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tingens, entant qu’ils doivent infailliblement arriver. Ainsi dans cette proposition, il pleuvra demain, la pluie que j’annonce est en elle-même un futur contingent, parce que le Créateur auroit pu disposer l’univers de telle sorte, qu’il ne plût pas demain ; mais relativement à l’état actuel de l’univers & aux lois établies par l’Être suprème de toute éternité, la pluie doit tomber demain infailliblement en conséquence de la disposition présente que la terre & l’atmosphere ont aujourd’hui. Voyez Fortuit & Contingent.

Les Athées qui admettent l’éternité & la nécessité du monde & de la matiere, ne reconnoissent point de futur contingent ; parce que le monde, selon eux, ne pouvoit être autre qu’il n’est, & que les évenemens sont une suite nécessaire du choc & du mouvement des corps : mais selon tous les autres philosophes, & selon la raison, il y a des futurs contingens en ce sens, que Dieu qui a créé & arrangé le monde, pouvoit l’arranger autrement, & que les évenemens qui arrivent infailliblement dans le monde, arrangé tel qu’il est, ne seroient pas arrivés dans un monde arrangé d’une autre maniere.

L’existence des futurs contingens libres, c’est-à-dire qui dépendent de la volonté humaine, n’est pas moins infaillible que celle des futurs non libres. Par exemple, si en vertu du decret éternel de Dieu, je dois aller demain à la campagne, il est aussi infaillible que je ferai ce voyage, qu’il l’est qu’il pleuvra demain, si Dieu l’a résolu ainsi. C’est pourquoi la distinction qu’on a voulu faire dans les écoles des futurs contingens libres, & de ceux qui ne le sont pas, est en elle-même chimérique, puisque tous les futurs contingens sont dans le même cas quant à l’infaillibilité de l’existence. On nous demandera sans doute de faire sentir clairement en quoi l’existence infaillible differe de l’existence nécessaire : c’est à quoi nous ne nous engageons pas : il nous suffit que cette différence soit réelle ; tant pis même pour qui l’expliqueroit, puisqu’elle tient à un des mysteres de notre religion, l’accord de la science & de la puissance divine avec la liberté. Dans le langage commun, infaillible & nécessaire sont la même chose ; il n’en est pas ainsi en Métaphysique théologique. L’essence de tout mystere consiste dans une chose exprimée par des mots dont la contradiction apparente choque la raison, mais que la foi nous apprend n’être pas contradictoires.

On dispute beaucoup dans les écoles pour savoir si deux propositions de futur contingent, Pierre mourra demain, Pierre ne mourra pas demain, sont toutes deux fausses, en faisant abstraction du decret de Dieu ; ou si l’une est vraie, & l’autre fausse dans cette même hypothèse ; question creuse, absurde, bien digne des chimeres de la scholastique, & du nombre de celles qu’on devroit bannir de la philosophie enseignée aujourd’hui dans les colléges. Voyez Collége. Il vaudroit autant demander, si en faisant abstraction de l’égalité des rayons, le cercle continue ou cesse de l’être. La solution de la question proposée (si elle en mérite une), c’est qu’elle suppose une absurdité, l’abstraction du decret de Dieu, & qu’ainsi elle ne mérite pas qu’on y réponde sérieusement ; que pour un philosophe qui auroit le malheur d’être athée, & par conséquent de ne faire entrer Dieu pour rien dans les évenemens de l’univers, une des deux propositions est vraie, & l’autre fausse ; mais que pour nous, faire abstraction des decrets divins, c’est faire abstraction de l’existence de Dieu, par conséquent de celle du monde, par conséquent de celle de Pierre, & qu’il est ridicule de proposer des questions par rapport à Pierre, lorsqu’on fait abstraction de son existence. L’abus des abstractions & les questions futiles que cet abus occasionne,

sont le grand vice de la philosophie scholastique. (O)

