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rêtée tout-à-la-fois & comme en son entier par une force contraire. Donc dans ce cas, le produit de la masse par la vîtesse doit représenter la force. Mais M. Leibnitz soûtient que la force vive doit se mesurer autrement, & qu’elle est comme le produit de la masse par le quarré de la vîtesse ; c’est-à-dire qu’un corps qui a une certaine force lorsqu’il se meut avec une vîtesse donnée, aura une force quadruple, s’il se meut avec une vîtesse double ; une force neuf fois aussi grande, s’il se meut avec une vîtesse triple, &c. & qu’en général, si la vitesse est successivement 1, 2, 3, 4, &c. la force sera comme 1, 4, 9, 16, &c. c’est-à-dire comme les quarrés des nombre 1, 2, 3, 4 : au lieu que si ce corps n’étoit pas réellement en mouvement, mais tendoit à se mouvoir avec les vitesses 1, 2, 3, 4, &c. sa force n’étant alors qu’une force morte, seroit comme 1, 2, 3, 4, &c.

Dans le système des adversaires des force vives, la force des corps en mouvement est toûjours proportionnelle à ce qu’on appelle autrement quantité de mouvement, c’est-à-dire au produit de la masse des corps par la vitesse ; au lieu que dans le système opposé, elle est le produit de la quantité de mouvement par la vîtesse.

Pour réduire cette question à son énoncé le plus simple, il s’agit de savoir si la force d’un corps qui a une certaine vitesse, devient double ou quadruple quand sa vîtesse devient double. Tous les Méchaniciens avoient crû jusqu’à M. Leibnitz qu’elle étoit simplement double : ce grand philosophe soûtint le premier qu’elle étoit quadruple ; & il le prouvoit par le raisonnement suivant. La force d’un corps ne se peut mesurer que par ses effets & par les obstacles qu’elle lui fait vaincre. Or si un corps pesant étant jetté de bas en haut avec une certaine vîtesse monte à la hauteur de quinze piés, il doit, de l’aveu de tout le monde, monter à la hauteur de 60 piés, étant jetté de bas en haut avec une vîtesse double, voyez Accélération. Il fait donc dans ce dernier cas quatre fois plus d’effet, & surmonte quatre fois plus d’obstacles : sa force est donc quadruple de la premiere. M. Jean Bernoulli, dans son discours sur les lois de la communication du mouvement, imprimé en 1726, & joint au recueil général de ses œuvres, a ajoûté à cette preuve de M. Leibnitz une grande quantité d’autres preuves. Il a démontré qu’un corps qui ferme ou bande un ressort avec une certaine vîtesse, peut avec une vîtesse double, fermer quatre ressorts semblables au premier ; neuf avec une vîtesse triple, &c. M. Bernoulli fortifie ce nouvel argument en faveur des forces vives, par d’autres observations très curieuses & très-importantes, dont nous aurons lieu de parler plus bas, à l’article Conservation des Forces vives . Cet ouvrage a été l’époque d’une espece de schisme entre les savans sur la mesure des forces.

La principale réponse qu’on a faite aux objections des partisans des forces vives, voyez les mém. de l’académie de 1728, consiste à réduire le mouvement retardé en uniforme, & à soûtenir qu’en ce cas la force n’est que comme la vitesse : on avoue qu’un corps qui parcourt quinze piés de bas en haut, parcourra soixante piés avec une vîtesse double : mais on dit qu’il parcourra ces soixante piés dans un tems double du premier. Si son mouvement étoit uniforme, il parcourroit dans ce même tems double cent vingt piés, voyez Accélération. Or dans le cas où il parcourroit quinze piés d’un mouvement retardé, il parcourroit trente piés dans le même tems, & soixante piés dans un tems double avec un mouvement uniforme : les effets sont donc ici comme 120 & 60, c’est-à-dire comme 2 & 1 ; & par conséquent la force dans le premier cas n’est que double de l’autre, & non pas quadruple. Ainsi, conclut-on, un corps pesant par-

