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neige pour rafraîchir la boisson, il regne plus de maladies putrides, malignes, que dans les autres tems où la neige a pû être ramassée en abondance ; en sorte que lorsqu’il n’en tombe pas, la saison qui suit est regardée d’avance comme devant être funeste à la santé & même à la vie des hommes. Ne seroit-on pas fondé à inférer de-là que ce qu’on appelle des glaces pourroit être encore plus utile dans de semblables cas, que la simple boisson à la glace ; parce qu’elles sont plus denses, plus propres à conserver leur qualité rafraîchissante ; à donner du ressort aux estomacs relâchés, distendus par une trop grande quantité d’alimens ; & à s’opposer à la putréfaction que ceux qui en sont susceptibles pourroient y contracter, en séjournant long-tems dans ce viscere ?

On peut ajoûter que d’après les éloges que font la plûpart des anciens medecins, tels qu’Hippocrate, Galien, Celse, de l’usage de la boisson bien froide, dans bien des maladies ardentes, bilieuses, des praticiens modernes ont employé avec succès la boisson à la glace dans des cas pareils ; mais seulement lorsque ces maladies portoient un caractere de relâchement, d’atonie dans les fibres en général, & particulierement à l’égard des premieres voies, sans aucune disposition au spasme, à l’érétisme du genre nerveux. C’est dans de semblables circonstances que l’on s’est souvent servi utilement de la boisson à la glace, pour guérir des dyssenteries, des cours de ventre opiniâtres pendant les grandes chaleurs ; que la glace elle-même employée tant intérieurement qu’extérieurement, a arrêté des hémorrhagies rébelles, par quelques voies qu’elles se fissent ; qu’elle a guéri des coliques bilieuses, violentes, & sur-tout de celles qui sont causées par des vents & même des emphysemes, des tympanieres confirmées. Voyez les observations citées dans la dissertation d’Hoffman ; & pour ce qui regarde les flatulences, la pneumato-pathologie de M. Combalusier, docteur medecin de Montpellier & ensuite de Paris, publiée en latin en 1747. Il y a aussi bien des observations de cas dans lesquels on a éprouvé de bons effets de la glace appliquée sur les parties gangrenées par le froid. Voyez Gangrene, Mortification, Sphacele ; & le commentaire sur ce sujet des aphorismes de Boerhaave, par l’illustre Wansvieten.

Glaces, s. f. pl. (Arts.) nom moderne donné à des liqueurs agréables au goût, préparées avec art, & glacées en forme de tendres congelations. On parvient promptement à glacer toutes les liqueurs tirées des sucs des végétaux, avec de la glace pilée & du sel ; & au défaut de sel, avec du nitre ou de la soude. M. Homberg indique dans l’hist. de l’académie des Sciences, ann. 1701, p. 73. une maniere de faire de la glace propre à rafraîchir & à glacer toutes sortes de liqueurs ; & M. de Reaumur, dans le même recueil, mém. de l’ann. 1734, p. 178. nous apprend un moyer de faire des glaces à peu de frais ; j’y renvoye le lecteur, pour ne donner ici que la méthode ordinaire de nos limonadiers, confiseurs, maîtres d’hôtel, &c.

Ils prennent des boîtes de fer blanc faites exprès à volonté ; ils les remplissent de liqueurs artistement préparées & tirées des fruits de la saison, comme de cerises, de fraises, de framboises, de groseilles, de jus de citron, d’orange, de creme, de chocolat, &c. car on combine à l’infini l’art de flatter le goût. Ils mettent un certain nombre de leurs boîtes remplies des unes ou des autres de ces liqueurs, dans un sceau à compartimens ou sans compartimens, à un doigt de distance l’une de l’autre : ils ont de la glace toute prête, pilée, broyée & salée, qu’ils jettent vîtement dans le sceau tout-autour de chaque boîte de fer-blanc pleines de liqueurs, & jusqu’à ce qu’elles en soient couvertes.

