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palement pour ce qui concerne la nature, les crises, le pouvoir de l’attraction, &c. mais (dit M. Quesnay, en portant son jugement sur la secte des Galénistes, dans son traité des fievres continues tom. I.) Galien quitta la voie qui pouvoit conduire à de nouvelles connoissances dans l’économie animale. Au lieu d’insister sur l’observation, & de se conformer à celui qu’il se proposoit pour modele, il assujettit la science encore naissante de l’art de guérir, à quelques idées générales, qui en arrêterent le progrès ; il la présenta aux medecins sous un aspect si simple, si uniforme, & si commode, qu’elles furent généralement adoptées pendant une longue suite de siecles. Non-seulement Galien rapportoit comme Hippocrate les maladies aux intempéries des quatre premieres qualités, le chaud, le froid, le sec & l’humide ; mais contre le sentiment d’Hippocrate & des medecins de l’antiquité, il rapporta aussi à ces qualités les causes des maladies, & les vertus des remedes. Voyez Maladie, Intempérie, Qualité, Médicament.

Ce système borna entierement les recherches des Medecins, parce que fixés à des idées par lesquelles ils croyoient pouvoir expliquer tous les phénomenes, ils étoient persuadés que toute la science de la Medecine se réduisoit à de tels principes ; cependant l’observation & l’expérience leur présentoit beaucoup d’inductions fort opposées à ces principes ; pour les concilier ou pour éluder les difficultés, ils avoient recours à des distinctions, à des interprétations, & à des subtilités qui amusoient inutilement les esprits, & qui multiplioient beaucoup les livres. Resserrés dans les bornes de leur système, ils y ramenoient toutes les connoissances qu’ils pouvoient acquérir dans la pratique de la Medecine ; les lumieres qu’elles y portoient étoient obscurcies par les erreurs qui abondent nécessairement dans une doctrine dont les principes sont faux ou insuffisans, ou trop étendus. Tels sont & tels doivent être absolument ceux sur lesquels Galien a établi sa doctrine, dans un tems où la science de la Medecine étoit encore bien imparfaite.

Pour réduire à un système vrai & juste, sur-tout à un système général, une science assujettie à l’expérience, il faut avoir auparavant toutes les connoissances qui peuvent nous conduire au vrai principe de cette science : car ce sont ces connoissances elles-mêmes, qui toutes ensemble doivent nous les indiquer. Avant qu’on soit arrivé là, on ne doit s’appliquer qu’à étendre ces connoissances, qu’à tirer des unes & des autres les portions de doctrine que l’on peut en déduire avec certitude ; autrement on s’égare, & on retarde extrèmement le progrès des sciences.

C’est-là, continue l’auteur qui vient d’être cité, c’est-là ce qu’on reproche à Galien, qui d’ailleurs étoit un medecin fort savant, très-intelligent, très-pénétrant dans la pratique, très-exact & très-clairvoyant dans l’observation ; il s’est tenu à la doctrine d’Hippocrate sur l’organisme ; il s’est entierement fixé aux facultés sensitives & actives des organes dirigées par la nature, dans la santé & dans les maladies ; ainsi il ne paroît pas même qu’il ait eu intention de s’élever jusqu’au méchanisme physique de l’animal. Tout se réduit de la part des organes à des facultés & à un principe dirigeant, qu’il n’a point dévoilés ; & de la part des liquides à des qualités qui ne lui étoient connues que par leurs effets & par les sensations qu’elles excitent. Ce ne seroit pas un grand défaut dans sa doctrine, si ces connoissances obscures qu’il a admises pour principes, avoient été réellement des principes suffisans, c’est-à-dire les vrais principes génératifs & immédiats de toute la science de la Medecine. Car malgré toutes nos recherches & tous nos efforts, il nous faudra toûjours admettre de tels prin-

cipes. Le dernier terme du méchanisme des corps est

absolument inaccessible à nos sens, & par conséquent hors de la sphere des connoissances sûres & intelligibles que nous pouvons acquérir en physique.

Le chaud & le froid sont véritablement les causes primitives les plus générales des phénomenes physiques ; par-là elles peuvent être regardées en Medecine de même que la pesanteur, le mouvement, &c. comme des principes primitifs de la Medecine communs à toutes les autres sciences physiques. Ainsi dans le système de Galien, on pouvoit ramener bien ou mal à ces principes toutes les connoissances de la Medecine : mais de tels principes ne sont que des principes éloignés ; ils ne sont point les principes propres & immédiats de cette science.

Le chaud & le froid sont des causes générales, qui dans l’économie animale sont déterminées par des causes immédiates & particulieres au méchanisme du corps, par des causes qui sont les principes propres & génératifs des effets physiques, qui s’operent dans la santé & dans la maladie ; telle est, par exemple, l’action organique du cœur & des arteres, qui engendre la chaleur naturelle & les intempéries chaudes ou froides, selon qu’elle est suffisante, excessive, ou insuffisante. Or sans la connoissance des causes propres & immédiates, on ne peut appercevoir la liaison méchanique des effets avec des causes plus générales & plus éloignées. Le rapport qu’il y a entre de telles causes & leurs effets, ne sont donc ni connus, ni concevables, & ne seroient pas même instructifs ; ceux que l’on pourroit supposer seroient incertains, obscurs, erronés, & ne pourroient servir qu’à en imposer, à introduire des erreurs, & à retarder les progrès de la science.

Telles ont été en effet les productions du système de Galien ; car quoique ce système soit très-riche en fait de connoissances tirées d’observations & de l’expérience, il est encore plus abondant en faux raisonnemens sur la physique de l’art. Du reste, la doctrine des qualités se réduisoit à un jargon fort simple & fort commode. Une cause produisoit une maladie, parce qu’elle étoit chaude ou froide, seche ou humide ; les remedes qui y convenoient guérissoient, parce qu’ils avoient un degré de chaud ou de froid, de sec ou d’humide, opposé à cette cause. La méthode curative consistoit donc à employer le chaud & l’humide contre le froid & le sec, & à mettre en usage le froid & le sec contre le chaud & l’humide, &c. Ainsi toute la pratique se ramenoit à des idées familieres, simples, & commodes, qui favorisoient la paresse & cachoient l’ignorance des praticiens, qui négligeoient la véritable étude de la science de la Medecine. C’est par cette raison sans doute que la secte de Galien a été si généralement suivie, & a conservé son empire pendant tant de siecles.

Il est donc bien facile d’appercevoir les défauts de cette doctrine, & le mal qu’elle a produit, sans qu’on puisse alléguer en compensation qu’elle ait apporté de nouvelles connoissances physiques dans la Medecine. Les quatre qualités qui servent de base à ce système, les quatre élémens auxquels on les attribue, les humeurs, c’est-à-dire le sang, la bile, la mélancolie, la pituite, dont chacune a été caractérisée par quelques-unes de ces qualités ; les quatre tempéramens dominans, par les unes ou les autres de ces qualités ; les quatre intempéries qui forment des maladies par l’excès de ces différentes qualités ; toutes ces choses se trouvent déjà établies, & au-delà même de leurs justes bornes dans les écrits d’Hippocrate. Ainsi tout ce que Galien a fait de plus, c’est de les étendre encore davantage, & de multiplier les erreurs dans son système, à proportion qu’il a plus abusé de l’application des quatre qualités tactiles aux connoissances de la Medecine.