court quatre fois autant d’espace avec une vîtesse

double, mais il le parcourt en un tems double ; & cela équivaut à un effet double & non pas quadruple. Il faut donc, dit-on, diviser l’espace par le tems pour avoir l’effet auquel la force est proportionnelle, & non pas faire la force proportionnelle à l’espace. Les défenseurs des forces vives répondent à cela, que la nature d’une force plus grande est de durer plus longtems ; & qu’ainsi il n’est pas surprenant qu’un corps pesant qui parcourt quatre fois autant d’espace, le parcoure en un tems double : que l’effet réel de la force est de faire parcourir quatre fois autant d’espace : que le plus ou moins de tems n’y fait rien ; parce que ce plus ou moins de tems vient du plus ou moins de grandeur de la force ; & qu’il n’est point vrai de dire, comme il paroît résulter de la réponse de leurs adversaires, que la force soit d’autant plus petite, toutes choses d’ailleurs égales, que le tems est plus grand ; puisqu’au contraire il est infiniment plus naturel de croire qu’elle doit être d’autant plus grande qu’elle est plus long-tems à se consumer.

Au reste, il est bon de remarquer que pour supposer la force proportionnelle au quarré de la vîtesse, il n’est pas nécessaire, selon les partisans des forces vives, que cette force se consume réellement & actuellement en s’exerçant ; il suffit d’imaginer qu’elle puisse être consumée & anéantie peu-à-peu par degrés infiniment petits. Dans un corps mû uniformément, la force n’en est pas moins proportionnelle au quarré de la vîtesse, selon ces Philosophes, quoique cette force demeure toûjours la même ; parce que si cette force s’exerçoit contre des obstacles qui la consumassent par degrés, son effet seroit alors comme le quarré de la vîtesse.

Nous renvoyons nos lecteurs à ce qu’on a écrit pour & contre les forces vives dans les mémoires de l’acad. 1728, dans ceux de Petersbourg, tome I. & dans d’autres ouvrages. Mais au lieu de rappeller ici tout ce qui a été dit sur cette question, il ne sera peut-être pas inutile d’exposer succinctement les principes qui peuvent servir à la résoudre.

Quand on parle de la force des corps en mouvement, ou l’on n’attache point d’idée nette au mot que l’on prononce, ou l’on ne peut entendre par-là en général que la propriété qu’ont les corps qui se meuvent, de vaincre les obstacles qu’ils rencontrent, ou de leur résister. Ce n’est donc ni par l’espace qu’un corps parcourt uniformément, ni par le tems qu’il employe à le parcourir, ni enfin par la considération simple, unique, & abstraite de sa masse & de sa vîtesse, qu’on doit estimer immédiatement la force ; c’est uniquement par les obstacles qu’un corps rencontre, & par la résistance que lui font ces obstacles. Plus l’obstacle qu’un corps peut vaincre, ou auquel il peut résister, est considérable, plus on peut dire que sa force est grande ; pourvû que sans vouloir représenter par ce mot un prétendu être qui réside dans le corps, on ne s’en serve que comme d’une maniere abrégée d’exprimer un fait ; à-peu-près comme on dit, qu’un corps a deux fois autant de vîtesse qu’un autre, au lieu de dire qu’il parcourt on tems égal deux fois autant d’espace, sans prétendre pour cela que ce mot de vîtesse représente un être inhérent au corps.

Ceci bien entendu, il est clair qu’on peut opposer au mouvement d’un corps trois sortes d’obstacles ; ou des obstacles invincibles qui anéantissent tout-à-fait son mouvement, quel qu’il puisse être ; ou des obstacles qui n’ayent précisément que la résistance nécessaire pour anéantir le mouvement du corps, & qui l’anéantissent dans un instant, c’est le cas de l’équilibre ; ou enfin des obstacles qui anéantissent le mouvement peu-à-peu ; c’est le cas du mouvement retardé. Comme les obstacles insurmontables anéantissent également toutes sortes de mouvemens, ils ne peu-