Quand ils veulent que les glaces soient promptement faites, ils employent une plus grande quantité de sel que la dose ordinaire, & laissent reposer les liqueurs une demi-heure ou environ ; prenant garde de tems en tems que l’eau ne surmonte les boîtes à mesure que la glace se fond, & qu’elle ne pénetre jusqu’aux liqueurs. Pour éviter cet inconvénient, on fait au bas du sceau un trou où l’on met un fausset ; & par ce moyen on tire l’eau de tems en tems ; ensuite on range la glace de dessus les boîtes ; & on remue la liqueur avec une cueillere, pour la faire glacer en neige. Quand ils s’apperçoivent qu’elle se glace en trop gros morceaux, ils la remuent avec la cuilliere afin de la dissoudre, parce que les liqueurs fortement glacées n’ont plus qu’un goût insipide.

Après avoir ainsi remué toutes leurs boîtes & leurs liqueurs, en évitant qu’il n’y entre point de glace salée, ils les recouvrent de leur couvercle, & puis de glace & de sel pilé, comme la premiere fois Plus on met de sel avec la glace, & plûtôt les liqueurs se congelent ; on ne les tire du sceau que quand on veut les servir.

Les glaces font les délices des pays du midi ; & je n’ignore pas qu’en Italie, ce beau sol où on sait les faire avec un art supérieur, la plûpart des medecins, loin de les condamner, assûrent que leur usage y est très-salutaire ; il peut l’être aussi dans nos climats tempérés à plusieurs personnes dont l’estomac & le genre nerveux ont besoin d’être renforcés par des mets & des liqueurs froides. Mais en tout pays, prendre des glaces immodérément sans un régime analogue, ou imprudemment, & dans le tems, par exemple, qu’on est le plus échauffé, c’est exposer ses jours & risquer de payer bien cher un repentir. (D. J.)

Glace inflammable, (Chimie.) glace artificielle qui prend feu. On fait par l’art une telle glace avec de l’huile de térébenthine, du spermaceti, & de l’esprit de nitre : ce n’est qu’un jeu chimique rapporté dans l’hist. de l’acad. des Sciences, ann. 1745 ; mais il y a des curieux, des artistes comme M. Roüelle, des seigneurs même qui préferent ces sortes de jeux à ceux qu’on joue dans la société ; & il arrive quelquefois que la Physique leur est redevable de plusieurs connoissances utiles : voici donc une maniere de produire de la glace inflammable.

On prendra de l’huile de térébenthine distillée ; on la mettra dans un vaisseau sur un feu doux ; on y fera fondre lentement du spermaceti ou blanc de baleine : cette solution restera aussi claire que de l’eau commune, en plaçant le vaisseau qui la contient dans un lieu frais ; & en trois minutes au plus la liqueur se glacera. Cependant si elle se glaçoit trop difficilement, un peu de nouveau blanc de baleine qu’on y fera fondre, y remédieroit : il n’y a nul inconvénient à en remettre à plusieurs fois ; la seule circonstance essentielle est de ne le point piler, mais de le mettre fondre en assez gros morceaux ; sans cela, la glace seroit moins transparente.

Lorsque la chaleur de l’été est trop forte, ou qu’on n’a pas de lieu assez frais pour faire prendre la liqueur, il ne faut que mettre le vaisseau qui la contient dans de l’eau bien fraîche ; la liqueur se glace en moins d’une demi-minute : mais cette glace faite brusquement n’est jamais si belle que celle qui s’est formée tranquillement. Dès que la liqueur commencera à dégeler, & pendant qu’il y aura encore des glaçons flottans dessus, versez-y de bon esprit de nitre ; alors la liqueur & la glace s’enflammeront & se consumeront dans l’instant. Il est vrai qu’il n’y a rien de moins étonnant que de voir l’huile de térébenthine s’enflammer par l’esprit de nitre : mais l’art consiste à la charger d’une matiere capable de la réduire en glace sans altérer sa transparence & son inflammabi-