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s’il n’est privé de toute chaleur, ne sauroit être absolument froid. Nous appellons froids, dit M. s’Gravesande, element. physic. lib. III. pag. l. cap. vj. pr. edit. les corps moins chauds que les parties de notre corps, auxquelles ils sont appliqués, & qui par cela même diminuent la chaleur de ces parties, comme nous nommons chauds, ceux qui augmentent cette chaleur. A notre égard, le froid, continue le même auteur, n’est que le sentiment qu’excite en nous la diminution de chaleur que notre corps éprouve. Il y a de la chaleur, ajoûte-t-il, dans un corps que nous nommons froid ; mais une chaleur toûjours moindre que celle de notre corps, puisqu’elle diminue celle-ci. Voyez cet auteur à l’endroit que nous venons de citer ; Mariotte, troisieme essai de physique ; Musschenbroek, essai de physique, tome I. chap. xxvj. vers la fin ; Hamberger, element. physic. n°. 493 & seq. &c.

Qu’est-ce qu’une moindre chaleur ? La réponse à cette question dépend visiblement de l’idée qu’on doit se former de la chaleur en général ; on sait que les Physiciens sont partagés sur cet article. Le plus grand nombre persuadés que le feu est un corps particulier distingué de tous les autres, croyent que la seule présence de ce même feu mis en mouvement, constitue la chaleur. C’est le sentiment le plus vraissemblable, & qui paroît le mieux s’accorder avec l’observation. Voyez Feu & Chaleur. Au reste, comme la chaleur dans tous les systèmes imaginés jusqu’ici pour en expliquer la nature, est susceptible d’augmentation & de diminution, il est clair que dans chacun de ces systèmes particuliers, le froid peut toûjours être conçû comme une chaleur affoiblie.

Cette maniere de le concevoir est simple & naturelle ; elle ne multiplie point les principes sans nécessité ; elle rend raison des phénomenes. Pour les expliquer, elle n’a point recours à de vaines suppositions ; la diminution de chaleur & la force de cohésion suffisent à tout. J’entends ici par force de cohésion, celle que tous les Physiciens admettent sous ce nom, par laquelle les parties qui composent les corps, tendent les unes vers les autres, s’unissent entr’elles, ou sont disposées à s’unir. Voyez Cohésion. Cette force qui est si obscure dans son principe, & si sensible dans la plûpart des effet, qu’elle produit, est sans cesse en opposition avec la chaleur. Ce sont deux agens, qui par la contrariété de leurs efforts toûjours subsistans, peuvent se surmonter réciproquement. L’un des deux ne sauroit un peu s’affoiblir, que l’autre à l’instant ne rentre, si je puis m’exprimer ainsi, dans une partie de ses droits. On voit par-là, que quand la chaleur qui écartoit les parties des corps les unes des autres vient à diminuer, ces mêmes parties se rapprochent aussi-tôt par leur cohésion mutuelle, d’autant plus que leur chaleur s’est plus affoiblie. Ainsi les corps qui, généralement parlant, se raréfient tous à mesure qu’ils s’échauffent, doivent se condenser quand leur chaleur diminue, pourvû toutefois que nul agent physique différent de la chaleur ne s’oppose d’ailleurs à cette condensation. Voyez Cohésion & Attraction.

Ce n’est point précisément par le défaut de chaleur (on ne peut trop le faire remarquer) que les corps se réduisent à un moindre volume. Un tel effet pourroit-il dépendre d’une simple privation, d’un être purement négatif ? Non sans doute, c’est la force de cohésion qui condense les corps ; une moindre chaleur n’est ici qu’une résistance plus ou moins diminuée, qu’un obstacle plus facile à surmonter.

Ne perdons point de vûe ce principe incontestable que la cohésion des parties intégrantes des corps est d’autant plus forte, que la chaleur est plus affoiblie. Il suit évidemment de-là qu’un corps en deve-

nant moins chaud, acquiert plus de fermeté & de consistance. Si la solidité & la fluidité dépendent essentiellement, comme on ne sauroit en disconvenir, du plus ou du moins de cohésion ; si par une conséquence nécessaire la chaleur doit être regardée comme une des principales causes de la fluidité, quelle difficulté y aura-t-il à concevoir qu’un corps auparavant fluide, devienne par une plus forte adhésion des parties qui le composent, une masse entierement solide, quand il aura été privé d’une partie de sa chaleur ?

Nous venons de déduire la formation de la glace de l’idée du froid, conçû comme une moindre chaleur. Musschenbroek, quoiqu’attaché à cette même idée, explique autrement la congelation : le froid & la gelée ont beaucoup moins de rapport, selon lui, qu’on ne l’imagine communément. Il regarde le froid comme la simple privation du feu, & il croit que la gelée est l’effet d’une matiere étrangere, qui s’insinuant entre les parties d’un liquide, fixe leur mobilité respective, les attache fortement ensemble, les lie en quelque maniere, comme feroit de la colle ou de la glu. La présence de cette matiere tantôt plus, tantôt moins abondante dans l’air, & la facilité qu’elle a d’exercer son action en certaines saisons & en certains climats, supposent la réunion de plusieurs circonstances, dont le froid, s’il en faut croire l’illustre auteur que nous citons, n’est pas toûjours la plus essentielle. Ce n’est pas ici le lieu d’examiner en détail cette explication. Voyez Glace. Qu’on la rejette on qu’on l’adopte, le froid entant qu’il influe plus ou moins sur la formation de la glace, pourra toûjours être conçû comme une moindre chaleur.

C’est encore à l’introduction de cette matiere étrangere, que le même Musschenbroek attribue l’augmentation du volume de l’eau glacée. Essai de physique, tome I. chap. xxv. D’autres physiciens en très-grand nombre, pensent que l’air contenu dans l’eau forme différentes bulles, qui se dilatant par leur ressort, sont l’unique cause de cet effet. Il y en a qui ont eu recours au dérangement des parties d’eau, en vertu de leur tendance à former entr’elles certains angles déterminés. Voyez M. de Mairan, dissert. sur la glace, pages 169 & suiv. M. de Reaumur admet un déplacement dans les parties du fer fondu, pour rendre raison de la dilatation qu’éprouve ce métal, dans l’instant qu’il perd sa liquidité acquise par la fusion. Toutes ces explications qui rapportent le phénomene dont il s’agit, à des causes particulieres, différentes de l’action générale du froid, ont chacune leur probabilité, comme nous le verrons à l’article Glace. Ce qu’il est important d’observer ici, c’est qu’elles ne donnent aucune atteinte à l’idée du froid conçû comme une moindre chaleur, & qu’elles laissent subsister entierement le principe que nous avons établi, que les corps dont la chaleur diminue se condensent de plus en plus, quand rien d’ailleurs ne s’oppose à leur condensation.

Si nous considérons dans les corps froids l’action qu’ils exercent sur nos organes, nous n’aurons pas de peine à comprendre comment un corps moins chaud que les parties de notre corps auxquelles il est appliqué, peut en diminuant la chaleur de ces mêmes parties, exciter en nous la sensation de froid. Et premierement il est clair que l’application d’un tel corps doit diminuer le degré de chaleur de nos organes, suivant ce principe général, que deux corps inégalement chauds étant contigus, le plus chaud des deux communique de la chaleur à l’autre, & en perd lui-même. D’un autre côté, cette diminution de chaleur introduisant dans nos organes un véritable changement, pourquoi la sensation de froid n’en pourroit-elle pas résulter ?