Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est à ce mélange de la liqueur séminale du mâle dans le sang de la femelle, que M. Fizes, qui entr’autres a adopté ce sentiment (exercitatio de generat. homin. perioch. III.), attribue tous les desordres, dont sont fatiguées, tourmentées la plûpart des femmes nouvellement enceintes. On peut en voir une raison plus vraissemblable dans l’article Equilibre, (Economie animale.)

Mais, d’après cette idée de fécondation procurée par le moyen de la circulation, il devroit s’ensuivre que cette œuvre admirable pourroit être opérée, par quelque voie que la semence soit introduite dans la masse du sang, & que les œufs des ovaires devroient être rendus féconds tous à-la-fois, ce qui est contre l’expérience.

Quoi qu’il en soit, de quelque maniere que l’œuf soit fécondé ; soit que la semence du mâle portée immédiatement jusqu’à lui, par la voie de la matrice ou des trompes de Fallope, en pénetre la substance ; soit que délayée dans la masse des humeurs, elle n’y parvienne que par les routes de la circulation vers les ovaires : cette semence ou cet esprit séminal ayant la propriété d’exciter l’irritabilité des parties de l’embryon imperceptible, qui sont déjà toutes formées dans l’œuf, y met ainsi en jeu le principe du mouvement qui leur est particulier, & les dispose à se développer, à se rendre sensibles. L’œuf jusque-là fixement attaché à l’ovaire, s’étend en tous sens, sort de la cavité qui ne peut plus le contenir, rompt son pédicule, se détache par conséquent de l’ovaire : il est reçu dans le canal de la trompe, dont l’extrémité appellée le pavillon, embrasse alors l’ovaire pour recevoir cet œuf, qui delà est porté dans la matrice par le méchanisme dont il a été fait mention ci-devant. Alors semblable aux graines des plantes ou des arbres, lorsqu’elles sont reçues dans un terrein propre à les faire germer & végéter, l’œuf pousse des racines de la surface des membranes dont il est composé, qui, pénétrant dans les pores de la matrice jusqu’à s’anastomoser avec les vaisseaux de cet organe, en tirent les sucs nourriciers nécessaires pour son accroissement, & pour celui de l’embryon qu’il contient, & qui fait un tout avec lui ; ensorte qu’il se nourrit du sang de sa mere, comme les plantes des sucs de la terre, & qu’il commence à vivre par une véritable végétation. Voyez ci-après Grossesse.

Au reste, qu’une espece de solidité, de dureté qui se trouve ordinairement dans l’enveloppe extérieure des œufs des oiseaux, n’empêche pas de comparer à ces œufs les sacs dans lesquels sont enfermés les embryons des vivipares ; les œufs de plusieurs animaux, des tortues, des serpens, des lésards, & des poissons, n’ont point d’enveloppe dure, & n’en ont qu’une mollasse & flexible ; ce ne sont pas moins des œufs, comme plusieurs de ceux que font bien des poules, qui sont sans coquille. Ainsi il est bien des animaux qui confirment cette analogie par rapport aux enveloppes respectives des embryons ; on peut même rapprocher encore davantage la génération des animaux vivipares de celle des ovipares, si l’on fait attention qu’il n’y a pas d’autre différence, qu’en ce que dans ceux-ci les œufs n’éclosent que quelque tems après être sortis du corps de la femelle ; au lieu que dans les vivipares les œufs éclosent immédiatement en sortant du corps de la mere : d’où il s’ensuit que l’incubation qui est nécessaire pour le développement des parties de l’embryon, tout formé dès la fécondation, se fait dans le corps à l’égard des vivipares & hors le corps des ovipares, & que par conséquent ces deux sortes de générations reviennent au même. Voyez Œuf, Incubation.

Quelque bien fondé que paroisse, par toutes ces

raisons, le système des œufs, on n’a pas laissé de le trouver encore susceptible de bien des difficultés, tant générales que particulieres : celles-ci regardent principalement l’existence réelle des œufs & leur forme, à l’égard desquels on propose des doutes, des questions, qui ne semblent pas aisées à résoudre. Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans ce détail. Voyez Ovaire, Œuf. Quant aux difficultés du premier genre, une de celles que l’on ne doit pas omettre ici, d’autant plus que l’on la regarde comme étant des plus fortes ; c’est la ressemblance des enfans, tantôt au pere, tantôt à la mere, & quelquefois à tous les deux ensemble. Si le fétus est préexistant dans l’œuf de la mere, comment se peut-il que l’enfant ressemble à son pere ? Cette objection passe communément pour être insurmontable ; mais ne pourroit-on pas la faire cesser d’être telle, en répondant que la disposition des organes de l’embryon, avant & après la fécondation, dépend beaucoup de l’activité plus ou moins grande, avec laquelle s’exerce, s’entretient la vie de la mere, & de l’influence de cette activité, pour qu’il soit conformé de telle sorte ou de telle maniere, analogue à celle dont cette même action de la vie (vis vitæ) dans la mere a conformé ses propres organes, & que cette même disposition des parties de l’embryon ne peut que dépendre aussi plus ou moins de la force avec laquelle elles ont été mises en jeu par l’effet de l’esprit séminal du pere, dont elles ont été imprégnées : d’où il s’ensuit que la ressemblance tient plus ou moins du pere ou de la mere, selon que l’un ou l’autre a plus ou moins influé, par cela même qu’il fournit dans la génération & la formation ou le développement du fétus, sur le principe de vie & l’organisation de l’embryon, qui en reçoit à-proportion une forme plus ou moins approchante de celle du pere ou de la mere ; ce qui peut rendre raison, non seulement de ce qu’on observe par rapport à la ressemblance quant à la figure, mais encore par rapport à celle du caractere.

Une autre des difficultés générales que l’on propose, qui est plus embarassante que la précédente, c’est le progrès à l’infini par rapport aux embryons contenus dans les œufs ; de maniere que la premiere femme devoit renfermer tous les embryons des hommes qui ont été, qui sont & qui seront, & de ceux qui par la fécondation auroient pû, peuvent, & pourroient être. On ne peut pas se dissimuler que cette difficulté ne soit d’un très-grand poids, malgré l’idée de la divisibilité possible de la matiere à l’infini ; parce que ce n’est qu’une idée, qui lorsqu’on essaye de la réduire en acte par le calcul, étonne l’imagination autant qu’elle paroissoit d’abord la contenter. En effet, selon la supputation que l’on trouve dans l’histoire naturelle de M. de Buffon, tome III. chap. v. l’homme seroit plus grand par rapport à l’embryon contenu dans l’œuf de la sixieme génération en remontant, que la sphere de l’univers ne l’est par rapport au plus petit atome de matiere qu’il soit possible d’appercevoir au microscope. Que seroit-ce, dit cet illustre auteur, si l’on poussoit ce calcul seulement à la dixieme génération ; calcul qui peut s’appliquer aux vers spermatiques, comme aux œufs ? Il faut encore convenir que l’expansibilité des matieres odoriférantes, de la lumiere même, ne fait pas évanoüir ce que cette supputation présente de fort contre la vraissemblance du progrès à l’infini.

C’est pour éviter cet écueil, que quelques physiciens modernes ont crû devoir chercher dans les opinions des anciens des explications plus satisfaisantes du mystere de la génération, comme on a fait à l’égard de celles de la formation de l’univers, que l’on a pour la plûpart renouvellées des Grecs, & sur-tout d’Epicure : c’est ainsi que le savant auteur de la -