* FUTURITION, s. f. terme de Théologie, il se dit d’un effet dont on considere l’évenement à venir, relativement à la préscience de Dieu, qui voyoit en lui-même ou dans les choses cet évenement avant qu’il fût. Cette futurition a fait dire bien des sottises. Les uns ont prétendu que Dieu voyoit les actions libres des hommes, avant que d’avoir formé aucun decret sur leur futurition : d’autres ont prétendu le contraire ; & voilà les questions importantes qui ont allumé entre les Chrétiens la fureur de la haine, & toutes les suites sanglantes de cette fureur. Voyez Fortuit, & l’article précédent.

FUYARDS, s. f. pl. (Art milit.) on donne ce nom aux troupes, qui après un combat desavantageux, quittent le champ de bataille en desordre, & se retirent en foule en fuyant de tous côtés. Voyez Fuite.

Le plus grand malheur qui puisse arriver à des troupes battues, c’est de se retirer ainsi. Car en gardant leur ordre de bataille, elles se font toûjours respecter de l’ennemi, qui n’ose s’en approcher qu’avec circonspection. Si les différentes tentatives qu’elles doivent faire pour lui échapper sont infructueuses, il est toûjours prêt à les recevoir à composition ; mais en fuyant sans ordre, on s’expose à périr presqu’indubitablement. Loin de songer à se défendre, on jette les armes pour fuir plus legerement ; tous les fuyards étant saisis du même esprit de crainte, s’embarrassent les uns les autres, de maniere que l’ennemi qui est à leur trousse, en fait, sans effort & sans danger, tel carnage qu’il juge à-propos. Ajoûtez à cela que lorsque la frayeur s’est une fois emparée d’une troupe, elle se précipite elle-même dans les plus grands dangers. Rivieres, marais impraticables, rien ne l’arrête. On court alors à une mort certaine & honteuse, plûtôt que de s’arrêter pour regarder l’ennemi en face, & lui en imposer par une contenance assûrée, qui suffit seule pour modérer l’activité de sa poursuite, & quelquefois même pour le faire fuir lui-même (comme il y en a plusieurs exemples), si l’on est capable de faire quelques efforts pour profiter du desordre dans lequel sa poursuite doit l’avoir mis. « Dans une armée de vaillans hommes, dit Agamemnon dans Homere, il s’en sauve toûjours plus qu’il n’en périt ; au lieu que les lâches n’acquierent pas de gloire, mais leur lâcheté leur ôtant les forces, ils deviennent la proie des ennemis ».

M. le maréchal de Puysegur qui rapporte ces paroles d’Homere dans son livre de l’art de la Guerre, observe aussi à cette occasion, qu’en combattant vaillamment & en bon ordre, on perd beaucoup moins de monde, & que la perte des hommes est bien plus grande dans les déroutes.

Lorsqu’une troupe est une fois mise en desordre, on ne doit la poursuivre, suivant les plus habiles militaires, qu’autant qu’il est nécessaire pour la disperser entierement, & la mettre hors d’état de se rallier. C’étoit la pratique des Lacédémoniens. Ils pensoient aussi, & avec raison, qu’il n’est pas digne d’un grand courage de tuer ceux qui cedent & qui ne se défendent pas.

Si la poursuite des fuyards peut être susceptible de quelqu’inconvénient, lorsqu’on s’y abandonne trop inconsiderement, c’est sur-tout lorsqu’une aîle ou une autre partie de l’armée a battu celle de l’armée ennemie qui lui étoit opposée. Car si la partie victorieuse s’attache trop opiniâtrement à la poursuite des fuyards, elle laisse sans défense le flanc des troupes qu’elle couvroit dans l’ordre de la bataille ; alors si l’ennemi peut tomber dessus, & qu’il attaque en même tems ces troupes par le flanc & par le front, il les mettra bientôt en desordre, ainsi que le reste de l’armée, malgré la victoire de l’une des