aux pêcheurs de je ne sais quel poisson, parce qu’ils en étoient extrèmement friands. Nous ne passerons point en revûe nos Sybarites modernes, qui dévorent en un repas la subsistance de cent familles. Les suites de ce vice sont cruelles ; ceux qui s’y livrent avec excès, sont exposés à éprouver des maux de toute espece.

Homere le faisoit sentir à ses contemporains, en ne couvrant que de bœuf rôti la table de ses héros, & n’exceptant de cette regle ni le tems des nôces, ni les festins d’Alcinoüs, ni la vieillesse de Nestor, ni même les débauches des amans de Pénélope.

Il paroît qu’Agésilas, roi de Lacédémone, suivit constamment le précepte d’Homere ; car sa table

étoit la même que celle des capitaines grecs immortalisés dans l’Iliade ; & comme un jour les Thasiens lui apporterent en don des friandises de grand prix, il les distribua sur-le-champ aux Ilotes, pour prouver aux Lacédémoniens que la simplicité de sa vie, semblable à celle des citoyens de Sparte, n’étoit point altérée.

Alexandre même profita de la leçon de son poëte favori. Plutarque rapporte qu’Adda, reine de Candie, ayant obtenu la protection de ce prince contre Orondonbate, seigneur persan, crut pouvoir lui marquer sa reconnoissance en lui envoyant toutes sortes de mets exquis, & les meilleurs cuisiniers qu’elle put trouver ; mais Alexandre lui renvoya le tout, & lui répondit qu’il n’avoit aucun besoin de ces mets si délicats, & que Léonidas son gouverneur lui avoit autrefois donné de meilleurs cuisiniers que tous ceux de l’univers, en lui apprenant que pour dîner avec plaisir il falloit se lever matin & prendre de l’exercice ; & que pour souper avec plaisir, il falloit dîner sobrement.

La chere la plus délicieuse est celle dont l’appétit seul fait les frais. Vous ne trouverez point de bisque aussi bonne, qu’un morceau de lard paroît bon à nos laboureurs, ou que les oignons de Gayette sembloient excellens au pape Jules III.

Voulez-vous vous assûrer que le meilleur apprêt est celui de la faim ? offrez du pain à un homme sensuel & difficile, il le repoussera : mais attendez jusqu’au soir, panem illum tenerum & siligineum fames ipsi reddet.

Concluons que loin de courir après la bonne-chere, comme après un des biens de la vie, nous pouvons en regarder la recherche comme pernicieuse à la santé. La fraîcheur & l’heureuse vieillesse des Perses & des Chaldéens, étoit un bien qu’ils devoient à leur pain d’orge & à leur eau de fontaine. Tout ce qui va au-delà de la nature, est inutile & pour l’ordinaire nuisible : il ne faut pas même suivre toûjours la nature jusqu’où elle permettroit d’aller ; il vaut mieux se tenir en-deçà des bornes qu’elle nous a prescrites, que de les passer. Enfin le goût se blase, s’amortit sur les mets les plus délicats, & des infirmités sans nombre vengent la nature outragée ; juste châtiment des excès d’une sensualité dont on a trop fait ses délices ! (D. J.)

GOURME, s. f. (Maréch.) maladie que quelques auteurs ont comparée à celle qui dans l’homme est appellée petite vérole, quoiqu’elle paroisse & se montre différemment. Si elles ont l’une & l’autre quelque analogie, c’est par la régularité avec laquelle la premiere affecte la plûpart des chevaux, & la seconde la plûpart des hommes ; c’est aussi parce qu’elles arrivent plus communément dans le premier âge, & enfin parce que leur terminaison est également l’ouvrage de la nature.

Les causes de la gourme sont aussi inconnues que celles de la petite vérole. Dire que ces maladies doivent être envisagées, ou comme une fievre inflammatoire, ou comme une matiere pestilentielle innée, ou comme une espece de levain qui se mêle avec le sang aussi-tôt que l’homme & l’animal sont conçus, ou comme un virus existant dans la masse, c’est parler d’après Rhases, Sidenham & des medecins même célebres ; mais c’est parler vaguement, & convenir des ténebres dans lesquelles on est plongé à cet égard.

M. de Garsaut persuadé de la vérité des faits qu’il a lûs, a cru pouvoir accuser la qualité de la terre & la température de l’air ; il prétend que dans les pays froids les herbes sont trop humides & trop nourrissantes pour le poulain, & qu’une pareille nourriture prise dans un terrein humide & gras, & sur lequel le jeune animal, d’ailleurs souvent exposé